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Bastien Drut, Stratégiste Sénior chez CPR AM

Le dollar s’est fortement apprécié en 2018. L’année 2019 devrait être très différente avec la probable pause de la Fed et surtout avec les développements de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis.

Qu’est ce qui déterminera la tendance pour le dollar en 2019?

 

Avant toute chose, il faut veiller à ne pas surestimer l’influence de la Fed pour le dollar .

 

Lors du cycle de hausses de taux de la Fed 2004-2006, le dollar s’était globalement déprécié. A cette époque, le resserrement monétaire de la Fed s’était produit au milieu d’une phase baissière du dollar qui avait duré sept ans et demi (du début de l’année 2002 jusqu’au milieu de l’année 2008). Sur le cycle 2004-2006, le dollar s’était même déprécié face à l’euro alors que la BCE a monté ses taux directeurs plus tard et moins fort que la Fed. Le dollar n’était reparti à la hausse qu’à l’été 2008, avec la très forte montée de l’aversion pour le risque (faillite de Lehman Brothers). En réalité, la période de dépréciation du dollar 2002 – 2008 a été concomitante avec une décélération de la croissance américaine relativement au reste du monde (à partir de 2005, il y a eu à la fois une accélération de la croissance chinoise et une décélération de l’économie américaine).

 

Quelques années plus tard, la perspective d’un durcissement monétaire de la Fed n’a pas eu non plus d’impact immédiat sur le dollar. L’épisode de « taper tantrum » (très forte hausse des taux longs américains et repricing des anticipations de fed funds consécutifs à des communications de la Fed sur l’arrêt du QE3), qui s’est produit de mai à septembre 2013, n’a pas induit de hausse substantielle du trade-weighted dollar. Il a fallu attendre la mi-2014 pour que le dollar s’apprécie sensiblement.

 

Le lien entre dollar et pétrole est resté fort… jusqu’à récemment
Le lien inverse entre dollar et pétrole a été très fort sur ces 20 dernières années1 :
 La phase de baisse du dollar 2002-2008 a coïncidé avec une hausse des prix du pétrole
 La phase de hausse du dollar 2008 a coïncidé avec une baisse des prix du pétrole
 La phase de baisse du dollar 2009-2010 a coïncidé avec une hausse des prix du pétrole
 Le pétrole et le dollar sont restés relativement stables de 2010 jusqu’à la mi-2014
 La phase de hausse du dollar de la mi-2014 à la mi-2016 a coïncidé avec une baisse des prix du pétrole
Depuis la mi-2016, le lien entre le pétrole et le dollar est plus flou : le prix du pétrole est monté jusqu’à septembre 2018 alors que le dollar a connu un mouvement erratique. En particulier, l’évolution du couple pétrole – dollar a été atypique sur la période avril – septembre avec une nette appréciation du dollar alors que les prix du pétrole étaient orientés à la hausse.

 

La guerre commerciale a poussé le dollar à la hausse en 2018
En 2018, la guerre commerciale a perturbé les corrélations traditionnelles et a provoqué une appréciation du dollar : un apaisement des tensions commerciales jouerait négativement sur le dollar. En 2018, la Chine a réagi aux annonces d’augmentation de droits de douane sur les importations américaines de produits chinois en dépréciant le renminbi (le panier CFETS a baissé jusqu’à fin juillet puis s’est quasiment stabilisé), ce qui était une façon d’amortir les hausses de droits de douane. Au passage, la dépréciation du renminbi face au dollar a globalement eu un impact négatif sur les devises émergentes face au dollar. En ce qui concerne le commerce, la dépréciation du renminbi face au dollar a vraisemblablement causé une aggravation du déficit commercial entre la Chine et les Etats-Unis. Dans l’hypothèse d’un apaisement et d’une annulation des droits de douane, le dollar baisserait nettement.

 

Principales annonces au sujet des droits de douane
 1ère annonce : 3 avril 2018, Trump menace pour la première fois la Chine de hausses de droits de douane spécifiques (l’administration dévoile une première liste de 50Mds$)
 2ème annonce : 15 juin 2018, annonce d’une liste de 50 Mds révisée, et Trump demande davantage de droits de douane le 18 juin
 3ème annonce : le 10 juillet 2018, une liste de 200 Mds $ d’importations est publiée
 4ème annonce : le 17 septembre 2018, la liste de 200 Mds $ est confirmée

L’appréciation du dollar a bien eu pour conséquence une dégradation de la balance commerciale…

Sur les deux grands cycles précédents d’appréciation du dollar (1980-1985, 1995-2000), le déficit courant des Etats-Unis s’est très fortement creusé (perte de compétitivité sur les marchés internationaux). L’appréciation réelle du dollar depuis 2014 a bien eu un effet très fort sur la balance commerciale mais celui-ci a été masqué par le très fort développement de l’industrie minière aux Etats-Unis sur la période (les Etats-Unis sont devenus exportateurs nets de gaz naturel et plus récemment de produits pétroliers). Le déficit commercial « hors pétrole » s’est très fortement creusé ces dernières années. Si la très nette détérioration du déficit commercial sur la décennie 2000 concernait les pays de l’OPEP presque autant que la Chine, la très nette dégradation du déficit commercial « hors pétrole » de ces dernières années provient très largement de la Chine, et de l’Europe dans une moindre mesure. C’est ce déséquilibre qui devient insupportable politiquement et qui a exacerbé les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis. Dit autrement, le dollar est trop cher par rapport au renminbi et par rapport à l’euro. C’est évidemment à cause de ce contexte que Trump a qualifié le dollar de « très fort » ces derniers jours. La clef de l’évolution du dollar en 2019 sera donc bien la résolution des déséquilibres commerciaux.

 

Par ailleurs, le financement du déficit courant des Etats-Unis (qui reste légèrement supérieur à 2% du PIB) via les flux d’investissements de portefeuille est rendu progressivement plus difficile à cause de l’augmentation des coûts de couverture pour les investisseurs européens et japonais. Pour ces derniers, les coûts de couverture des investissements en USD ont fortement augmenté avec la divergence des taux courts entre les Etats-Unis et le reste du monde.

 

Enfin, une appréciation du dollar à partir des niveaux actuels commencerait à devenir coûteuse pour l’économie américaine. Le taux de change réel effectif des Etats-Unis est au plus niveau depuis la fin 2003 et a pris 6,5% depuis le début de l’année, ce qui est significatif pour l’inflation et la croissance. Selon le modèle FRB de la Fed, une hausse du taux de change réel de 10% a le même impact négatif sur la croissance qu’une hausse de fed funds de 150 points de base.

 

Conclusion

 Une re-convergence des cycles monétaires serait plutôt négative pour le dollar
 Un rebond du pétrole serait plutôt négatif pour le dollar
 Les Etats-Unis peuvent de moins en moins tolérer une appréciation supplémentaire du dollar car cela serait très négatif pour la croissance et car cela exacerberait les tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine. Une issue positive dans la guerre commerciale induirait une dépréciation notable du dollar.

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1 Un papier de recherche récent (Oil Prices, Exchange Rates and Interest Rates, Lutz Kilian (University of Michigan) et Xiaoqing Zhou (Bank of Canada) parvient à la conclusion que les prix du pétrole permettent d’expliquer un tiers de la variance du trade-weighted dollar alors que les taux d’intérêt ne permettraient de n’en expliquer que 5%.

 

ANNEXE

Quelques graphiques de la parité EUR/USD sur longue période :
 Il existe de longues phases durant lesquelles la parité EUR/USD ne suit pas le différentiel de taux entre Allemagne et les Etats-Unis (sur 1999-2001 : baisse EUR/USD malgré élargissement du spread en faveur de l’Allemagne, sur 2003-2004 : hausse EUR/USD malgré rétrécissement du spread Allemagne-US ; 2017 : hausse EUR/USD malgré un spread US-Allemagne qui s’élargit…)
 La forte baisse de la parité EUR/USD en 2014/2015 coïncide parfaitement avec l’évolution des prix du pétrole. Toutefois, depuis octobre 2018, le lien entre EUR/USD et pétrole est moins net.

 

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