Par Sylvain BERSINGER, chef économiste chez Asterès
La croissance de l’économie russe est vraisemblablement alimentée par les dépenses
publiques. La reprise de la croissance russe dès 2023 a déjoué de nombreuses prévisions, par
exemple celles du FMI, qui tablait sur une violente récession du fait des sanctions
internationales. La robustesse de la croissance russe s’explique notamment par la hausse des
dépenses publiques d’armement, qui crée une stimulation momentanée de l’activité. Les
conflits passés indiquent qu’il est fréquent, en période de guerre, que la croissance soit soutenue
un temps par les dépenses militaires, mais ce dynamisme est généralement suivi d’une rechute.
1) Croissance russe : Une reprise dès 2023
La croissance russe est repartie en 2023 malgré les sanctions internationales. Au printemps
2022, suite aux sanctions prises contre la Russie, de nombreux analystes prévoyaient une grave
crise économique, comme le FMI qui avait anticipé une contraction annuelle du PIB de -8,5%1.
Le pays est bien entré en récession, mais la baisse d’activité a été limitée à -2,1% et le rebond
s’est amorcé dès 2023. La Russie est parvenue à contourner les sanctions commerciales en
échangeant avec la Chine ou en brouillant les flux commerciaux via des pays tiers. Surtout, le
pays a réalisé d’importantes dépenses publiques militaires qui soutiennent l’activité. Entre 2021
et 2024, le budget militaire du pays devrait tripler2, ce qui représenterait une stimulation
budgétaire de l’économie russe d’environ 4 % du PIB3. La croissance russe, dopée à la dépense
publique, chuterait probablement si les dépenses militaires venaient à être réduites.
2) Enseignement des guerres passées : Les dépenses militaires stimulent la croissance à court terme
Les guerres, et les dépenses militaires qu’elles entraînent, dopent l’activité économique
mais uniquement à court terme. L’analyse des Guerres napoléoniennes, de la Première
guerre mondiale et de la Seconde guerre mondiale montrent que l’économie est, dans un
premier temps, stimulée par les dépenses militaires, mais que la croissance se retourne à la fin
du conflit.
3.1 Guerres napoléoniennes : la croissance britannique chute après Waterloo
Le PIB par habitant du Royaume-Uni s’est globalement maintenu tout le début du
XIXème siècle mais a connu un creux après 1815. D’après les données du Madison Project4
(utilisées dans l’ensemble de cette partie), le PIB par habitant britannique n’a pas sensiblement
été affecté par les Guerres napoléonniennes, et a même connu un pic en 1815 (bataille de
Waterloo). Cependant, il a baissé ensuite pendant quelques années, pour connaître un creux en
1819, probablement du fait de la baisse des dépenses militaires à la fin de la guerre. Les données
historiques ne sont pas disponibles pour la France sur cette période (le PIB est une statistique
datant de 1945, tous les chiffres passés sont des reconstructions réalisées par les historiens).
3.2 Première guerre mondiale : Un creux à la fin de la guerre
Pour la plupart des belligérants, le point bas en termes de PIB par habitant se situe après
la guerre. Dans le cas du Royaume-Uni ou des Etats-Unis (directement engagés à partir de
1917), le PIB par habitant est resté élevé jusqu’en 1918, puis a chuté pendant plusieurs années.
Cette tendance s’explique probablement par la hausse des dépenses militaires pendant la guerre,
dont l’effet positif sur la croissance s’est dissipé à partir de 1918. En France, le PIB par habitant
s’est maintenu jusqu’en 1916, puis s’est effondré de plus de 25 %, probablement du fait des
destructions d’infrastructures. Le cas de l’Allemagne est légèrement différent, puisque la
croissance allemande ne semble pas avoir bénéficié d’une stimulation notable des dépenses
militaires. On constate toutefois, comme dans le cas anglais et américain, une contraction du
PIB par habitant à la fin de la guerre.
3.3 Deuxième guerre mondiale : Récession aux Etats-Unis à partir de 1945
Les dépenses militaires ont stimulé l’économie américaine jusqu’en 1945. L’analyse de
l’évolution du PIB par habitant français, britannique et allemand est faussée par l’ampleur des
destructions et des désorganisations engendrées par la guerre (bombardements et occupation).
L’exemple américain est peut-être, d’un point de vue économique, le plus riche
d’enseignements puisque les combats ne se sont pas déroulés dans le pays. Le PIB par habitant
américain a fortement progressé jusqu’en 1945, tiré par les dépenses militaires qui se sont
littéralement envolées jusqu’à atteindre 40 % du PIB5 (contre 3,1 % du PIB en 20236). Puis,
quand les dépenses militaires ont chuté après la guerre (7 % du PIB consacré aux dépenses
militaires à la fin des années 1940), le PIB par habitant américain s’est contracté et n’a pas
retrouvé son niveau de 1945 avant les années 1950.