Thu. Nov 21st, 2024

Par Xavier Rohmer et Leslie Valloir – AUGUST ET DEBOUZY

 

Dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2019, l’Assemblée Nationale a adopté un amendement du Gouvernement qui modifie le régime fiscal des gains de cession de crypto-actifs réalisés à titre occasionnel en les soumettant à l’impôt sur le revenu au taux de 12,8% [1]

Alors que le prix du Bitcoin a atteint des records en décembre 2017, avec un pic historique à près de 20.000$, le traitement fiscal des gains de cession de crypto-actifs restait toujours incertain. Cet amendement permet enfin de clarifier son régime.

LA DOCTRINE ADMINISTRATIVE

La doctrine administrative, qui a longtemps délimité seule le cadre fiscal des gains de cessions de crypto-actifs, prévoit en effet que les gains tirés de la cession de crypto-actifs à titre occasionnel relèvent de la catégorie des BNC tandis que les gains de cession à titre habituel relèvent de la catégorie des BIC [2]

LA DÉCISION DU CONSEIL D’ÉTAT DU 26 AVRIL 2018

Lors d’une décision du 26 avril 2018 [3], le Conseil d’État a partiellement invalidé cette doctrine en jugeant que les gains tirés de la cession de crypto-actifs à titre occasionnel devaient relever du régime des plus-values sur biens meubles [4] (et ainsi d’un taux d’imposition à l’impôt sur le revenu de 19%).

En revanche, les gains de cessions intervenant dans le cadre d’une activité de « minage » [5] (i.e. activité de création de crypto-actifs) relèvent quant à eux de la catégorie des BNC tandis que ceux tirés de la cession de crypto-actifs à titre habituel continuent de relever de la catégorie des BIC.

APPORTS DE L’AMENDEMENT ADOPTE PAR L’ASSEMBLÉE NATIONALE

– Notion d’actifs numériques

Le sous-amendement n°II-2548 adopté par l’Assemblée Nationale entend harmoniser la définition des crypto-actifs en l’alignant sur celle des « actifs numériques » au sens de l’article L. 54-10-1 de code monétaire et financier telle qu’elle résulterait de l’adoption de la loi PACTE [6].

– Imposition à l’impôt sur le revenu au taux de 12,8%

A compter du 1er janvier 2019, selon le nouvel article 150 VH bis du CGI instauré par le nouvel amendement, les gains de cession de crypto-actifs réalisés par des particuliers à titre occasionnel seraient imposés à l’impôt sur le revenu au taux de 12,8%, auquel s’ajouteraient les prélèvements sociaux au taux de 17,2%, soit une « flat tax » de 30%.

– Neutralisation des échanges entre crypto-actifs

L’amendement propose de neutraliser les échanges entre crypto-actifs. Les opérations d’échange de crypto-actifs seraient imposées dans le cadre de la cession ultérieure des crypto-actifs contre de la monnaie légale ou contre l’obtention de tout service, bien ou avantage.

– Le calcul de la plus-value

L’amendement prévoit que la plus-value serait égale à « la différence entre, d’une part, le prix de cession et, d’autre part, le produit du prix total d’acquisition de l’ensemble du portefeuille de crypto-actifs par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille ». Cette méthode de calcul similaire à celle employée dans le cadre du PEA permettrait notamment de tenir compte des difficultés de reconstitution du prix d’acquisition des crypto-actifs du fait de leur fongibilité.

– Création d’une obligation déclarative

Selon le nouvel article 1649 bis C du CGI, les personnes physiques, les associations et les sociétés n’ayant pas la forme commerciale, domiciliées ou établies en France, seraient désormais tenues de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus ou de résultats, les références des comptes de crypto-actifs ouverts, détenus, utilisés ou clos auprès d’entreprises, personnes morales, institutions ou organismes établis à l’étranger.

– Création d’une obligation déclarative

Le sous-amendement n°II-2576, adopté le 15 novembre par l’Assemblée Nationale, vise à créer un abattement annuel de 305 € sur le montant des cessions afin, d’une part, d’exempter d’imposition les 305 premiers euros de cessions intervenues dans l’année et, d’autre part, de simplifier les démarches des contribuables lorsqu’ils réalisent des cessions de faible montant.

MAIS UNE IMPOSITION INCHANGÉE DES GAINS DE CESSIONS RÉALISÉS A TITRE HABITUEL OU DANS LE CADRE D’UNE ACTIVITÉ DE MINAGE

Le nouveau cadre fiscal proposé par cet amendement n’aurait pas d’impact sur l’imposition des gains de cession de crypto-actifs réalisés par des particuliers à titre habituel ni sur les gains de cession réalisés dans le cadre d’une activité de minage, lesquels continueraient respectivement de relever des BIC et des BNC.

Le nouveau régime légal n’apporte, à ce stade, aucune précision sur le caractère habituel ou occasionnel des cessions.

A ce jour, l’administration fiscale se contente d’indiquer que ce critère doit être apprécié au cas par cas en tenant compte, notamment, des délais séparant les dates d’achat et de revente, du nombre de crypto-actifs vendus et des conditions de leur acquisition [7].

Globalement, on peut se réjouir de ce retournement et que le législateur se soit saisi de ce problème, l’administration fiscale et le Conseil d’État n’ayant pas la capacité juridique de donner aux actifs numériques un traitement fiscal plus compétitif.


[1] L’amendement n°II-2523, adopté le 13 novembre 2018, et les sous-amendements n°II-2548 et n°II-2576, adoptés le 15 novembre 2018, proposent d’adopter un nouvel article 150 VH bis du CGI. Ces amendements font suite aux amendements n°I-CF1451 et II-CF1396 déposés devant la Commission des Finances.

[2] BOI-BICCHAMP- 60-50 n°730 ; BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40 §1080

[3] CE, 26 avril 2018, n°417809

[4] Article 150 UA du CGI

[5] L’activité de minage est une activité de « création » de crypto-actifs. Un contribuable peut en effet faire partie d’une communauté de « mineurs » et mettre en commun son matériel informatique afin de contribuer à la validation de blocs de transactions de crypto-actifs de manière automatique et décentralisée. Il est alors rémunéré par l’attribution gratuite de nouvelles crypto-actifs générées par le protocole de validation.

[6] Le projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE) est actuellement en examen au Sénat. La rédaction du nouvel article L. 54-10-1 du code monétaire et financier serait la suivante : « Les actifs numériques comprennent :

1° Les jetons mentionnés à l’article L. 552‑2, à l’exclusion de ceux remplissant les caractéristiques des instruments financiers mentionnés à l’article L. 211‑1 et des bons de caisse mentionnés à l’article L. 223‑1 ;

2° Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement. » (Article 26 bis A du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises).

[7] BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40 §1080

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