A la Une

DeepSeek : le séisme de l’IA

Par Alexandre Drabowicz, Chief Investment Officer – Indosuez Wealth Management

Le marché technologique américain a traversé une semaine difficile. DeepSeek, une entreprise chinoise d’intelligence artificielle (IA), a démontré qu’il est possible de développer un modèle de langage IA égal (voire supérieur) aux modèles américains, tout en utilisant seulement une fraction des ressources. Cette annonce remet en question les valorisations des entreprises technologiques américaines, en particulier celles dépendant des investissements dans l’IA. L’opacité entourant l’infrastructure de DeepSeek soulève des interrogations et il faudra plus d’informations pour tirer des conclusions définitives. Il est cependant clair que toute disruption créera à la fois des gagnants et des perdants, et il ne faut pas sous-estimer l’avancée de la technologie chinoise. Beaucoup qualifient cela de « moment Spoutnik » pour l’IA, une incitation à des investissements plus importants pour assurer la suprématie Chine versus États-Unis. Cependant, nous le voyons plutôt comme le « paradoxe de Jevons » : moins de puces peuvent être nécessaires au départ, mais à mesure que les coûts baissent, la demande augmentera, nécessitant potentiellement encore plus de puces.

L’annonce récente en provenance de Chine au cours du dernier week-end de janvier a mis sous pression une partie du marché technologique américain. DeepSeek, une entreprise chinoise d’IA basée à Hangzhou, Zhejiang, semble avoir démontré qu’il est possible de développer un modèle de langage IA équivalent, ou même supérieur, à ceux développés par les entreprises américaines, en utilisant seulement une fraction des ressources. Cette annonce remet en question les valorisations des entreprises technologiques américaines, qui dépendent en partie des investissements dans l’IA (semi-conducteurs, centres de données, fabricants d’équipements de semi-conducteurs, entreprises impliquées dans l’électrification).

Une avancée indéniable, bien que des incertitudes subsistent

La méthodologie utilisée par DeepSeek marque une avancée technologique claire dans la course à l’IA, car elle ouvre potentiellement la voie à une réduction drastique des coûts de développement et de fonctionnement de ces modèles de langage. Cependant, plusieurs questions restent en suspens. Était-ce un DeepFake ? DeepSeek a-t-il utilisé des blocs de code OpenAI pour faire fonctionner son modèle (auquel cas l’entreprise chinoise serait accusée de vol de propriété intellectuelle) ? Quel type de semi-conducteurs développés par Nvidia sont réellement utilisés par DeepSeek ? En d’autres termes, s’agit-il de semi-conducteurs plus anciens et moins puissants, comme le suggère l’entreprise chinoise, ou des dernières puces H100 qui auraient contourné les restrictions d’exportation de technologies américaines sensibles vers la Chine ? Quels sont les coûts réels « cachés » du développement, de l’entraînement du modèle et de l’accès aux données que DeepSeek n’a pas divulgués ?

S’il est prouvé qu’une entreprise peut créer et faire fonctionner des modèles d’IA à peu près similaires à ceux développés par les entreprises américaines (ou même plus performants) avec moins de ressources (ce qui est la définition des gains de productivité), cela aura des répercussions économiques et financières significatives.

Pour Nvidia, l’annonce du week-end dernier soulève des questions sur les achats massifs de puces par les fournisseurs de services cloud américains (Amazon, Alphabet, Microsoft, Meta) et sur les éventuels surinvestissements passés. Si le stock de puissance de calcul accumulé par ces entreprises peut être optimisé pour développer davantage de modèles d’IA, cela représente un risque pour la demande future de semi-conducteurs.

D’un autre côté, les actions des entreprises qui dépensent le plus dans l’infrastructure IA (comme Meta, Alphabet, Amazon, Microsoft) ont bien performé suite à l’annonce de DeepSeek. Ces avancées technologiques signifient potentiellement des dépenses d’investissement moindres pour ces entreprises. Cela dit, la saison des résultats bat son plein aux États-Unis, et les premiers commentaires de Meta et Microsoft (deux clients importants de Nvidia) ne suggèrent actuellement pas de ralentissement des dépenses d’investissement dans l’IA.

Du micro au macro : les avancées technologiques devraient bénéficier au reste du marché américain

Une diminution des coûts de production des modèles de langage devrait bénéficier aux entreprises de la plupart des secteurs. En effet, les entreprises pourraient accéder à l’IA à moindre coût, ce qui pourrait entraîner des coûts de production optimisés et donc aider à améliorer leur rentabilité.

Alors que de nombreux analystes parlent de DeepSeek comme le « moment Spoutnik » pour l’IA, c’est-à-dire un déclencheur pour créer des investissements encore plus importants afin d’assurer la suprématie États-Unis versus Chine, nous nous associons davantage au parallèle tracé par le PDG de Microsoft, Satya Nadella, avec le « paradoxe de Jevons ». Ce phénomène se produit lorsque les avancées technologiques augmentent l’efficacité d’une ressource, réduisant ainsi la quantité requise pour une application unique. Cependant, comme le coût d’utilisation de la ressource diminue, la demande globale augmente au point où la consommation totale de la ressource augmente plutôt que de diminuer. Peut-être que moins de puces sont nécessaires, mais à mesure que le coût baisse, la demande augmentera et nous aurons besoin d’encore plus de puces… Par conséquent, cette avancée technologique pourrait même accélérer l’adoption de l’IA, ce qui, en fin de compte, ne devrait pas nécessairement avoir un impact négatif sur la demande globale de semi-conducteurs et de centres de données.

DeepSeek : quel impact sur les actions américaines ?

Le marché américain était devenu très concentré : au début de l’année, les 10 plus grandes entreprises de l’indice S&P 500 représentaient 38% de l’indice. La réaction du marché n’est donc pas entièrement une surprise. Nous appelons depuis un certain temps à suivre une stratégie d’investissement qui – sans négliger les précieuses actions technologiques – accorde plus de poids à la diversification vers d’autres secteurs de l’économie américaine (voir : CIO Perspectives : Perspectives de janvier pour l’année à venir).

Nous restons positifs sur les actions américaines, tout en élargissant notre horizon d’investissement aux petites et moyennes entreprises américaines, historiquement sous-évaluées par rapport aux grandes entreprises. Ces petites entreprises, plus locales, devraient bénéficier d’une économie américaine solide et de l’agenda de réindustrialisation proposé par le président Trump.

Graphique 1 : Les « 7 Fantastiques » ont été le moteur de la performance des actions américaines cette année grâce à une forte croissance des bénéfices (100=09.2023)

Source: Bloomberg, Indosuez Wealth Management.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page