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Par Augustin Beyot, Directeur Capital Markets, Risk et Finance, cabinet de conseil Chappuis Halder & Co.

Le 2 octobre, le marché monétaire européen a accueilli un nouveau venu : l’Ester, ou €STR. Cet indice a pour but de remplacer totalement l’Eonia d’ici deux ans en devenant le taux sans risque de référence en zone euro. La transition est plus complexe qu’il n’y paraît, surtout pour les banque.

Depuis déjà plusieurs années, les banques centrales préparent la transition vers de nouveaux indices monétaires. Au Royaume-Uni, le Libor va être remplacé par le « Sonia » d’ici 2021. En zone euro, l’Eonia va quant à lui être remplacé par l’« Ester » d’ici 2022. Coïncidence ou volonté, les prénoms féminins sont désormais à l’honneur dans le monde des marchés monétaires européens

Le but : adopter des indices monétaires plus résilients

Pour bien définir le contexte, rappelons que les taux du marché monétaire représentent des « taux sans risque » qui dépendent principalement des taux directeurs fixés par les banques centrales. Ils sont utilisés dans de très nombreux contrats financiers, aussi bien pour calculer des taux de crédit bancaire, déterminer les rendements des livrets d’épargne ou servir d’indices de référence. On comprend donc que le remplacement de l’Eonia et du Libor n’est pas une mince affaire.

Si cette transition est nécessaire malgré le casse-tête qu’elle engendre, c’est pour trois raisons : plus de transparence, plus de supervision et plus de liquidité. En effet, le « scandale du Libor » avait étalé au grand jour en 2012 que les banques pouvaient manipuler les anciens indices monétaires selon leurs intérêts, d’où un besoin accru de transparence et de supervision. Par ailleurs, les réglementations de Bâle III, en poussant les banques à limiter leur utilisation des produits dérivés, avaient engendré indirectement une moindre liquidité sur ces mêmes indices monétaires qui arrivaient donc en bout de course.

Un casse-tête pour les banques

La BCE a donc lancé l’Ester le 2 octobre dernier : deux références coexistent ainsi sur le marché monétaire européen puisque l’Eonia ne sera supprimé que le 1er janvier 2022, et non le 1er janvier 2020 comme initialement prévu. Pour gérer une transition en douceur entre les deux indices, l’Ester reste par ailleurs temporairement indexé à l’Eonia avec une différence de +8,5 points de base (0,085%). Cette marge fixe a l’avantage de créer une stabilité entre ces deux références.

Pour les banques, l’adoption des nouveaux indices monétaires reste néanmoins un véritable défi. Qu’elle soit graduelle ou bien de type « big bang », cette transition s’accompagne d’un effort herculéen pour ces acteurs tant sur les aspects informatiques, comptables, financiers que juridiques ou commerciaux. La quasi-totalité de leurs activités sont en effet concernées par ce changement qui impacte non seulement leur cœur de métier (activités de marché et de prêts) mais aussi leurs fonctions supports et leur back office. Les banques sont conscientes de ces défis, connaissent leurs propres faiblesses et savent qu’elles doivent agir sans tarder.

Enfin, la situation est très paradoxale pour les banques puisque celles-ci sont à la fois actrices et spectatrices de cette transition. Actrices, car ce sont elles qui créent la liquidité d’un indice monétaire en traitant sur ce marché. Spectatrices, car chaque banque a intérêt à attendre que d’autres établissements créent cette liquidité avant elle. Quitter l’Eonia pour utiliser l’Ester ne se fera donc pas en un jour, mais il ne fait aucun doute que ce paradoxe sera résolu d’ici deux ans.

Un défi supplémentaire : éduquer les clients

Mais pour que la transition soit un succès dans les deux ans à venir, un autre défi attend les banques européennes : convertir leur clientèle entreprise et privée à ces nouveaux indices. C’est en effet sur les banques que repose la tâche d’éduquer les parties prenantes pour les familiariser avec l’Ester ou le Sonia.

En zone euro, de nombreux clients s’étaient habitués à ce que leurs contrats soient liés au taux de l’Eonia. On estime que plus de 190.000 milliards d’euros de contrats financiers sont liés au Libor et que plus de 150.000 milliards d’euros de contrats sont liés à l’Eonia ou à l’Euribor en zone euro. Le travail de pédagogie à réaliser est donc colossal, tant les parties prenantes sont nombreuses et tant les montants impliqués directement ou indirectement sont élevés. Un travail nécessaire qui peut également être vu comme une opportunité de renforcer la relation client dans un contexte de taux bas et de compétition féroce entre les acteurs de la place.

Que l’on se rassure tout de même : malgré une transition qui s’annonce lourde et parfois difficile à mettre en œuvre, les nouveaux indices monétaires ne poseront aucune difficulté d’utilisation lorsqu’ils seront définitivement adoptés. Comme pour la transition écologique, le plus dur est simplement d’adopter de nouveaux réflexes !

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