Mon. Dec 2nd, 2024

Par Tiffany WILDING, économiste de PIMCO sur le rendement des bons du Trésor américain
Les points de vue exprimés sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement les positions officielles de PIMCO.

Depuis mars 2022, période 

à laquelle la Réserve fédérale a commencé à relever ses taux pour tenter d’

enrayer l’inflation aux États-Unis, le rendement des obligations du Trésor américain à 10 ans a fluctué, parfois violemment, mais est globalement resté 

dans une fourchette large

 de 3,5 % à 5 %. 
Ces fortes variations ont coïncidé avec de nouvelles craintes d’inflation (notamment en début d’année) et d’instabilité financière (avec des turbulences bancaires en mars 2023). Toutefois, en lissant ces épisodes, le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a été de 3,87 % le dernier jour de bourse de 2022, de même que le dernier jour de bourse de 2023 et, tout récemment, de 3,87 % en moyenne au cours du mois d’août 2024. Cela, malgré l’accès de la volatilité des marchés mondiaux, notamment les violentes fluctuations des marchés des devises et des actions au Japon. 

À l’heure où nous écrivons ces lignes, le rendement à 10 ans se négocie un peu en dessous de sa moyenne du mois d’août, mais la question plus générale : les fluctuations récentes ne sont-elles que des soubresauts supplémentaires au sein d’un marché des emprunts d’État américains limité ? 

➔ Un retour possible aux conditions prépandémiques sur les marchés développés ?

Les évolutions du marché et les chocs imprévisibles sont susceptibles de brouiller les prévisions. Ceci dit, les économies des pays développés ressemblent davantage à ce qu’elles étaient en 2019 qu’à n’importe quel moment depuis la pandémie. Dans ce contexte, la question la plus pertinente est : pourquoi les taux d’intérêt sont-ils encore bien supérieurs à ce qu’ils étaient en 2019 ?

Sur ces cinq points essentiels, les conditions économiques des marchés développés ressemblent aujourd’hui de plus en plus à celles de 2019 : 

L’inflation : après avoir culminé entre 8 % et 10 %, les niveaux d’inflation globale des marchés développés sont maintenant revenus à environ 2 points. En juillet 2024, l’inflation globale dans ces pays (pondérée en fonction du PIB) était de 2,8 %. C’est encore un peu plus d’un point de pourcentage au-dessus de l’inflation globale moyenne de 1,5 % réalisée entre 2016 et 2019, mais c’est à portée des objectifs des banques centrales. L’inflation des services de base explique la majeure partie de la différence, mais le refroidissement des marchés de l’emploi devrait favoriser une normalisation éventuelle de ces catégories d’inflation plus « collantes ».

Les marchés du travail : les années post-pandémiques de déséquilibre du marché de l’emploi et de graves pénuries de main-d’œuvre sont probablement derrière nous. Aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Canada, les ratios postes vacants/travailleurs sans emploi (une mesure de l’équilibre entre l’offre et la demande de main-d’œuvre) sont désormais égaux ou inférieurs aux niveaux de 2019. Et comme les taux de chômage sont généralement en hausse, les marchés de l’emploi risquent sans doute de s’emballer à la baisse.

Richesse réelle : les aides publiques accordées pendant la pandémie ont eu pour effet d’accroître la richesse réelle accumulée par les ménages et les entreprises dans de nombreux pays développés. Cela a soutenu la croissance à des degrés divers, en particulier aux États-Unis, où les mesures de relance budgétaire plus importantes ont mis plus de temps à se normaliser. Toutefois, l’inflation élevée et les faibles taux d’épargne nominaux ont largement normalisé ces équilibres. Selon les flux de fonds des marchés développés, les liquidités et la valeur nette des ménages en pourcentage du PIB sont désormais égales ou inférieures aux tendances d’avant pandémie dans tous ces pays, y compris aux États-Unis, qui se distinguaient auparavant par des résultats positifs. Les données relatives aux impayés montrent également que la richesse réelle des États-Unis s’est normalisée selon une étude récente de la Fed de San Francisco.

Les chaînes d’approvisionnement : la pandémie a perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales au niveau des délais de production, d’expédition, de capacité des entrepôts. Bien que les coûts d’expédition sur certains itinéraires aient à nouveau récemment augmenté (les opérateurs logistiques mondiaux signalant la constitution de stocks en raison de l’incertitude croissante du commerce), l’ensemble de ces mesures est revenu à un niveau d’avant pandémie, selon le New York Fed’s Global Supply Chain Pressure Index. 

Les attentes en matière d’inflation : au cours de la période 2015-2019, les anticipations d’inflation à long terme ont semblé glisser en dessous des objectifs des banques centrales (généralement 2 %) après une décennie d’inflation inférieure à l’objectif. La pandémie et les chocs inflationnistes qui ont suivi semblent avoir ramené les attentes à long terme dans des fourchettes plus compatibles avec les objectifs de la banque centrale. Toutefois, en général, les anticipations d’inflation sont restées remarquablement stables durant cette période. Les prévisionnistes prévoit maintenant une inflation de 2 % au cours des cinq prochaines années en Europe, ce qui est similaire à l’opinion des professionnels aux États-Unis. De même, les attentes d’inflation implicites du marché (mesurées par le point mort d’inflation à 5 ans et à 5 ans, c’est-à-dire la différence de rendement entre les bons du Trésor nominaux et les bons du Trésor indexés sur l’inflation) indiquent des attentes d’inflation à plus long terme de 2 % à 2,5 % depuis janvier 2021.

 Des exceptions cruciales

Malgré toutes ces similitudes macroéconomiques avec 2019, il existe des exceptions notables que nous pourrions limiter à ces trois points :

Les bilans des gouvernements : En l’absence d’une austérité budgétaire plus prononcée, la pandémie aurait pour conséquence persistante à long terme d’alourdir le fardeau de la dette publique. Les perspectives de la dette américaine semblent particulièrement difficiles, ce qui pourrait entraîner une augmentation de la prime de terme au fil du temps.

La Chine : les risques de dégradation de l’économie chinoise se sont accrus. La contraction spectaculaire du secteur immobilier chinois après la pandémie rend le pays de plus en plus dépendant d’une stratégie de croissance fondée sur les exportations. Compte tenu des tensions commerciales croissantes – non seulement avec les pays occidentaux, mais aussi avec de nombreux pays émergents – la viabilité de cette stratégie est remise en question. Sans un soutien direct supplémentaire du gouvernement à la consommation, que les responsables semblent réticents à fournir, il est difficile de voir comment la Chine pourra maintenir un objectif de croissance de 5 % en 2025 et au-delà. 

Les taux directeurs des banques centrales : bien qu’ils aient commencé à baisser dans certains pays, les taux des banques centrales restent en général non seulement bien au-dessus des niveaux de 2019, mais aussi au-dessus des niveaux optimaux indiqués par les règles simples de politique monétaire. L’implication d’une réduction « tardive » par rapport aux conditions économiques, est qu’il est maintenant possible de réduire les taux plus rapidement dans une série de scénarios économiques.

 Des économies comparables à celles de 2019 appellent-elles des taux comparables à ceux de 2019 ?

Pour en revenir à la question initiale, si les économies des pays développés ressemblent davantage à celles de 2019, pourquoi les rendements à 10 ans n’établiraient-ils pas également de nouvelles fourchettes inférieures ? 

Il est possible que les rendements du Trésor américain à 10 ans ne retombent pas complètement aux niveaux de 2019, et ce pour plusieurs raisons : les attentes en matière d’inflation à long terme semblent désormais plus ancrées dans les objectifs des banques centrales qu’en deçà ; la pandémie aura pour conséquence durable d’alourdir la dette publique ; et l’élection américaine est une source de perturbations potentielles. 

En revanche, l’effondrement du secteur immobilier en Chine après la pandémie et les limites potentielles de sa stratégie de croissance fondée sur les exportations signifient que la Chine représente un risque plus important qu’auparavant pour la croissance mondiale. Par ailleurs, si l’on compare le prix actuel du taux réel américain à 5 ans et à 5 ans, soit 1,7 %, à notre estimation de la fourchette de taux d’intérêt réels neutres, soit 0 %-1 %, il semble que les taux puissent se normaliser dans le cadre d’une série de scénarios économiques.

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