Alexandre Baradez, responsable de l’analyse marchés chez IG France
Les marchés actions donnent l’impression d’être uniquement rythmés par les déclarations commerciales, faisant fi des conséquences économiques potentielles de cette guerre commerciale.
Dernier exemple en date ? La publication hier de l’indice d’activité manufacturière en Chine, l’indice PMI Caixin, ressorti à 48.3 pour le mois de mai alors que le consensus tablait sur 50.6 et qu’il évoluait encore à 50.4 en avril. C’est donc une contraction surprise (l’indice retombant sous 50.0) et un vrai décrochage d’un mois à l’autre. Cet indice d’activité est même retombé à son plus bas niveau depuis…septembre 2022 !
Alors on peut chercher à se rassurer en considérant qu’il ne s’agit, une nouvelle fois, que d’un indice « soft », c’est-à-dire un indice de sentiment, un résultat d’enquête, qui ne se traduira pas forcément sur les données « hard », c’est-à-dire les chiffres d’activité réels du secteur manufacturier chinois.
C’est en tout cas le raisonnement actuel, semble-t-il, que font les investisseurs sur les marchés actions, celui que l’impact de la guerre commerciale sur l’économie sera relativement limité.
Sinon comment expliquer la verticalité d’un indice européen comme le DAX par exemple, qui se paie désormais plus de 19 fois les bénéfices ? Alors que plusieurs instituts économiques allemands prévoient une troisième année sans croissance pour l’Allemagne. La Chambre de commerce et d’industrie allemande (DIHK) anticipe une contraction du PIB allemand de 0.3% cette année, ce qui marquerait une troisième année consécutive de contraction de l’économie…et un record après-guerre.
Alors oui, les groupes du DAX ne sont exposés qu’à hauteur de 20% à l’économie allemande. Mais c’est tout de même 20%. Et si l’on considère la partie du DAX exposée à la Chine, peut-on considérer que la visibilité sur cette zone est vraiment dégagée à court-terme ? Ce n’est pas le message envoyé par l’indice d’activité manufacturière cité précédemment.
Plus globalement, la plupart des indicateurs « soft » (enquêtes auprès des ménages, des entreprises, etc…) sont en net repli depuis le début des hostilités commerciales, que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis.
Est-ce que les données économiques vont se dégrader et rejoindre les données « soft », ou est-ce que les enquêtes vont montrer une amélioration dans les mois qui viennent ? On ne peut pas tirer de conclusion économique définitive maintenant…pourtant les marchés, eux, ont déjà tranché.
Les multiples de valorisation du SP500 sont quasiment revenus sur les niveaux de fin 2024 : le ratio cours/bénéfices anticipés est remonté à 21.5 ces derniers jours, après avoir chuté à 18.0 en avril, lorsque la volatilité explosait sur les marchés. Pour mémoire, cette valorisation du SP500 était légèrement supérieure à 22.0 fin 2024, lorsque la croissance américaine était encore robuste, lorsqu’on ne parlait pas encore de guerre commerciale mais plutôt de baisses d’impôts et de dérégulation aux Etats-Unis, post élection présidentielle…
Les valorisations des actions américaines sont donc revenues à un niveau qui exclut quasiment tout impact de la guerre commerciale sur les résultats des entreprises et sur le comportement des consommateurs dans les mois à venir…réaliste ou très complaisant ?Avec une Fed qui ne bouge pas ses taux, des perturbations sur les chaînes d’approvisionnement et avec une révision à la baisse des prévisions de croissance aux Etats-Unis par l’OCDE et d’autres institutions…je penche pour la seconde hypothèse.