Tue. Dec 3rd, 2024

Par Pierre Sellal Ambassadeur de France et Senior Counsel chez August Debouzy

Attendu par la majorité des observateurs, le rejet par les Communes, hier soir, du projet d’accord de retrait négocié entre les 27 et le gouvernement britannique a néanmoins surpris par son ampleur : 230 voix ont manqué au premier ministre, dont celles de 118 membres de son propre parti.

Le vote et le débat qui l’a précédé témoignent d’une confusion et d’une division politiques extrêmes dans le pays :
– le rejet a satisfait aussi bien les parlementaires restant attachés au remain que les partisans d’un Brexit plus franc, qui ont mêlé leur voix ;
– l’opposition travailliste demeure inspirée par un objectif central, la tenue rapide de nouvelles élections générales, et subordonne à cet enjeu sa position sur le Brexit, qui reste de ce fait très ambigüe, bien illustrée par les hésitations de son leader ;
– comme cela a été souligné, seules des majorités négatives semblent pouvoir être aujourd’hui réunies au sein du Parlement britannique : contre l’accord de retrait tel que négocié par le gouvernement, mais aussi contre une sortie sans accord, contre la tenue d’un second référendum, contre la convocation de nouvelles élections générales (comme devrait le confirmer, selon la majorité des analystes, le rejet de la motion de défiance déposée dès aujourd’hui par le parti travailliste) ;
– l’incertitude qui résulte de cette confusion est d’autant plus forte que le rejet intervient à une date très proche de l’échéance du 29 mars 2019, et qu’il apparait désormais très difficile de mettre en place toutes les législations nécessaires, de part et d’autre mais surtout du côté britannique, pour accompagner la sortie du Royaume-Uni, dans le cadre d’un accord ou sans accord.
Dans ce contexte très incertain, le cadre institutionnel du traité l’Union européenne offre les seuls repères stables :
– la date de la sortie du Royaume-Uni reste en principe celle que les autorités britanniques avaient fixée elles-mêmes, soit le 29 mars 2019, en notifiant leur volonté de retrait ;
– un report de cette échéance est possible ; elle suppose (i) une demande formelle en ce sens du gouvernement britannique, (ii) une acceptation de cette demande à l’unanimité des 27 autres Etats membres, (iii) un accord sur la durée de cette prorogation ;
– tout accord de sortie doit être approuvé non seulement par le Royaume-Uni, mais aussi par une majorité qualifiée d’Etats membres et par le Parlement européen ; à défaut d’une telle approbation, la sortie a lieu sans accord, à la date initialement fixée ou le cas échéant reportée ;
– les élections européennes se dérouleront du 23 au 26 mai prochain ; rien ne s’oppose en droit (de l’Union) à ce que le Royaume-Uni y participe, s’il est encore un Etat membre de l’UE à cette date ;
– enfin, un retrait pur et simple de la demande de sortie est juridiquement possible jusqu’à la date du 29 mars, par une décision unilatérale des autorités britanniques, comme l’a établi la Cour de justice de l’UE.
Les scénarios envisageables doivent s’inscrire dans ce réseau de contraintes juridiques et politiques.
– Le premier ministre a réaffirmé hier après le vote que l’accord qu’elle avait conclu avec les 27 restait le « meilleur possible ». Mais le caractère massif de son rejet semble exclure l’option de le soumettre ne varietur à un nouveau vote, y compris dans un contexte dramatisé par l’approche de l’échéance du 29 mars ;
– L’opposition à l’accord est trop hétéroclite pour suggérer des pistes de réaménagement susceptibles de réunir une majorité ; ainsi, le Labour insiste sur le maintien du Royaume-Uni dans l’union douanière, alors que c’est la perspective de voir le pays dans l’incapacité de mener une politique commerciale propre, par la prolongation indéfinie de l’union douanière, qui est à l’origine du rejet de l’accord par les conservateurs partisans d’un Brexit plus « franc ». Seule, peut-être, la réduction du backstop irlandais à une disposition clairement limitée dans le temps serait soutenue par une majorité et pourrait éventuellement conduite à une nouvelle appréciation de l’accord dans son ensemble.  Mais l’assurance donnée à l’Irlande par la disposition initiale a jusqu’ici été défendue avec la plus grande fermeté par les 27, unanimes.
– T. May avait exclu, jusqu’ici, toute demande de report de l’échéance du 29 mars (puisque l’accord négocié est à ses yeux le meilleur possible), toute idée de nouvelles élections (soutenue pleinement sur ce point par son parti), toute perspective d’un nouveau référendum (car le peuple britannique s’est prononcé en 2016). Elle souligne que son mandat est de mettre en œuvre le mandat issu du référendum de 2016 : réaliser le Brexit, de préférence de la manière la plus ordonnée possible, grâce à un accord de retrait et à la période de transition qui l’accompagnerait.
– Une demande de report de l’échéance du 29 mars apparait aujourd’hui techniquement pertinente et politiquement vraisemblable. Mais les 27 ne seront pas enclins à accepter  une prorogation qui ne signifierait qu’une prolongation de l’incertitude dans laquelle les place l’incapacité des Britanniques, depuis deux ans, à formuler leurs objectifs de manière cohérente et réaliste. En d’autres termes, une telle demande de prorogation devrait être accompagnée soit de demandes précises d’amendements de l’accord, propres à garantir cette fois son approbation par le Parlement tout en respectant les exigences fixées par les 27, soit d’un nouveau calendrier politique (élections générales, nouveau référendum) dans un horizon rapproché.
Le sentiment dominant chez les partenaires du Royaume-Uni est en effet de considérer que l’UE, ses politiques, ses projets et a fortiori ses principes ne doivent pas indéfiniment faire les frais des incertitudes suscitées par Londres, les divisions politiques domestiques et l’incapacité à trancher entre les contradictions actuelles.
Il résulte de cette situation complexe et de ses incertitudes que le scénario d’une sortie du Royaume-Uni sans accord, y compris à la date du 29 mars, ne peut pas être écartée, même s’il n’est préféré par personne. Le Parlement britannique s’est prononcé contre une telle solution, mais la seule manière de garantir son exclusion serait de retirer formellement la notification de retrait, option non envisagée et sans soutien majoritaire évident à ce stade.
Dès lors, on ne peut que recommander aux entreprises dont les activités seraient affectées par un changement de statut du Royaume-Uni, qui deviendrait pays tiers dès le 30 mars 2019, de poursuivre intensément leurs préparatifs pour s’y adapter. De même, la Commission européenne pour ce qui la concerne, les autorités françaises dans le cadre de la loi d’habilitation votée par le Parlement, doivent accélérer la mise au point des mesures  propres à limiter, sans pouvoir les éliminer entièrement, les problèmes et difficultés qui résulteront de cette discontinuité.

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