Alexandre Baradez, responsable de l’analyse marchés chez IG France
Les mauvaises nouvelles s’empilent en Europe alors que les Etats-Unis affichent une dynamique économique qui ne montrent toujours pas de signes d’essoufflement.
Et c’est aussi ce que l’on voit sur les marchés financiers : la sous performances des actions européennes par rapport aux actions américaines atteint un niveau qui n’a pas été observé sur les trois dernières décennies ! Même au moment de la crise de la dette en zone euro les actions européennes n’avaient pas connu un tel écart de performances avec leurs homologues américaines. L’année n’est certes pas tout à fait finie, mais avec près de 22% d’écart de performance entre l’EuroStoxx600 et le SP500 depuis janvier, le constat est amer.
Les raisons sont multiples : absence de croissance en Allemagne depuis 2 ans, instabilité politique et budgétaire en France, explosion de la coalition politique en Allemagne, prix de l’énergie (le gaz naturel sur les marchés en Europe est actuellement deux fois plus cher qu’en février par exemple), guerre en Ukraine, faiblesse de l’économie chinoise qui impacte les échanges commerciaux, manque de réactivité de l’Europe sur les sujets stratégiques…et depuis quelques mois les craintes commerciales liées à un retour de Donald Trump.
Le président de la Bundesbank a récemment averti qu’une application des plans tarifaires par la nouvelle administration américaine pourrait coûter 1% de la performance économique de l’Allemagne, ce qui ferait clairement courir le risque d’une récession.
De l’autre côté de l’Atlantique, la musique est tout autre. La croissance reste très bien orientée et le chômage, même s’il est un peu remonté ces derniers mois, reste proche de ses plus bas historiques. Et les perspectives d’une dérégulation massive et de baisses d’impôt ont entraîné les principaux indices boursiers américains sur des niveaux historiques.
Doit-on de ce fait, considérer que la divergence de performance entre les marchés actions européens et américains va se poursuivre ? Rien n’est moins sûr…
Lorsque Donald Trump a été élu en 2016, le déficit américain avoisinait 3% du PIB. Mais voici les chiffres du déficit sur les quatre dernières années : 14.67% en 2020, 11.7% en 2021, 5.3% en 2022 et 6.1% en 2023. Et les projections s’établissent encore à plus de 6% pour 2024. La marge de manœuvre économique de Donald Trump sera donc nettement plus limitée que lors de son premier mandat, notamment dans un environnement de taux plus élevés.
Cette très forte souplesse budgétaire, qui a stimulé l’économie depuis 4 ans, a aussi contribué à la hausse des marchés actions mais elle ne pourra probablement pas être maintenue sans faire courir un risque sur la dette.
La question de l’attitude de la Réserve Fédérale se pose également car si Donald Trump, appuyé par le Congrès, tente de poursuivre une politique budgétaire expansionniste comme celle de son prédécesseur, doublée d’une forte hausse des taxes commerciales sur les importations, le risque que l’inflation tarde à revenir vers les 2% est bien réel.
Il est bon de rappeler que l’inflation PCE sous-jacente, la mesure préférée de la Fed, évolue toujours à 2.7% et n’a pas fait de nouveau progrès vers l’objectif depuis 4 mois.
Dernier argument, les multiples de valorisation des marchés américains : en 2016 les indices sortaient de deux ans de consolidation après le fort rallye de 2011 à 2014. C’est-à-dire que les grands indices américains comme le SP500 ou le Dow Jones évoluaient sans tendance durant les deux années qui avaient précédé l’élection. Il n’y avait donc pas vraiment d’excès à corriger à ce moment et les multiples de valorisation du SP500 étaient « normaux », environ 16 fois les bénéfices anticipés.
En 2024, la situation est sensiblement différente : le SP500 a connu un fort rallye depuis 2022 ponctué de quelques corrections mais qui n’ont pas permis aux multiples de valorisation de se détendre (plus de 22 fois les bénéfices actuellement). Le « besoin » de consolidation et la cherté des marchés sont donc plus importants cette fois-ci qu’en 2016, lors du premier mandat.
Une réduction des divergences entre actions américaines et européennes pourrait aussi venir d’une meilleure résilience des marchés européens. Mais qui prendrait naissance à quel moment ?
On peut supposer que si les Etats-Unis mettaient en œuvre des politiques commerciales agressives, l’Europe réagira enfin et notamment l’Allemagne qui dispose de fortes marges de manœuvre budgétaires pour soutenir l’économie. Il est aussi probable que la Chine accroîtra ses mesures de soutien économique pour contrer les effets des taxes commerciales américaines…ce qui pourrait bénéficier à l’Europe par le canal des échanges commerciaux.
De la même façon que Mario Draghi alors président de la BCE avait stoppé l’hémorragie lors de la crise de la dette en zone euro, le rapport Draghi et ses 170 propositions sur l’innovation, la compétitivité ou la réduction des dépendances, pourrait servir de base à des nouvelles orientations économiques européennes. Et pour les marchés financiers, ce n’est pas seulement la mise en œuvre finale des mesures qui compte mais aussi et beaucoup le fait d’impulser quelque chose de nouveau, de marquer une rupture.
Avec les vulnérabilités mises au grand jour par la crise Covid, puis la guerre en Ukraine et bientôt par les nouvelles politiques commerciales américaines, l’Europe va devoir muscler son économie. Et si cela doit passer par des mesures communes de financement, il ne faut jamais oublier que la zone euro dispose d’un rating crédit AAA par Fitch, Moody’s, Scope et DBRS et AA+ (perspective stable) par Standard & Poor’s.
Il y a de quoi faire en termes d’investissements et de projets, si la volonté politique est là.