Wed. Dec 4th, 2024

Par Asterès

Pourquoi la possible chute du gouvernement et l’absence de budget entraîneraient très certainement une hausse des taux sur la dette publique française.

Dette publique française : Le spectre de tensions accrues

L’absence de budget et la chute du gouvernement risqueraient de déclencher une probable hausse des taux sur la dette publique française, une évolution qui aurait la particularité de résulter d’un choix politique délibéré. La France a connu peu de crises de la dette publique dans son histoire, mais il n’est pas exclu que la situation se détériore sensiblement fin 2024 ou en 2025. Plus que la santé, certes dégradée, des finances publiques françaises, c’est l’incertitude politique qui inquiète les marchés financiers, comme le montre le bond du spread depuis la dissolution du mois de juin. Au vu de la légère hausse du spread fin novembre, il semble clair que les marchés financiers sont inquiets de la situation politique française, qui pourrait se traduire par une absence de budget et un renversement du gouvernement. Si ce scénario se matérialisait, il est quasiment certain que les taux souverains de la France augmenteraient, une évolution qui aurait la particularité rare de résulter d’un choix politique délibéré et conscient.

1) Crise des dettes publiques : Des évènements rares

Au cours de son histoire, la France a connu peu d’épisodes de crise de ses finances publiques, des
évènements graves dont il faut tout faire pour se prémunir. L’Etat est généralement considéré comme
l’acteur le plus sûr d’une économie (sa dette est souvent perçue comme « l’actif sans risque »), c’est lui
qui a la capacité d’intervenir, avec la banque centrale (qui, en zone euro est une filiale des Etats membres),
comme prêteur en dernier ressort en cas de crise économique, financière ou sociale. Si l’Etat est lui-même
proche de la faillite, il n’existe plus d’autre alternative que d’obtenir des crédits internationaux d’urgence
(FMI notamment), de financer le déficit public par la création monétaire (ce qui reporte le problème en
une hausse de l’inflation et un effondrement du change) ou de mener une politique d’austérité brutale
(baisse des dépenses et hausse des impôts) qui a des répercussions sociales fortement négatives (hausse
du chômage et de la pauvreté). La santé des finances publiques est donc un sujet essentiel au bon
fonctionnement d’une économie et d’une société, qui doit être abordé avec prudence de la part des
responsables politiques. Les pays développés comme la France connaissent généralement peu de crises
de leurs finances publiques.

  • 1797, le dernier défaut français. La France n’a plus fait défaut depuis la Révolution française. Cette
    dernière trouvait sa source, entre autres, dans le délabrement des finances publiques royales. Mais les révolutionnaires, pour des raisons de popularité évidentes, ont été plus prompts à supprimer les anciens impôts honnis de la monarchie qu’à en créer de nouveaux. Pour financer le déficit ils ont saisi les biens du clergé qui, ne pouvant être vendus immédiatement, ont été utilisés pour gager la valeur d’une monnaie nouvelle, les assignats. Mais l’impression d’assignats s’est envolée, dépassant de loin le montant des biens qui étaient supposés garantir sa valeur, entraînant l’effondrement de son cours. En 1797, face à une situation inextricable, le Directoire fit défaut sur les deux tiers de sa dette (d’où son nom de « banqueroute des deux tiers »).

  • 1924 – 1926, la crise du franc, symptôme de finances publiques dégradées. La Première guerre
    mondiale a laissé la France dans une situation économique et budgétaire difficile (dépenses militaires, reconstruction des régions dévastées), avec une dette publique dépassant 200 % du PIB1. Partant du principe que « l’Allemagne paiera », la Banque de France a financé le déficit public (la « planche à billets » en langage courant) après la guerre en attendant des réparations allemandes qui ne sont pas venues. La conséquence de cet excès de création monétaire a été une succession de crises de change au milieu des années 1920, qui n’ont été que la conséquence d’une incapacité de l’Etat à maîtriser son déficit. Aujourd’hui, l’euro protège la France d’un tel scénario de crise de change, puisque que la plupart des membres de la zone euro présentent des finances publiques plus saines que les nôtres.

  • 2008 – 2013, les répercussions d’une crise internationale. La crise des « subprimes » a entraîné une
    violente crise économique qui a fait croître les dettes publiques de la plupart des pays. S’en est suivi une crise bancaire et des finances publiques dans de nombreux pays du sud de l’Europe qui a entraîné une défiance envers plusieurs pays européens, dont la France, qui a vu son spread flamber à plus de 120 points de base. La situation était alors différente de celle d’aujourd’hui, d’une part du fait de la gravité de la situation à l’époque, d’autre part parce-que la France n’était pas l’épicentre de la crise, mais subissait les répercussions de crises chez ses voisins.

2) Tension actuelle sur la dette publique française : Des causes avant tout politiques

Les finances publiques françaises sont certes dégradées, mais les tensions observées sur la dette
publique française sont avant tout dues à des causes politiques. Depuis une vingtaine d’années la
France connait un déficit public supérieur à celui de la moyenne des pays de la zone euro, en conséquence de quoi sa dette publique a plus augmenté que celle de ses voisins. Cette situation, quoique préoccupante, ne posait jusqu’au printemps 2024 pas de difficulté majeure, puisque les marchés financiers étaient disposés à financer la dette publique française à un taux faible, comme l’indique la stabilité du spread (prime de risque demandée par les investisseurs pour prêter à la France plutôt qu’à l’Allemagne) français à un niveau modéré. C’est la dissolution du mois de juin, ou plus précisément le risque de l’arrivée au pouvoir de partis très dépensiers de gauche ou d’extrême droite, ainsi que l’instabilité politique qui a suivi, qui a conduit à une hausse du spread (une dissolution, en tant que telle, n’a aucune raison de provoquer la défiance des marchés financiers).

La tension sur la dette publique est spécifique à la France. La situation actuelle, à la différence de la
crise de 2010-2013, est qu’il s’agit d’un problème exclusivement français
. Les racines ne sont pas à
chercher dans le contexte économique international, mais uniquement dans la situation budgétaire et
surtout politique française.
Le spread de l’Italie, dernier grand pays d’Europe de l’ouest dont les taux sont encore supérieurs à ceux de la France (à juste titre au vu de la situation économique, budgétaire et
démographique de l’Italie), a globalement été orienté à la baisse ces derniers mois. Le Portugal et
l’Espagne, qui ont connu une violente crise des finances publiques il y a une douzaine d’années,
s’endettent désormais à des taux inférieurs à ceux de la France. Même la Grèce, qui a une dette publique
supérieure à celle de la France et des perspectives de croissance plus dégradées (taux de fécondité plus
faible, moindres dépenses de R&D par exemple), s’endette actuellement à des taux comparables à ceux
de la France
, preuve que la défiance dont est l’objet la dette publique française a des causes politiques
internes plus que macro-économiques, puisque les perspectives de croissance à moyen terme sont
globalement similaires dans toute l’Europe.

Les marchés financiers : une réalité tangible
Le terme de « marchés financiers » peut sembler abstrait, une sorte de « finance virtuelle » mais il
recouvrent une réalité concrète et facile à comprendre. Les marchés financiers correspondent à tous les
acteurs (notamment des banques, des assurances, des fonds de pension, des fonds d’investissement,
des fonds souverains, des banques centrales ou encore des particuliers) qui prêtent et empruntent de
l’argent sur les marchés dédiés. Dire, par exemple, que « la défiance des marchés financiers envers la
dette publique française augmente » revient à dire que, en moyenne, l’ensemble des acteurs prêtant de
l’argent à l’Etat français perçoivent sa dette comme plus risquée et demandent un taux plus élevé pour
compenser ce risque estimé. Un ménage qui aurait un peu d’épargne sur une assurance-vie par exemple,
qui est probablement placée pour une large part en dette publique, représenterait, pour une petite part,
ce qu’on appelle les marchés financiers (les particuliers passent généralement par un intermédiaire,
banque ou société financière, pour placer leur épargne auprès des Etats).

3) Absence de budget et gouvernement renversé : une hausse des taux français probable

Si le budget n’était pas voté et le gouvernement renversé, il est quasiment certain que les taux
français augmenteraient. Le renversement d’un gouvernement ne conduit pas, en soi, à des tensions sur
la dette publique d’un pays, mais la situation actuelle française est particulière. La défiance des marchés
vis-à-vis de l’Etat français, alimentée par une dette croissante et un déficit élevé, est indéniable depuis la
dissolution du mois de juin et l’incertitude politique qui a suivi. Fin novembre, avec le risque que le budget ne soit pas voté et le gouvernement renversé, le spread français est reparti légèrement à la hausse, à un plus haut depuis 2012. Si la situation actuelle n’est pas (encore) critique, il est certain que les marchés financiers scrutent de près les évolutions politiques françaises et l’absence de budget, couplée à la chute du gouvernement, créerait une incertitude et une probable hausse du déficit en 2025 par rapport aux prévisions actuelles, ce qui pousserait les taux à la hausse.

Si la hausse des taux semble quasi-certaine en cas d’absence de budget et de renversement du
gouvernement, son ampleur et ses conséquences exactes demeurent incertaines. Quoi qu’il arrive, la
France ne fera pas faillite en 2025, et la solidité de son économie ne la rend pas comparable à la situation
qu’a connue la Grèce il y a une douzaine d’années. Une tension renforcée sur la dette publique française
qui pousserait les taux à la hausse est cependant très probable en cas d’absence de budget et de chute du gouvernement. Il est impossible de connaître quelle serait l’ampleur de la hausse des taux, et donc de
l’évolution du spread avec l’Allemagne. L’exemple de la dissolution de juin 2024 indique qu’une hausse
de 20 ou 30 points de base2 est tout à fait possible. L’exemple de la crise britannique de l’automne 2022
indique qu’une hausse des taux de 100 points de base est également envisageable. Dans ces deux cas, la
France ne serait pas acculée à la faillite. Une hausse des taux plus importante ne peut cependant pas être
totalement exclue. Quelle qu’en soit l’ampleur, une telle hausse ne peut avoir que des répercussions
négatives.

  • La hausse des taux accroît les charges d’intérêt de l’Etat. Plus les taux auxquels l’Etat s’endette sont
    élevés, plus les charges d’intérêt augmentent. Le calcul exact des montants supplémentaires que devrait verser l’Etat pour financer sa dette est difficile à estimer à ce stade, car il dépend notamment de l’ampleur de la hausse des taux et de sa durée dans le temps. Cependant, si les taux augmentaient de 100 points de base, il pourrait en résulter une charge d’intérêt supplémentaire de plusieurs dizaines de milliards d’euros au bout de dix ans3, autant d’argent qui serait payé aux créanciers du pays et qui ne serait pas disponible pour financer les services publics.

  • Les taux souverains pourraient se répercuter sur les banques et sur les taux payés par les ménages
    et les entreprises4. La dette publique est un actif de référence dans le système financier, ses taux se
    répercutent donc sur d’autres acteurs comme les banques. Une hausse des taux souverains français
    pourrait renchérir le coût des emprunts pour les ménages (pénalisant un peu plus l’immobilier), les
    entreprises et impacter les banques et institutions financières qui verraient diminuer la valeur des titres de dette publique qu’ils détiennent (le prix d’une obligation évoluant en sens inverse de son taux).

4) Possibles tensions sur la dette publique française : Une prise de risque délibérée

Le budget présenté par Michel Barnier répond, dans les grandes lignes, à la situation économique
et budgétaire de la France. Avec un déficit public qui devrait être d’environ 6 % du PIB en 2024 (alors
qu’aucune crise majeure ne justifie économiquement cette dérive des finances publiques) et avec des
marchés financiers qui commencent à se détourner de la dette publique française, il est nécessaire de
réduire le déficit les années prochaines. Le projet de Michel Barnier de ramener à 5 % du PIB le déficit
en 20255 semble cohérent, puisque cette « austérité molle » éviterait de trop pénaliser la croissance et
donc de répéter les erreurs commises en Europe entre 2010 et 2013, quand la violence de l’austérité avait
renforcé la récession. Le budget proposé, qui allie hausse d’impôts et baisse des dépenses, ne peut être
qu’impopulaire. Chacun pourrait également trouver à redire dans les choix spécifiques qui ont été faits.
Mais la critique est toujours facile, et les détracteurs devraient proposer des budgets alternatifs, crédibles
et chiffrés, en prenant en compte la situation dégradée des finances publiques qui diminue comme peau
de chagrin les marges de manœuvre.
Il n’y a aucune raison strictement économique pour que la France connaisse une hausse des taux
sur sa dette publique, cela pourrait cependant arriver selon les choix politiques qui peuvent être
faits. La France vit une situation assez étrange où, alors que les finances publiques en tant que telles ne
suscitent pas la défiance des investisseurs, les députés pourraient délibérément décider d’une hausse très
probable de la tension sur la dette publique en ne votant pas le budget et en renversant le gouvernement.
La guerre en Ukraine et au Proche-Orient, les foucades de Donald Trump, les difficultés de l’industrie,
les défis écologiques, la crise énergétique, l’attitude de plus en plus agressive de la Chine… cette liste
longue quoique non-exhaustive ne semble pas suffisante à nombre de parlementaires qui pourraient
décider, délibérément et en toute connaissance de cause, de prendre le risque probable de pousser les taux souverains à la hausse. Il n’est jamais prudent de jouer à la roulette russe avec les marchés financiers, car les situations qui pourraient sembler maîtrisables ont parfois la fâcheuse tendance de prendre des
proportions inattendues. En matières de finances publiques, on ne saurait jamais trop recommander la
prudence.

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