Par Alexandre Baradez, responsable de l’analyse marchés chez IG France
La période n’est plus aux discours faucons des banques centrales mais à la préservation de la croissance.
Les risques pour l’économie et l’emploi sont depuis quelques mois largement mis en avant par la Fed et la BCE par rapport aux risques liés à l’inflation. La première baisse de taux de la BCE en juin était la traduction claire que l’économie passe désormais au premier plan, malgré une inflation sous-jacente qui évolue toujours plus proche des 3% que des 2% (2.8% à la dernière publication).
L’indice d’activité PMI Composite en zone euro est ressorti à 51.0 en août, un niveau qui traduit une expansion modérée de l’activité, la zone 50.0 séparant expansion et contraction de l’activité économique. La nouvelle baisse de taux de la BCE continuera d’apporter un soutien à la croissance atone de la zone euro comparée à la croissance américaine. Seulement 0.2% de croissance au deuxième trimestre et avec l’Allemagne qui a vu son PIB reculer de 0.1% sur la même période…
D’autres baisses de taux de la BCE seront nécessaires au quatrième trimestre, un trimestre au cours duquel les discussions européennes sur le rapport de Mario Draghi devraient s’intensifier.
La zone euro a besoin d’accroître son niveau global d’investissement et de mettre en place des réformes de structure…mais elle souffre aussi de la faible dynamique de l’économie chinoise qui pénalise ses exportations.
Mais la Chine sera toutefois une zone à suivre de près dans les prochains mois car les choses semblent bouger dans le bon sens du côté des décisions de soutien à l’économie. La Chine envisage de baisser de 80 points de base le taux des prêts immobiliers en cours, avec une première baisse qui pourrait intervenir dès septembre et une autre en début d’année prochaine. Avec également la possibilité pour les propriétaires immobiliers, de renégocier les termes de leurs prêts avant la date habituelle de janvier. Mais également, et ce serait une mesure importante, la possibilité de refinancer les prêts immobiliers dans une autre banque.
Cela peut paraître anodin, mais si cette dernière mesure était adoptée, ce serait la première fois…depuis la crise des subprimes !
Sans oublier de donner quelques chiffres : le montant des prêts immobiliers qui rentreraient dans le cadre d’un refinancement potentiel atteint…5400 milliards de dollars. Soit l’équivalent de 30% du PIB de la Chine.
Un assouplissement des conditions de refinancement immobilier en Chine permettrait aux autorités de jouer sur deux tableaux : continuer à stabiliser et à soutenir un marché immobilier mal en point depuis plus de 3 ans…mais également redonner du pouvoir d’achat et de la confiance aux consommateurs chinois ce qui permettrait de soutenir la demande intérieure.
Une amélioration de la demande intérieure chinoise serait favorable à l’économie européenne et permettrait aussi de détendre un peu les tensions commerciales avec l’Europe…et les Etats-Unis via une réduction des déficits commerciaux de ces pays avec la Chine.
Enfin le dernier trimestre sera marqué par les interrogations autour de la trajectoire de l’économie américaine et le rythme de la politique monétaire de la Fed. Des craintes sont apparues cet été avec la publication de chiffres moins bon qu’attendus sur l’emploi et l’activité.
Depuis le deuxième trimestre, plusieurs publications macroéconomiques sont régulièrement tombées en dessous du consensus, même si la croissance du PIB au deuxième trimestre a finalement été bonne.
Des interrogations planent sur l’activité au T3 avec les publications des indices ISM notamment : l’ISM Manufacturier est déjà contracté depuis plusieurs mois et l’ISM Services montre des signes de ralentissement et évolue proche de la zone 50.0 qui marque la séparation entre expansion et contraction de l’activité. L’ISM services est l’indice à surveiller car l’économie américaine est surtout une économie de services.
La petite hausse du chômage, le nombre d’emplois disponibles (JOLTS) moins nombreux et la hausse des licenciements sont le signe que le marché de l’emploi s’est largement normalisé après avoir surchauffé post-Covid. Mais il faut désormais bien délimiter la frontière entre normalisation saine…et ralentissement économique voire contraction de l’activité.
Et ce sera la mission de la Fed en cette fin d’année : s’assurer que le soft landing de l’économie se passe bien…mais également que l’inflation poursuive son ralentissement. Les derniers chiffres d’inflation CPI ont montré que l’inflation globale a ralenti à 2.5%, son plus bas niveau depuis février 2021. Mais l’inflation « core CPI », c’est-à-dire l’inflation sous-jacente, la plus surveillée la Fed (avec l’inflation PCE core) évolue toujours à 3.2%, encore à bonne distance de l’objectif.
Une inflation sous-jacente encore assez nettement au-dessus de l’objectif peut d’un côté éviter à la Fed d’avoir à baisser ses taux de 50 points de base d’un coup, ce qui historiquement est assez mal reçu par les marchés lorsqu’un cycle de baisse de taux commence aussi fortement, mais de l’autre côté cela peut aussi faire « craindre » que la Fed ne puisse pas baisser de façon régulière sa fourchette de taux tant que l’inflation « core » ne fait pas plus de progrès, ce qui maintiendrait un contexte monétaire restrictif plus longtemps au risque de pénaliser l’économie.
Le mot de la fin concerne le Japon : faut-il craindre des mouvements de marchés aussi violents que cet été si la Banque du Japon poursuit ses relèvements de taux, entraînant une poursuite du débouclage des opérations de « carry trade » ? Cela semble peu probable car le marché avait été surpris par la hausse de taux de juillet et pensait qu’elle interviendrait un peu plus tard. Passé l’effet de surprise, il y a peu de chance qu’une telle volatilité fasse son retour pour les mêmes raisons. Mais des répliques de plus faible intensité sont tout à fait possible d’ici la fin d’année en cas de nouvelle hausse de taux et si le yen poursuit son redressement face au dollar.