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Stablecoins : un pari audacieux

Par Jérôme VAN DER BRUGGEN, Chief Market Strategist et Jean-Baptiste CHAMPION,
Investment Advisor chez Indosuez Wealth Management
Début juillet 2025, le Congrès américain votait le GENIUS Act, une loi clarifiant le cadre réglementaire des monnaies digitales stables (appelées stablecoins). Ce faisant, les États-Unis crédibilisaient une invention financière controversée, un pari que certains ont qualifié d’audacieux. Mais les émetteurs de stablecoins sont aussi devenus des acteurs importants sur le marché de la dette américaine et il est possible qu’en leur donnant leurs lettres de noblesse, les Américains aient, dans la foulée, réussi à créer de nouveaux acheteurs captifs durables pour leurs bons du trésor. UNE RÉVOLUTION FINANCIÈRE EN MARCHE Afin d’appréhender à sa juste mesure l’avancée technologique – et potentiellement sociétale – que représentent les stablecoins, il nous faut – en préliminaire – introduire quelques notions et faire un peu d’histoire. Commençons par expliquer le mouvement de « jetonisation » (ou « tokenisation ») des actifs financiers qui a débuté il y a une dizaine d’années, faisant suite aux avancées de la blockchain. Car celle-ci ne sert pas qu’à fabriquer des cryptomonnaies (Bitcoins et autres) ; elle est aussi (surtout) une plateforme de validation numérique dont les « blocs » s’apparentent à des actes notariés numériques hyperefficaces2 et dont se sont servis très vite les innovateurs de la finance. CRÉATION DES STABLECOINS Ces précurseurs y ont vu un outil permettant de faciliter et de réduire le coût des échanges, donnant naissance à la « tokenisation » : un processus qui consiste à représenter un actif sous une forme de jeton numérique et permettant de le diviser, de l’échanger ou de le posséder plus facilement. On peut ainsi « jetoniser » des œuvres d’art, des immeubles ou simplement, de la monnaie… de l’argent liquide. Ainsi furent créés les stablecoins : des formes de « monnaies » conçues pour maintenir une valeur stable, généralement en étant adossées à une monnaie traditionnelle comme le dollar ou l’euro et échangées sur la blockchain. Contrairement aux cryptomonnaies dont le prix peut fortement varier, les stablecoins visent à offrir une fiabilité de prix, ce qui les rend utile pour les paiements, les transferts internationaux ou comme réserves de valeur. Les deux stablecoins les plus connus – l’USDC3 (émis par Circle) et l’USDT4 (Tether) – ont jusqu’à présent tant bien que mal remplis leur promesse de stabilité. Le succès des stablecoins est évident : leur capitalisation totale (dont USDC et USDT représentent 85 %) est proche d’environ 200 milliards de dollars et a décuplé en cinq ans. Notons que cette croissance est surtout liée à celle des volumes de transactions sur les cryptomonnaies puisque les stablecoins sont souvent utilisées comme « passage obligé » pour y accéder. Comment leurs émetteurs – souvent des acteurs privés5 – garantissent-ils la stabilité ou l’indexation au dollar ? En conservant des réserves équivalentes couvrant les unités en circulation. C’est ici qu’intervient le GENIUS Act (Guiding and Establishing National Innovation for US Stablecoins) : cette loi impose que tous les stablecoins américains soient adossés à 100 % par des réserves liquides telles que des dollars américains ou des bons du Trésor à court terme, garantissant ainsi leur stabilité et leur convertibilité. Les émetteurs doivent aussi publier mensuellement la composition de leurs réserves et fournir des audits annuels s’ils dépassent 50 milliards de dollars de capitalisation. Le texte interdit également toute représentation trompeuse laissant croire que les stablecoins sont garantis par le gouvernement américain ou couverts par une assurance FDIC (assurance dépôt des banques américaines), renforçant ainsi la transparence et la confiance des consommateurs. LE PARI DU GENIUS ACT L’USDC et l’USDTsont déjà presque aux nouvelles normes, celles-ci devant rentrer en vigueur très prochainement. Si l’on part du principe que la plupart de leurs actifs seront donc investis dans des bons du trésor, leur environ 200 milliards de dollars de capitalisation à la fin 2025 représente approximativement 3,5 % du marché total des bons de trésor. Une goutte d’eau, diront certains… Mais, selon les dernières données disponibles (avril 2025), la banque centrale chinoise ne détenait plus que 750 milliards de dollars en bons du Trésor américains soit… 300 milliards de dollars de moins qu’il y a cinq ans. Ces nouveaux acheteurs tombent donc à pic. D’autant plus que la plupart des observateurs s’accordent pour dire que le cadre créé par le GENIUS Act renforcera la demande de stablecoins. Si cette demande provient de nouveaux acheteurs (comme le sont ceux qui émanent de la sphère des cryptos) elle sera donc bienvenue. A l’heure où la planète finance parle de « dédollarisation » et s’inquiète de la baisse d’achats de créances émises par l’Oncle Sam, il se pourrait que les Américains – en signant le GENIUS Act – aient fait un pari audacieux et… gagnant. | ||