Wed. Oct 9th, 2024

Jean Marie MERCADAL, directeur général délégué en charge des gestions chez OFI AM

 

Nous évoquions lors de notre
dernière publication de juin l’idée
d’un monde soumis à de plus
en plus de divergences, motivées
notamment par des considérations
politiques. L’été a été une belle
illustration de ce concept.
Contrairement à ce qui était observé
ces dernières années, le climat
de crise sur les pays émergents ne
s’est pas traduit par un mouvement
global de « risk off », avec une
baisse généralisée des marchés.
Au contraire, il y a une grande
dispersion de performances
entre les zones géographiques
et les classes d’actifs.
Le contexte d’ensemble incite donc
au discernement… et aussi à une
certaine prudence…

 

ALLOCATION D’ACTIFS

Le bilan purement chiffré des performances depuis le 30 juin

met en évidence des thématiques bien distinctes et les inves-
tisseurs ont su faire la part des choses. Les marchés ne se sont

pas comportés de manière uniforme comme à l’occasion des
précédentes crises surles émergents, et notamment à l’occasion
de la baisse soudaine de la monnaie chinoise à l’été 2015.
La meilleure classe d’actifs est, une fois de plus, représentée
par les actions américaines : l’indice S&P 500 a progressé de
6 % depuis le 30 juin (+ 8 % en euros) et a
dépassé son plus haut niveau historique
de janvier dernier, juste avant le « flash
krach » de février. De plus, le marché a
bien résisté aux turbulences enregistrées
sur quelques valeurs « star » de la cote comme Facebook
et Netflix, ce qui en fait ainsi le deuxième plus long marché
haussier de l’histoire américaine… Les actions européennes
sont globalement stables (dividendes inclus). Les taux
d’intérêt obligataires se sont stabilisés de part et d’autre de
l’Atlantique, autour de 0,30 % de rendement pour le Bund
10ans et entre 2,80/3,00 % pourle T-NotesUS de même maturité.
Au sein de la zone Euro, l’actualité est restée centrée sur
l’Italie qui sera l’un des sujets de la rentrée : le rendement du
taux 10 ans gouvernemental italien reste au-dessus de 3,00 %
compte tenu de la grande incertitude politique en vigueur
dans ce pays.
Sur le marché des changes, depuis le 30 juin, le dollar a monté
contre l’euro de 2,70 % et est repassé sous le seuil de 1,15.
Contre les principales devises émergentes, le bilan est très
contrasté et toutes n’ont pas baissé. Le Yuan chinois a perdu
3 %, le Réal brésilien est stable, le Peso mexicain a gagné 5 %,
le Won coréen est également stable… et la Livre turque a perdu
25 %. Là aussi, les investisseurs ont fait preuve de discernement.

CONTEXTE GLOBAL

Il n’est pas facile car les marchés ont répondu à des logiques
fondamentales, mais aussi politiques depuis quelques mois :
guerre commerciale et son impact sur les pays émergents,

l’éventualité d’une destitution du Président américain, des ten-
sions politiques au sein de la zone Euro… Les gérants ont, dans

l’ensemble, difficilement passé l’été : seuls 30 % des gérants
actions européennes, 23 % des gérants actions émergentes et
28 % des gérants actions américaines ont battu leurs indices
(univers Morningstar) alors que l’indice représentatif de la
gestion alternative recule de 0,2 %.
Sur le plan macroéconomique, les états-Unis confirment leur
dynamique positive. L’économie a continué à accélérer avec
un rythme de 4,1 % au deuxième trimestre, le rythme le plus

élevé depuis le troisième trimestre 2014, ce qui est impression-
nant à ce stade du cycle. Le « choc de compétitivité » décidé

par Donald Trump et qui s’est traduit par des baisses d’impôt
semble fonctionner jusqu’à présent. L’économie américaine
devrait donc croître de 2,9 % cette année contre 2,3 % en 2017.

La zone Euro n’est pas dans la même dynamique et les estima-
tions s’ajustent légèrement à la baisse : les prévisions s’établis-
sent désormais à + 2,2 % contre 2,4 % préalablement, avec des

révisions de – 0,3 % pour les trois grands pays : Allemagne,
France et Italie. En Allemagne, par exemple, la Bundesbank a

ramené sa prévision à + 2,0 % compte tenu des risques que fait
courir une aggravation des tensions commerciales sur les
exportations et l’investissement des entreprises.
Le contexte est plus compliqué dans les pays émergents. La
Chine résiste toutefois assez bien avec une croissance attendue
à 6,6 % cette année contre 6,9 % l’année dernière. Mais, là aussi,
les perspectives de guerre commerciale plus dure pèsent et
le gouvernement semble en avoir pris conscience en laissant
la monnaie reculer de près de 10 % contre
le dollar depuis le mois de mai, et en
assouplissant la politique monétaire :
baisse des taux et baisse du taux de
réserve obligatoire des banques de façon

à stimuler le crédit aux entreprises.

Les perspectives sont aussi très délicates dans les pays émer-
gents qui sont liés aux matières premières, comme la Russie

et le Brésil où la croissance devrait rester toutefois positive
autour de 1,5 %. Le cas de la Turquie est particulier, car elle

pourrait entrer en récession l’année prochaine. Les investis-
seurs internationaux ont perdu confiance dans ce pays compte

tenu de la gouvernance très centralisée qui y a été mise en
place. L’accélération de la baisse de la monnaie (qui a perdu
37 % cette année contre le dollar et 24 % depuis le 30 juin)
s’est produite quand le Président a voulu contrôler lui-même
la politique monétaire en plaçant un proche à la tête de la
Banque Centrale. Or, nous savons que la confiance est un

ingrédient essentiel en finance. Et aujourd’hui, les fondamen-
taux du pays se dégradent rapidement avec une inflation qui

est passée de 12 % à 16 %. Un cercle vicieux négatif peut dès
lors s’enclencher : hausse des taux pour limiter l’inflation, ce
qui peut engendrer un ralentissement économique – voire une
récession – et de fait peser sur les secteurs privés et publics
très endettés en monnaies fortes. Le cas de la Turquie n’est
cependant pas systémique, le poids de l’économie du pays
n’est que de 1 % dans le monde. L’Europe serait plus exposée
en cas d’aggravation de la crise, bien que dans des proportions

limitées : les exportations de la zone Euro vers la Turquie représen-
tent 0,6 % du PIB contre un poids de 0,1 % pourles états-Unis.

Au final, la croissance mondiale devrait se situer autour de
3,9 %. Rien de dramatique donc, le rythme semble idéal pour
que les entreprises puissent continuer à améliorer leurs
comptes sans créer de tensions inflationnistes trop marquées.
Mais les risques sont plus importants avec la montée des
tensions commerciales qui vont ralentir les échanges et sont
susceptibles de peser sur la confiance globale des marchés et
surtout des entreprises. Par ailleurs, cette croissance est moins
homogène et synchrone que ces dernières années.
Sur le plan micro-économique, aux états-Unis, près de 85 %
des entreprises ont battu les attentes des analystes en matière
de résultats cet été et la croissance des bénéfices a atteint près
de 25 %, ce qui rend les estimations du consensus pour l’année
d’une hausse de 20 %, crédibles. Et ce n’est pas uniquement
lié à la réforme fiscale puisque, au global, près de 70 % des
entreprises ont également battu les estimations de chiffres
d’affaires. En Europe également, les comptes publiés ont été

satisfaisants et supérieurs aux attentes, si bien que les prévi-
sions de progression des bénéfices de près de 10 % cette année

semblent également crédibles.

De ce fait, les dividendes versés au deuxième trimestre (pé-
riode riche en détachements) par les entreprises cotées dans

le monde sont au plus haut depuis 10 ans, et en progression
de près de 13,0 % par rapport à l’année dernière. En Europe, la
progression est de 18,7 %.

 

 

T A U X D ’ I N T É R Ê T

Vers une relative stabilité des taux
obligataires allemands et américains

 

Aux états-Unis, la lecture de la politique monétaire semble assez

claire. Jerome Powell a, semble-t-il, trouvé le bon ton pour commu-
niquer avec les marchés sur une politique monétaire qui semble

équilibrée : suffisamment ferme pour accompagner la vigueur
économique et prévenir les risques inflationnistes, mais avec une
remontée très progressive et pragmatique des taux directeurs de
façon à ne pas enrayerla dynamique économique. Le cheminement
est donc lisible : les marchés anticipent, avec une probabilité de
95 %, une nouvelle hausse des Fed Funds de 0,25 %, actuellement
situés dans la fourchette 1,75 %/2,00 %, à l’occasion de la réunion
de la Fed du 25/26 septembre, suivie d’une autre hausse de même
ampleurlors de la réunion du 18/19 décembre, avec une probabilité
de 64 %. Dans ces conditions, le niveau des Fed Funds à la fin
de ce cycle projeté par les membres de la Fed se situe dans la
fourchette 2,75 %/3,00 % alors que les marchés des « Futures »
n’anticipent que 2,65 % aujourd’hui. Ce décalage, somme toute peu
important, peut éventuellement créer une tension un peu plus forte

des rendements obligataires. Le T-Notes 10 ans pourrait alors s’ap-
procher de la zone de 3,50 % contre 2,80 %/3,00 % actuellement.

En tout état de cause il n’y a pas matière, selon nous, à engendrer
une tension trop forte des taux américains et la courbe devrait
continuer donc à rester plate. L’écart entre les taux à 10 ans et les
taux à 2 ans, autour de 20 points de base aujourd’hui, est au plus

bas depuis 2007 et annonce habituellement une phase de ralen-
tissement économique.Mais attention, avec les politiques monétaires

observées depuis 10 ans et la crise de 2008, la lecture traditionnelle
des marchés obligataires est plus compliquée.
C’est le cas en zone Euro où le rendement du Bund reste très bas
(autour de 0,35 %), défiant toute logique alors que la croissance
nominale allemande est proche de 3,50 %. Il y a plusieurs facteurs
explicatifs à cette « anomalie ».

En premier lieu, la persistance de taux monétaires négatifs consé-
cutifs à une politique monétaire très accommodante. La politique

de taux d’intérêt de la BCE semble assez claire, elle aussi : les taux

ne seront pas remontés au cours des 6/12 prochains mois. La poli-
tique d’achat d’obligations est prévue pour s’achever à la fin de

l’année, sauf événement nouveau. Et nous en venons à la deuxième
raison de la faiblesse des taux allemands : la divergence d’évolution
économique et politique au sein de la zone Euro. L’Allemagne est
actuellement en rythme de croisière d’excédent budgétaire à 2,9 %
de son PIB, ce qui ramènera son taux de dette/PIB sous le seuil
de 60 % – qui avait été fixé dans les critères de Maastricht, principes
fondateurs de la monnaie commune. Parallèlement, la France lutte
pour passer de façon pérenne sous le seuil de 3,0 % de déficit
budgétaire alors que sa dette va atteindre 100 % du PIB. Rappelons
que, avant la crise de 2008, les taux d’endettement entre les deux
pays étaient du même ordre de grandeur autour de 65 %/70 %…

Nous en venons donc naturellement aux divergences politiques,
avec comme illustration le cas de l’Italie. La cristallisation autour
du problème des migrants, sujet sur lequel l’Europe a montré son
incapacité totale à gérer le problème, a entraîné la constitution
d’une coalition populiste anti européenne, et donc un dérapage du

spread(1) des obligations italiennes avec l’Allemagne. Leur rende-
ment dépasse nettement 3,0 %, mais elles ne suscitent pas de

vague d’achat des investisseurs de long terme car la pérennité
de l’euro se pose à nouveau dans ces conditions. Il y aura donc

probablement encore beaucoup de volatilité sur les dettes souve-
raines de la zone dans les prochains mois et, malheureusement,

cela semble éloignerles perspectives de remontée des rendements
obligataires des pays « core »(2) au cours des prochains mois, et en

premierlieu l’Allemagne qui faitfigure de valeurrefuge. Nous pen-
sons donc que l’objectif autour de 0,75 %/0,80 % de rendement

sur le Bund, que nous avions fixé, sera décalé dans le temps. D’ici
la fin de l’année, un objectif autour de 0,50 % paraît désormais
plus probable compte tenu de ce contexte politique plus tendu.
Concernantles obligations crédit « InvestmentGrade », les spreads
se sont logiquement écartés compte tenu de l’aversion au risque
grandissante, mais les niveaux atteints ne nous semblent pas
encore foncièrement attractifs. De même en ce qui concerne les
obligations « High Yield » : il y a eu beaucoup de sorties sur
cette classe d’actifs et quelques tensions qui ont donné lieu à des
points d’entrée intéressants, mais un écartement supplémentaire
de 30 à 50 points de base nous semble nécessaire avant de la
reconsidérer vraiment attractive.
Les obligations émergentes ont fortement corrigé, et parfois de
façon très importante sur certaines devises. Il y a une raison de fond
qui concerne tous les pays : fermeté du dollar, baisse du prix des
matières premières et aversion au risque sur cette classe d’actifs,
mais aussi une succession de cas particuliers. Nous considérons
qu’aux cours actuels, comme nous l’avions dit fin juin, le potentiel
de performance de la dette émergente en devises locales est
important dans une optique de moyen terme de 3/5 ans. Il s’agit,
de plus, d’une classe d’actifs incontournable qui doit prendre
une part plus importante dans les allocations d’actifs stratégiques.
Et sur cette classe d’actifs, le rendement est attractif : 8,5 % sur un
panier équilibré de dettes gouvernementales sur un horizon 5 ans,
ce qui donne une performance « flat » de près de 50 %, qui permet
d’absorber des chocs éventuels supplémentaires sur les devises,
mais qui ont déjà beaucoup baissé pour la plupart.
Les obligations convertibles ont souffert de la baisse de la volatilité
implicite.Nous conservons une vue positive sur cette classe d’actifs
pour son asymétrie, comme expliqué à de nombreuses occasions.

 

A C T I O N S

La puissance des bénéfices
et des dividendes…

 

Il s’agit bien d’un des moteurs principaux de la performance des
actions, et c’est bien logique. Nous venons de le constater avec
l’accélération à Wall Street cet été, après la publication des résultats
semestriels. Mais ce n’est pas le seul : le marché américain est
également soutenu par une vague impressionnante de rachats
d’actions, stimulée notamment par la franchise fiscale donnée aux
entreprises pour le rapatriement de leurs capitaux détenus à

l’étranger. Cette pratique fait mécanique-
ment augmenter le bénéfice par action

et est perçue par certains observateurs
comme le signe que les entreprises y
recourent car elles ne voient pas assez
d’opportunités d’investissement. Selon
les estimations de plusieurs spécialistes,
cette vague pourrait représenter plus de
1 000 Mds$, rapporté à une capitalisation
boursière de 23 500 Mds$. Si bien que,
au final, avec près de 2 % de dividendes –
auquel on ajoute ce rendement « fictif »

induit par les rachats d’actions – le rende-
ment implicite des actions américaines

s’élève à près de 6 % ! Aux yeux de cer-
tains, toutefois, cette pratique provoque

des hausses boursières un peu artificielles.
Toujours est-il que ce mouvement devrait
se poursuivre dans les prochains mois…
Nous pensons néanmoins que les actions
américaines, dans leur ensemble, pourraient
se stabiliser dans les mois à venir. La hausse
desbénéficies sera absorbéepar unebaisse
de la valorisation d’ensemble du marché,
ce qui est sain et plutôt rassurant pour les
prochaines années. Les actions américaines
restent donc assez chères, mais ne sont
pas en zone d’excès etreflètent également
leur qualité intrinsèque, notamment dans
les secteurs de pointe comme la technologie
entre autres. Paradoxalement, la hausse

du dollar ne les a pas affecté. Les investis-
seurs américains ont plutôt rapatrié les

capitaux investis internationalement ces

dernières semaines, et le niveau de diver-
sification international des portefeuilles

redevient ainsi historiquement faible.
Cela donne du potentiel de flux au cours
des prochains mois/années lorsque les
tensions dans les pays émergents, et dans
une moindre mesure en Europe, se seront
atténuées.
En Europe, la dispersion de performance

entre les secteurs a également été très im-
portante etrapide ces dernières semaines.

Les secteurs de la finance et de l’automo-
bile, et plus généralement le style « value »

à l’exception des pétrolières, ont été délais-
sés au profit des valeurs défensives ou de

croissance. L’écart entre les deux styles
atteint à nouveau des records. Les actions

européennes sont globalement correcte-
ment valorisées, avec un rendement du

dividende attractif à 3,5 %, notamment par
rapport aux marchés obligataires. Compte
tenu du contexte global, la phase de marché

assez volatile devrait se poursuivre etil pour-
rait y avoir des opportunités d’achat surrepli.

Parmi les actions émergentes, nous pen-
sons que la correction des actions chi-
noises cotées localement touche à sa fin

et que les cours deviennent attractifs.
Elles ont baissé de plus de 30 % depuis
leurs niveaux de fin janvier et de 20 % cette
année. Les valorisations d’ensemble sont
désormais assez faibles (PER 2018 autour
de 11) et la cote est également riche en
grandes valeurs de la technologie et du
numérique.

S’il n’y avait pas d’incertitude liée
à la guerre commerciale et à la
situation politique en zone Euro
(budget à venir en Italie, question
du successeur de Mario Draghi et
élections européennes), nous serions
dans une situation classique plutôt

correcte : économie mondiale glo-
balement en croissance, taux d’in-
térêt assez bas, prix du pétrole

raisonnable…

Mais vu les aléas politiques, les mar-
chés pourraient évoluer sans grande

tendance, au moins jusqu’aux élec-
tions de Mid Term aux États-Unis. Il

est possible qu’après cette échéance
électorale, Donal Trump « se calme »
sur la guerre commerciale.
Mais il est évidemment difficile de
donner un pronostic sur la posture
du Président américain !
Notre scénario central

 

 

 

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