Par Michael Ho, Responsable mondial de la gestion Multi-Asset et alternative – Janus Henderson
De nombreux investisseurs se demandent si le moment est venu de renforcer leur allocation aux investissements alternatifs. Il est selon nous prudent de vraiment chercher la diversification, mais pour Michael Ho, choisir la bonne option nécessite une grande rigueur.
Ces 15 dernières années, les investissements alternatifs ont vu leur popularité
croître auprès des investisseurs. Selon une enquête récente de BCG
Consulting Group, les actifs sous gestion des investissements alternatifs
enregistrent une croissance plus soutenue que les autres catégories
d’investissement, à l’exception des gestions passives. Cette enquête montre
également que ce seront probablement les investissements alternatifs liquides,
les infrastructures, la dette privée et le capital-investissement qui profiteront le
plus de la croissance anticipée des investissements alternatifs. Les
investisseurs semblent de plus en plus nombreux à associer une allocation
stratégique aux gestions passives et une allocation secondaire aux sources
d’alpha, via essentiellement les investissements alternatifs.
Compte tenu de l’hétérogénéité de ces derniers, les questions des clients
portent souvent sur leur potentiel de diversification par rapport aux classes
d’actifs traditionnelles. Ils s’intéressent également aux stratégies de
performance absolue, aux bienfaits des investissements alternatifs en fin de
cycle économique et les instruments les mieux adaptés aux conditions à venir.
Nous allons essayer de répondre à certaines de ces questions.
La sélectivité, une nécessité
Lorsqu’on analyse les avantages des
investissements alternatifs, il faut avoir
conscience de son manque
d’homogénéité. Aucune approche globale
ne fonctionne et il faut s’abstenir de faire
des généralisations. Actuellement, dans
son ensemble, la catégorie des
investissements alternatifs n’est pas
attractive. Ce constat s’appuie sur plus de
25 années de performances du secteur
des hedge funds, synonyme de gestion
alternative pour de nombreux
investisseurs. Selon les données
statistiques, les performances ont diminué
sur la période, avec un alpha estimé
actuellement à -2 % par an. Tendance
encore plus négative, plus de 90 % des
variations des performances (leur principal
catalyseur) s’explique par une exposition à
l’indice S&P 500®.
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Ce qui montre que les
hedge funds, pris dans leur globalité, ne
delivrent pas actuellement les sources de
diversification pour lesquelles ils étaient
utilisés auparavant.
Selon nous, les investisseurs peuvent
profiter des stratégies alternatives
exposées à diverses primes de risque
alternatives et stratégies de hedge fund,
plutôt que de s’appuyer uniquement sur
le bêta des actions. Sur le long terme, les
investissements alternatifs devraient
afficher une exposition nette aux marchés
actions et obligataires proche de zéro.
Le capital-investissement
est-il mal compris ?
Le capital-investissement peut-il être la
solution ? Là-encore, nous pensons que
cette classe d’actifs n’offre pas la
diversification et l’alpha auxquels elle est
généralement associée. L’un des
principaux obstacles est le lissage des VL
lié à la fréquence limitée des évaluations
au prix du marché des participations des
portefeuilles. Dans une enquête récente,
l’université Brigham Young2
s’est penchée
sur les transactions du marché
secondaire pour mieux cerner les sources
de performance. Elle a montré que le
capital-investissement générait un bêta
actions élevé (supérieur à 1) et un alpha
faible (non statistiquement différent de 0).
Les performances totales élevées
généralement associées aux
investissements dans le private equity et
les fonds de LBO s’expliquent par un
levier d’endettement très important, d’où
le niveau élevé du bêta action.
Connaissez vos sources de
performance
Toutes ces caractéristiques ne sont pas
nécessairement négatives. L’intérêt des
investissements alternatifs tient surtout à
leur diversité et à l’existence de gérants
ayant démontré leur capacité à générer de
l’alpha. Les indices HFRI (Hedge Funds
Research®) montrent qu’une approche
reposant sur un bêta action plus faible
(moins de 25 %) peut porter ses fruits.
De nombreuses stratégies à faible bêta
action adoptent un style de gestion
« relative value » ou macro. Il est
rassurant de constater que les gestions
reposant sur des expertises spécifiques
existent encore et, si la volatilité
augmente comme prévu en 2020, les
investisseurs pourraient largement
bénéficier de ce type d’approche.
Un marché baissier est-il
possible en 2020 ?
Pour notre part, nous nous intéressons aux
facteurs structurels pour identifier les
anomalies de valorisation du risque. En
2020, nous pensons que cette fin de cycle
va rendre vulnérables les marchés aux
chocs potentiels, en particulier pour le
secteur privé, et certaines dynamiques de
marché à l’œuvre pourraient pénaliser les
classes d’actifs traditionnelles.
Après la crise financière mondiale, les
multiples de valorisation des actions
(ratios cours-bénéfices) avaient fortement
augmenté, tout comme l’endettement des
entreprises. Ces évolutions n’étaient que
la conséquence des volumes
gigantesques de titres rachetés par les
entreprises. Ces dernières sont en
effet les plus gros acheteurs d’actions
américaines depuis 2009 (3 600
milliards de dollars), selon Bank of
America Merrill Lynch Research3
(cf. Graphique 2).
Et c’est grâce à la faiblesse des
rendements obligataires que les
entreprises ont pu accroître à moindre
frais leur levier financier. Extrapoler cette
tendance en 2020 pose deux types de
risque. Premièrement, les rendements
réels des titres à 10 ans ont déjà atteint
leurs plus bas historiques et intègrent un
scénario de croissance extrêmement
négatif. Ces rendements sont selon nous
trop faibles et aucune raison ne justifie
leur maintien en territoire négatif sur le
long terme, sauf au Japon.
Deuxièmement, les marges bénéficiaires
des entreprises sont déjà au plus haut et
commencent à s’effriter. Ces deux
facteurs pourraient compliquer les futurs
rachats d’actions.
Nous pensons qu’un marché baissier peut
se concrétiser lorsque les investisseurs
prennent vraiment conscience que la
croissance des bénéfices par action (BPA)
des dernières années a été alimentée par
ces opérations de rachat. Si ce
mécanisme était ralenti par l’augmentation
des coûts de financement des entreprises
et la baisse de leurs marges, nous
pourrions rapidement être confrontés à
une dynamique de marché baissière, en
totale opposition avec le cycle favorable
des dix dernières années. Si l’on ajoute à
cela le potentiel de performance limité des
marchés obligataires, les investisseurs
pourraient décider de s’affranchir des
classes d’actifs traditionnelles. Dans ce
contexte, les investisseurs ont tout intérêt à
combiner des sources de performance
diversifiantes, mais ils doivent comprendre
parfaitement la source de performance
exploitée par leur gérant et savoir à quoi
s’attendre en cas de tensions sur les
marchés. Cette approche, qui semble tout
indiquée dans la phase actuelle du cycle
économique, porte également ses fruits
sur le long terme.
Stratégie de performance absolue – une approche toujours valide ?
Pour beaucoup, les stratégies de performance absolue n’ont
pas tenu leurs promesses depuis la crise financière mondiale.
Cela est dû en grande partie aux performances élevées et
régulières générées par l’indice S&P 500 et la faible
dispersion des rendements boursiers. Les actions ont été
soutenues par les politiques monétaires non-conventionnelles
instaurées en 2009 et interrompues progressivement en 2018.
Ces politiques ont initié une période marquée par des
performances aussi régulières que dans les années 1990
(cf. Graphique 1). Dans cet environnement, compte tenu de
la capacité de la gestion passive à générer des niveaux de
performances deux fois plus élevées que les niveaux de
volatilité, pourquoi voudrait-on investir ailleurs ?
Le danger tient à une extrapolation indéfinie de cette
approche. L’histoire montre que les investissements passifs
les plus élémentaires peuvent connaître des épisodes
violents de volatilité. Les événements de 2008 et de 2000-
2002 se sont révélés extrêmement douloureux, en particulier
pour les retraités. Lors des périodes qui ont suivi ces crises,
les retraités qui étaient investis uniquement en actions ont
subi des pertes nominales sur 5 ans (cf. Graphique 1).
Aujourd’hui, la situation est exacerbée par le vieillissement
démographique dans les pays développés. Compte tenu de
l’augmentation des retraités, la société tout entière devient
de plus de plus sensible aux pertes en capital et les
conséquences potentielles pourraient être très marquées.
Il est important de ne pas se laisser duper par l’assouplissement des conditions monétaires des dix dernières années et son impact sur les performances des classes d’actifs. Un portefeuille associant diverses sources de performances, via une stratégie de performance absolue spécifique ou via des investissements alternatifs ou multi-assets, pourrait se révéler bénéfique dans le contexte de faible croissance qui se profile.
GRAPHIQUE 2 : LES RACHATS D’ACTIONS SOUTIENNENT LES GAINS
Les entreprises sont les plus gros acheteurs d’actions depuis 2009, ce qui a entraîné une augmentation des ratios cours/bénéfices et du levier financier. Cependant, avec l’augmentation probable des coûts d’emprunt et la baisse des marges bénéficiaires des entreprises, les rachats d’actions pourraient ralentir à l’avenir.