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L’Inde, première puissance démographique du monde avec plus de 1,4 milliard d’habitants, est devenue la cinquième puissance économique mondiale, devant la France. Elle pourrait dépasser assez rapidement l’Allemagne et le Japon. En 2024, le pays devrait connaitre une croissance de plus de 6 % quand celle de l’économie mondiale est attendue à 2,4 %. Au troisième trimestre 2023, la croissance indienne sur douze mois a été proche de 8 %. Le Premier ministre en place depuis 2014, Narendra Modi, met en avant son bilan économique en vue des élections législatives de cette année qui amèneront 900 millions d’Indiens à voter. 

 

10 ans de Narendra Modi

 

Le bilan de Narendra Modi est dans les faits plus ambigu. Son populisme sert à masquer certaines faiblesses. Si la croissance a dépassé celle de la plupart des économies émergentes, l’amélioration des conditions de vie de la population est faible. Le PIB par personne de l’Inde en parité de pouvoir d’achat, a augmenté à un rythme moyen de 4,3 % par an de 2014 à 2023. Ce chiffre est inférieur aux 6,2 % obtenus par Manmohan Singh, son prédécesseur qui a occupé le poste également durant dix ans. Le Premier Ministre actuel a dû faire face à une série de crises comme l’épidémie de covid. Les banques indiennes ont été confrontées à une progression des créances douteuses ce qui a entravé la croissance du crédit. La corruption qui gangrène l’économie indienne a fait l’objet d’une attention toute particulière. En 2016, Narendra Modi a mené une grande opération de démonétisation en retirant de la circulation deux grandes coupures fortement utilisées dans le cadre de l’économie parallèle. L’interdiction de ces deux billets a réduit de 86 % les roupies en numéraire en circulation. Tout l’argent liquide s’est retrouvé dans le système bancaire, ce qui suggère que les malfaiteurs avaient légalisé une partie de leurs gains et qu’ils utilisaient des modes de paiement numérique. L’investissement et le crédit des ménages ont été fortement touchés par la démonétisation. Celle-ci a néanmoins accéléré la numérisation de l’Inde.

L’infrastructure publique numérique du pays comprend désormais des systèmes d’identité universelle, de paiement et de gestion des données personnelles pour des éléments tels que les documents fiscaux. Il avait été conçu par le gouvernement du prédécesseur de Narendra Modi mais c’est ce dernier qui a réussi à les mettre en œuvre. Les paiements de détail dans les villes sont désormais majoritairement numériques et la plupart des transferts sociaux ont été numérisés. Cette politique a aidé Narendra Modi à réduire la pauvreté en facilitant le versement des prestations sociales. Auparavant, les aides sociales étaient captées par des réseaux d’escrocs et n’arrivaient pas à leurs destinataires. Grâce à la numérisation des prestations, le taux de pauvreté (la proportion de personnes vivant avec moins de 2,15 dollars par jour) est passé de 19 % en 2015 à 12 % en 2021.

 

Sur le terrain économique, Narendra Modi a contribué à rendre plus homogène le marché indien qui était jusqu’à son arrivée au poste de Premier Ministre segmenté en raison d’un grand nombre d’impôts et de taxes. Il a institué, en 2017, une taxe nationale sur les produits et services (TPS). La combinaison de systèmes de paiement modernes et d’une fiscalité homogène a permis l’émergence d’un marché unique national rendent plus facile les échanges et la création d’entreprises. Les rentrées fiscales ont augmenté permettant de financer des investissements publics comme les routes et les ponts. L’investissement public est ainsi passé de 3,5 % du PIB en 2019 à près de 4,5 % en 2022 et 2023.

 

Une industrialisation relative du pays

 

Le gouvernement de Narendra Modi a pour objectif une industrialisation rapide du pays. En 2020, il a lancé un programme d’aides aux entreprises industrielle portant sur 26 milliards de dollars (1 % du PIB). En 2021, il a promis 10 milliards de dollars pour inciter les entreprises de semi-conducteurs à construire des usines en Inde. Le Premier Ministre entend profiter des tensions entre la Chine et les États-Unis pour attirer des investisseurs internationaux. En septembre 2023, Foxconn, le principal fournisseur d’Apple, a annoncé qu’il doublerait ses investissements en Inde au cours de l’année 2024. Cette entreprise fabrique actuellement environ 10 % des iPhones.  L’entreprise américaine de microprocesseurs, Micron, a construit une usine de 2,75 milliards de dollars en Inde, dans le Gujarat, qui devrait créer 5 000 emplois directs et 15 000 indirects.

 

Le développement industriel de l’Inde demeure malgré tout timide. La valeur des exportations de produits manufacturés stagne autour de 5 % du PIB depuis dix ans. La part du secteur manufacturier dans l’économie a même diminué passant de 18 % du PIB en 2013 à 16 % en 2023. La politique industrielle mise en œuvre obère par ailleurs les finances publiques. Le gouvernement supporte une grande partie es coûts de construction des usines, 70 % pour celle de Micron. Chaque emploi créé coûte 100 000 de dollars aux contribuables. Le Gouvernement pour équilibrer son budget recourt à des droits de douane élevés qui pénalisent les échanges en renchérissant les intrants étrangers. L’Inde souffre également d’un niveau de formation insuffisant de sa population active ainsi que du maintien d’une bureaucratie locale lourde et peu transparente. 

 

Un potentiel à confirmer

 

L’Inde est considérée une économie à fort potentiel malgré ses nombreux problèmes. Un récent rapport d’Axis Bank, une banque indienne affirme que le cycle de l’investissement privé est susceptible de s’inverser, grâce à l’amélioration de la situation financière des banques. Les annonces de nouveaux projets d’investissement par des sociétés privées ont dépassé les 200 milliards de dollars en 2023, selon le centre de surveillance de l’économie indienne, soit deux fois plus qu’en 2019. Les entreprises étrangères sont de plus en plus nombreuses à estimer que l’Inde offre des conditions d’accueil de plus en plus attractives pour leurs investissements. Ce pays constitue une alternative à la Chine.

 

L’incapacité des gouvernements locaux à fournir des services publics de base, tels que l’éducation, pourrait entraver la croissance. Subhash Chandra Garg, ancien secrétaire aux Finances de Narendra Modi, s’inquiète du fait que le gouvernement soit trop enclin aux « subventions » et aux « cadeaux » et que son « engagement en faveur de véritables réformes ne soit plus aussi fort ». Et pourtant, de nombreux Indiens se rendront aux urnes avec un optimisme prudent quant aux changements économiques opérés par leur Premier ministre.

 

Par Philippe Crevel

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