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Par Jean-Jacques Friedman, directeur des investissements chez Natixis Wealth Management

Un phénomène d’accélération inédit

Après cette séquence de marché inédite, au sein de laquelle le Covid-19 a occupé le devant de la scène pendant plusieurs mois, les données et préoccupations s’enchaînent dorénavant à très grande vitesse.

 

L’absence de volatilité depuis plusieurs semaines le confirme : les investisseurs choisissent de se concentrer sur un sujet après l’autre, et de reporter à plus tard les questions relatives aux évolutions de long terme sur lesquelles il existe trop d’incertitudes.

Dans cet environnement exceptionnel, la capacité d’intégrer et de prendre acte de chaque nouvelle information ou décision – dont certaines contredisent ce qui semblait être des dogmes bien établis – est devenue la norme, et plus personne ne s’en étonne.

Alors que les forts replis boursiers s’inscrivent historiquement sur des périodes d’un an et demi en moyenne, les principaux indices ont perdu 35 % dès mi-février et ce sur un seul mois, reflet d’un monde où finalement tout défile en accéléré… Depuis cette date, alors que les prévisionnistes discutent habituellement du chiffre après la virgule, ce sont des baisses de PIB à deux chiffres qui sont attendues sur plusieurs trimestres, voire pour certains pays sur toute l’année…

 

« Rapidité » et « ampleur des réactions » sont devenues les maîtres mots dans ce contexte. Ils s’appliquent tout particulièrement aux banques centrales, avec 8000 milliards d’euros injectés dans l’aide aux entreprises et aux ménages, au travers des mesures de chômage partiel et d’aide aux trésoreries d’entreprises. Les plans de relance représentent plus de 3 % du PIB au niveau mondial et approchent même les 10 % pour les Etats Unis, tandis qu’en Europe ils se situent autour de 4 % et sont nettement supérieurs aux relances des pays émergents.

Le marché consolide depuis un mois, pris en tenaille entre deux forces opposées : la dégradation des perspectives de croissance / le soutien budgétaire incontestable des Etats pour éviter « le pire »

Du côté de la croissance, nous ne croyons pas à une reprise rapide de l’activité et l’économie mondiale ne retrouvera pas son niveau de 2019 avant la fin 2021. Pour certains secteurs, il faudra même attendre deux années supplémentaires avant d’entrevoir une reprise. Les mesures exceptionnelles auront certes permis d’éviter beaucoup de défauts d’entreprises, mais malgré cela, la qualité de la reprise restera médiocre. L’incertitude et le fort endettement des entreprises entraîneront automatiquement une baisse des dépenses d’investissement. Les inquiétudes pèsent également sur la demande des consommateurs et les différentes mesures sanitaires conduisent à une diminution de la productivité.

Dans ce contexte, les prévisions de baisse des bénéfices par action, qui ne cadrent pas encore avec les chutes drastiques de croissance des économies, devraient être de nouveau révisées. Ceci conduit mécaniquement à une augmentation des multiples de valorisation, qui se situent dorénavant au-dessus des moyennes de long terme.

 

Face à cette situation, la gestion de l’endettement des Etats a représenté le soutien majeur à l’économie. Le choix de la restructuration de la dette, qui aurait sapé la confiance des Etats, a été rapidement écarté. Certaines mesures de solidarité entre Etats sont en cours de constitution. La Commission européenne vient de relever à 750 Mds€ le montant du plan de relance initialement présenté par Angela Merkel et Emmanuel Macron le 18 mai (à hauteur de 500 Mds€). La nouveauté tient bien sûr au fait que les emprunts ne seront pas remboursés à due proportion par les pays qui utiliseront ces fonds. Cette dépense sera donc mutualisée et viendra s’ajouter au plan de relance européen de 540 milliards annoncé en avril.

 

Certaines mesures fiscales seront sans doute également mises en place, mais c’est surtout la voie de la monétisation de la dette – à savoir que les achats des banques centrales pour souscrire de la dette publique seront gelés très durablement – qui a entraîné ce rebond des multiples de valorisation. Les rachats de la dette par les banques centrales sont présumés inflationnistes, mais depuis la mise en place de ces politiques non conventionnelles en 2008, cette inflation a davantage concerné les stocks d’actifs que les flux, comme cela s’est illustré dans le domaine du private equity, par la hausse du prix des actifs cotés dans certaines zones géographiques, ou de l’immobilier des métropoles.

Le déconfinement comme premier enjeu

 

Face à ces deux forces opposées, la question du déconfinement est selon nous déterminante. C’est pourquoi, mi-avril, après la phase de rebond, nous étions passés sous pondérés : la question du déconfinement nous apparaissait alors plus progressive, avec un impossible retour à la normale que le marché ne semblait suffisamment pas prendre en compte. L’espoir de traitements permettant une meilleure prise en charge des malades pendant cette période avait été déçu et on revenait à l’idée initiale d’immunité collective. La réponse en matière de vaccins étant identifiée dès le départ comme solution indisponible à court terme, des avancées étaient attendues en termes de combinaisons d’antiviraux. Malgré quelques annonces et espoirs, les solutions qui auraient permis un retour au travail plus rapide n’ont pas émergé durant ces derniers mois.

 

Depuis un mois, le marché évolue entre deux gaps de cotation qui ont été laissés ouverts

 

Après s’être rapproché de la fourchette basse de fluctuation et compte tenu de l’évolution favorable du déconfinement en cours, nous avons repris du risque dans nos portefeuilles, toujours au travers de thématiques de croissance. Désormais, il apparaît clairement que, même en cas d’une seconde vague, les gouvernements ne s’en remettraient plus uniquement aux avis des spécialistes de la médecine mais prendraient aussi en compte les données économiques et les risques induits par cette longue interruption. Les populations semblent également plus partagées – peut-être simplement à l’approche des vacances – et d’autres exemples à l’étranger ont également modifié la perception de beaucoup de citoyens.

Enfin, le choc provoqué par le gel des activités durant deux mois a favorisé l’adaptation rapide des pratiques quotidiennes chez une grande majorité des citoyens qui ont adopté les mesures de distanciation sociale et de port du masque, à l’instar des pays asiatiques habitués aux épidémies. Ces pratiques semblent effectivement diminuer fortement les cas de contamination. La question se pose également de la chaleur de ces dernières semaines, qui aurait peut-être également contribué à la réduction du virus, simplement par le fait de vivre davantage à l’extérieur.

Trois phases clés pour les marchés

Pour résumer, le marché, sur la question fondamentale du déconfinement, est passé par trois phases :

–        il a tout d’abord retenu l’idée que, durant l’épisode du confinement, des traitements antiviraux existants permettraient de trouver des solutions de déconfinement efficace ;

–        un deuxième stade, il y a quelques semaines, était celui du constat d’un déconfinement plus compliqué, par nature partiel, et donc d’une reprise de l’économie plus lente ;

–        dorénavant, les investisseurs prennent acte qu’un retour à un confinement général paraît peu probable, que l’espérance de traitements antiviraux efficace s’est certes éloignée, mais que la possibilité d’un vaccin en 2021 est crédible.

 

La remontée des marchés vers la borne haute de la fourchette de fluctuation entre les deux gaps de cotation que nous évoquions, passe par une reprise des secteurs et entreprises qui avaient le plus souffert lors de la phase de panique. Cependant, pour les trimestres à venir, notre scénario de reprise économique mesuré et partiel milite donc toujours en faveur de thématiques de croissance que nous avançons régulièrement, en continuant de privilégier les entreprises disposant de bilans sains et de trésorerie solide.

 

Cette crise accélèrera comme toujours les évolutions déjà en cours et devrait confirmer le fait que les thématiques qui étaient déjà dominantes avant cette pandémie, ressortiront encore renforcées : les investissements liés aux préoccupations environnementales, de protection et de certification, de modèles économiques basés sur l’abonnement, ainsi que plusieurs compartiments des valeurs technologiques.

 

 

 

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