Alexandre Baradez, responsable de l’analyse marchés chez IG France
Ce n’est pas la première fois que les creux importants de marché sont rachetés vigoureusement. Mais ce très fort rebond sur les indices américains interpelle car l’environnement est peu propice à cette force de mouvement.
Sur les 10 dernières années, on a observé deux phases de « buy the dip » agressives, en dehors de celle que nous vivons actuellement.
La première remonte à fin 2018, début 2019, lors du premier mandat de Donald Trump…et lors de la première guerre commerciale qu’il a mené contre la Chine. Et c’est une première différence par rapport à la situation actuelle : à l’époque, il s’était surtout focalisé sur la Chine alors que cette fois-ci, il s’agit d’une guerre commerciale menée contre quasiment tous les partenaires commerciaux des Etats-Unis. Le SP500 avait alors lâché 20% entre septembre et décembre 2018 avant que le puissant rebond se mette en place.
Mais un élément avait catalysé l’appétit de investisseurs : la réunion de la « Plunge Protection Team » fin décembre 2018. La « « Plunge Protection Team » est un surnom donné par les marchés à une réunion qui s’était tenue entre la Fed, le Trésor, la SEC et la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) dans un environnement de marché particulièrement volatile fin 2018, et cela avait rassuré les investisseurs qui avaient alors interprété cette réunion comme le signe que le seuil de tolérance des institutions face à l’instabilité financière avait été atteint. S’en était suivi un puissant rebond des marchés actions américains. Sachant également qu’en 2018, l’économie américaine était soutenue par le plan fiscal massif de Donald Trump et donc par une politique budgétaire expansionniste, ce qui n’est clairement pas le cas actuellement.
Très différent de la phase actuelle donc, où la Fed n’envoie aucun signal de baisse de taux à venir ou d’arrêt de la réduction de son bilan. Autre différence : les valorisations du SP500 fin 2018 était beaucoup plus basses, la chute sur le SP500 avait démarré avec un ratio cours/bénéfices anticipés (P/E forward) à 17 en septembre 2018, et ce ratio était tombé à …seulement 13.5 en décembre 2018 ! De quoi aiguiser l’appétit des investisseurs en chasse de bonnes affaires.
A titre de comparaison : la chute du SP500 cette année a démarré avec un ratio cours/bénéfices anticipés à 22.5 et ce ratio est tombé à 18 lors du point bas d’avril. Ce n’est donc pas un niveau de valorisation « bon marché », ce niveau de 18 fois les bénéfices anticipés correspond à la moyenne de valorisation du SP500 sur les 10 dernières années. Et l’incroyable agressivité du rebond a déjà ramené la valorisation de l’indice à 21.5 fois les bénéfices anticipés !
Pour mémoire, un P/E forward à plus de 21 n’a été observé que deux fois lors des 30 dernières années : lors de la bulle qui s’était formé sur les marchés post-Covid (2020/2021), et avant cela lors de la formation de la bulle internet à la fin des années 90…
Alors que la correction du SP500 de février à avril cette année avait seulement corrigé les excès de valorisation de 2024, le « buy the dip » agressif nous y a très rapidement ramené.
Après celle de 2018, l’autre phase de « buy the dip » observée est celle de 2020, lors de la pandémie de Covid. Le ratio cours/bénéfices anticipés (P/E forward) du SP500 début 2020 était à 18, le krach qui a suivi a ramené le niveau de valorisation à seulement…13 !
Là-encore, des niveaux nettement plus attractifs que ceux touchés lors de la chute cette année. Et il est nécessaire de rappeler que les banques centrales en 2020 ont appliqué une politique monétaire extrêmement accommodante avec des taux à 0% (et des taux réels négatifs !) et une liquidité hyper abondante, comme en témoigne l’expansion massive du bilan de la Fed à ce moment-là. Sans oublier le soutien budgétaire extraordinaire pour soutenir l’économie américaine. C’est dans ces conditions que le puissant « buy the dip » de 2020 s’est mis en place.
Là-encore, aucune similitude avec la situation actuelle : le Fed poursuit la réduction de son bilan et maintient toujours en pause ses baisses de taux, le gouvernement fédéral poursuit une politique de réduction des dépenses budgétaires, et les taux long américains évoluent proche de 5% !
Le rebond massif auquel nous assistons depuis quelques semaines soulève donc des interrogation légitime sur sa solidité, tant les valorisations et l’environnement dans lequel il intervient est différent de 2018 ou de 2020.