A la UneEconomie

Droits de douane : Un choc économique majeur

Par Sylvain BERSINGER, chef économiste chez Asterès

La décision de Donald Trump d’imposer 25 % de droits de douane sur les produits mexicains et
canadiens1 et 10 % de droits de douane supplémentaires sur les produits chinois aura des
répercussions majeures. Cette véritable déclaration de guerre commerciale, envers notamment des pays
alliés et partie prenante d’un accord de libre-échange, marque une rupture dans les relations commerciales.
Tous les pays concernés seront négativement impactés par cette brutale hausse de droits de douane, mais
le Canada et le Mexique seront plus pénalisés que les États-Unis et la Chine. Les trois pays concernés ont
annoncé ou sont en train de préparer des mesures de rétorsion, mais il n’est pas certain que réagir par des droits de douane symétriques soit la meilleure stratégie.

1) Droits de douane : Cette fois c’est la guerre commerciale

La décision de Donald Trump représente une véritable déclaration de guerre commerciale, déclarée
avant tout à des pays alliés des États-Unis. Le concept de guerre commercial est parfaitement adapté à
la situation actuelle. Les droits de douane, ou autres mesures de restrictions commerciales, ont été
abondamment utilisés dans l’histoire, du blocus napoléonien envers l’Angleterre aux sanctions contre la
Russie suite à l’invasion de l’Ukraine. Ce type de mesure pénalise autant le pays qui les prend que le pays
visé, l’objectif étant de faire payer un prix économique plus élevé au pays ciblé pour l’affaiblir ou infléchir
sa politique. Cependant, il n’existe pas (à ma connaissance) de cas où un pays a brutalement augmenté
ses droits de douane envers des pays alliés (comme le sont les États-Unis et le Canada), à plus forte raison
quand ces pays sont membres d’une zone de libre-échange. La situation actuelle est donc inédite au regard de l’histoire économique et marque une rupture après des décennies d’ouverture des frontières aux échanges commerciaux.

2) Conséquence des droits de douane : Surtout pénalisants pour le Mexique et le Canada

Les droits de douane devraient principalement impacter le Canada et le Mexique. Environ les trois
quarts des exportations de marchandises canadiennes et mexicaines sont à destination des États-Unis. Ces dernières représentent 25 % du PIB mexicain et 21 % du PIB canadien2. Ces deux pays sont donc
particulièrement menacés par les droits de douane américains. La Chine est moins impactée car la hausse
des droits de douane sur ses produits n’est « que » de 10 % et ses exportations à destination des États-
Unis représentent 15 % de ses exportations totales et 3 % de son PIB (un chiffre probablement sous-estimé puisqu’une partie des exportations chinoises vers les États-Unis transite par le Vietnam ou le Mexique pour échapper aux droits de douane instaurés par Donald Trump lors de son premier mandant). Dans le cas des États-Unis, les importations depuis ces trois pays représentent 43 % de ses importations totales et 5 % de son PIB. Les impacts économiques de cette guerre commerciale sont difficiles à chiffrer, mais pourraient atteindre 2 % du PIB annuel dans le cas du Mexique.

  • Le caractère inédit de cette guerre commerciale, comme l’incertitude concernant la réaction à la
    hausse des droits de douane, rend tout chiffrage aléatoire. Il n’existe pas d’exemple de pays voisins,
    fortement intégrés commercialement dans une zone de libre-échange, qui décident soudainement
    d’accroître les droits de douane de 25 %, ce qui rend difficile l’estimation des dommages économiques.

Les conséquences économiques dépendront également fortement de la réaction des différents pays. Le
Mexique, le Canada et la Chine imposeront-ils des droits de douane équivalents (il semblerait que oui) ?
Prendront-ils d’autres mesures de rétorsion (limitation d’exportation de produits stratégiques vers les
États-Unis par exemple) ? Comment réagiront les banques centrales, accepteront-elles un peu plus
d’inflation du fait des droits de douane ou lutteront-elles contre l’inflation au risque de casser la
croissance ? Il n’y a pas, à ce stade, de réponse claire à chacune de ces questions, qui sont pourtant
déterminantes dans toute tentative de chiffrage.

  • Le Mexique pourrait perdre jusqu’à 2 % de PIB annuel, voire tomber en récession. Le Peterson
    Institute3 estime que des droits de douane de 25 % réduiraient le PIB mexicain chaque année par rapport à un scénario sans droits de douane, jusqu’à -2 % en 2032 (quand les chaînes de valeur auront été désorganisées au détriment du Mexique). Le choc serait légèrement moins brutal pour le Canada (baisse du PIB annuel de 1,26 % en 2028), et nettement plus faible pour les États-Unis et la Chine (baisse du PIB annuel aux alentours de 0,2 %). Le Peterson Institute souligne cependant l’incertitude entourant ces prévisions, qui pourraient être sous-estimées du fait de la forte imbrication des économies nord- américaines dont la spécificité est difficile à modéliser. En conséquence, il n’est pas exclu d’envisager que la guerre commerciale puisse pousser le Mexique dans la récession (une telle situation conduirait des Mexicains à vouloir émigrer aux États-Unis, alors même que Donald Trump a imposé ces droits de douane, entre autres, car il accuse le Mexique de ne pas suffisamment contrôler les flux migratoires).

3) Réponse aux droits de douane : il n’existe pas de solution miracle

D’un point de vue strictement économique, il est probable que la meilleure réponse aux droits de
douane soit de ne rien faire, mais des considérations politiques peuvent pousser à répliquer. Nous
concentrons ici notre analyse sur le cas mexicain et canadien, qui sont les pays les plus impactés. Répondre aux droits de douane par d’autres droits de douane n’est pas la meilleure stratégie d’un point de vue strictement économique. Mais ces pays peuvent être poussés à prendre des mesures de rétorsion, soit symboliquement vis-à-vis de leurs opinions publiques, soit pour inciter Donald Trump à faire machine
arrière. S’ils veulent répliquer aux droits de douane américains, une stratégie plus pertinente que des droits de douane peut être de bloquer des exportations stratégiques.

  • Ne rien faire serait probablement la stratégie la plus rationnelle. Dans la situation présente, le
    Mexique et le Canada seront impactés quelle que soit leur réaction. Il n’y a donc pas de bonne stratégie, il n’y a que des stratégies moins pires que les autres. Si ces pays ne réagissent pas aux droits de douane américains, leur monnaie se dépréciera face au dollar (ce qui a déjà commencé à se produire), annulant pour une large part la perte de compétitivité liée aux droits de douane. S’ils prennent des mesures de rétorsion, ils empêcheront les évolutions de taux de change (puisque les droits de douane tendent à apprécier la monnaie des pays qui les mettent en place) et seront impactés par la hausse des prix des
    produits importés depuis les États-Unis. Les droits de douane généralisés sont une stratégie perdante pour tous les pays, indépendamment de la politique mise en place par les partenaires commerciaux. Le Mexique et le Canada ne devraient donc probablement pas répliquer à l’erreur américaine par une erreur similaire.

  • Les droits de douane peuvent être un levier politique. Pour le Mexique et le Canada, prendre des
    mesures de rétorsion peut avoir deux buts. Le premier est de montrer à sa population que le pays ne reste pas passif face à une agression extérieure. Cette stratégie peut être politiquement gagnante même si elle ne l’est pas économiquement, car le grand public n’a pas forcément conscience des mécanismes un peu obscurs des variations de change qui découlent de la mise en place de droits de douane. Le deuxième but peut être de faire pression sur les États-Unis pour qu’ils lèvent leurs droits de douane. En montrant qu’eux aussi sont prêts à pénaliser leur économie tout en pénalisant celle des États-Unis en augmentant leurs droits de douane, le Mexique et le Canada peuvent espérer négocier une baisse généralisée des droits de douane. Le résultat de cette stratégie est cependant incertain. En effet, Donald Trump a déjà négocié un accord de libre-échange avec ses voisins en 20204, qu’il vient de renier d’un trait de plume.
    Quel crédit le Canada et le Mexique peuvent-ils accorder à des engagements de Donald Trump ? Des
    droits de douane canadiens ou mexicains feraient sûrement plus de tort à l’économie de ces pays qu’aux États-Unis du fait de leur poids relatif5, le levier de pression sur Donald Trump risque donc d’être inopérant, puisqu’il sait que ses voisins souffrent plus que son pays de la guerre commerciale. De plus, Donald Trump a imposé des droits de douane pour, entre autres, forcer ses voisins à lutter contre le trafic de drogue. Mais ces accusations semblent peu fondées, en tout cas en ce qui concerne le Canada6, on perçoit donc mal comment ce pays pourrait négocier avec Donald Trump puisqu’il lui est reproché un tort imaginaire. Enfin, le risque en cas de mesure de rétorsion est que Donald Trump l’utilise comme prétexte pour accroître encore plus ses propres droits de douane, déclenchant une spirale dont tous les pays sortiraient perdants.
  • S’en prendre aux exportations vers les États-Unis, plutôt qu’aux importations depuis ce pays, est
    une piste à envisager. Le Canada a annoncé des droits de douane en réponse à ceux décidés par Donald Trump7, mais le pays a aussi envisagé de restreindre certaines exportations vers les États-Unis8. Cette stratégie est certainement celle qui serait la plus pénalisante pour les États-Unis, par exemple si le Canada freinait ses exportations de pétrole ou de minerais à destination de son voisin. En infligeant les dommages maximaux à l’économie américaine, une restriction des exportations serait le levier de pression le plus efficace. Mais, en conséquence, cette stratégie de blocage des exportations est aussi la plus à même de conduire Donald Trump à prendre des mesures encore plus agressives vis-à-vis de ses voisins.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Voir Aussi
Fermer
Bouton retour en haut de la page