Par Arnaud du Plessis, gérant actions thématiques spécialisé sur l’or et les ressources naturelles,
et Thomas Page-Lecuyer, spécialiste investissement senior chez CPR AM
Beaucoup d’encre a coulé au sujet du lien entre inflation et or, d’autant plus dans un contexte de reflation et de hausse des taux directeurs. Des milliers d’études ont rapporté le pouvoir protecteur de l’or en cas d’accélération des prix à la consommation, les trajectoires de taux nominaux et taux réels attestant d’une corrélation forte et prouvée entre ces facteurs. Mais, au moment où la Réserve Fédérale américaine sonne la fin de la récréation, au moment où le caractère accommodant des politiques monétaires disparait au profit de modèles plus restrictifs, est-ce si pertinent ?
Historiquement, c’est vrai, le cours de l’or se replie quand les taux réels augmentent et inversement, la relation a été constatée à de nombreuses reprises et sur le long terme, malgré des divergences transitoires. Et c’est somme toute normal d’ailleurs puisque le recul des taux réels témoignent d’un moindre intérêt pour le spectre obligataire ; l’actif aurifère, même sans rendement, devient alors attractif. Le contraire est vrai. Et souvent, le taux d’inflation est le premier déclencheur puisque les taux d’intérêts réels sont calculés en soustrayant le taux d’inflation au taux d’intérêt nominal. Des prix à la consommation en hausse pèsent donc sur les taux réels si tant est que les taux nominaux demeurent inchangés. La méthode de calcul est donc confirmée, et le lien de corrélation éprouvé depuis des décennies.
L’économiste John Exter s’est efforcé de le démontrer avec sa pyramide inversée, prouvant que l’or demeure l’actif le plus fiable et le plus liquide en période de crises déflationnistes, au contraire des actifs les moins liquides, l’immobilier et les produits dérivés. Par ailleurs, il prouve aussi que le cours de l’actif aurifère surperforme celui des autres actifs en période de forte inflation, offrant ainsi un profil adéquate en cas de trop faible ou trop forte inflation. La théorie est juste, certes, les taux réels sont mis sous pression si les prix à la consommation augmentent (et dans ce cas l’or devient très intéressant), mais il ne faut pas occulter les taux nominaux de la formule. Car tout cela fonctionne si tant est que ces taux demeurent stables…or, ce n’est pas tout le temps le cas.
Les taux d’intérêt nominaux ont tendance à s’ajuster en fonction des anticipations d’inflation, et alors la rapidité de l’ajustement des taux nominaux à l’inflation a son rôle à jouer. Lorsqu’une amélioration macroéconomique est anticipée, les taux nominaux ont tendance à monter, les taux réels aussi. Et ces deux derniers ont tendance à se replier en période de politique monétaire accommodante. En conséquence, le cours de l’or a tendance à se déprécier lorsque les perspectives macroéconomiques s’améliorent, et à s’apprécier en cas d’assouplissement monétaire. Encore une fois, on évoque la corrélation historique des deux actifs. Mais est-ce l’ajustement des taux qui créé les fluctuations de l’once d’or ou l’apparition de risques systémiques suivis de période de détente ?
En effet, il ne faut pas oublier l’essentiel, l’or ne doit pas être envisagé comme un investissement traditionnel, pour une classe d’actifs comme les autres, il s’agit d’un actif improductif sans rendement, dont le but n’est pas d’en créer, mais au contraire de préserver un patrimoine. Son rôle secondaire réside dans la diversification, afin de réduire le risque global d’un portefeuille en contrebalançant le risque des autres actifs, la dé corrélation de l’once d’or vis-à-vis de ces derniers la rendant très diversifiante. Il faut évoquer son rôle de valeur refuge dès qu’un risque systémique apparait, en cas d’incertitudes politiques ou géopolitiques. L’investissement dans l’or n’est pas destiné à faire des gains à court terme, mais offre une protection à long terme. C’est une assurance en somme. On peut donc légitimement se poser la question du véritable déclencheur des fluctuations du cours de l’or.
C’est d’autant plus vrai que nous avons récemment constaté certaines aberrations sur le marché. Si l’or est un investissement pro-inflation et les obligations un investissement pro déflation, ils n’ont l’un et l’autre aucune raison de fluctuer dans le même sens durablement. Or, depuis 2016, c’est souvent le cas. Preuve en est que l’inflation n’est pas le seul, ni même le principal facteur déclenchant de l’or.