
par Bénédicte Kukla, Chief Strategist – Indosuez Wealth Management
Bien que l’inflation des États-Unis ait été révisée à la baisse à court terme, reflétant les tendances récentes, une réaccélération temporaire reste attendue dans les mois à venir bien que dans une moindre mesure que prévu initialement. Cela contraste fortement avec les perspectives en Europe, et surtout en Chine, où les dynamiques inflationnistes restent plus modérées
ÉTATS-UNIS : INFLATION, QUELLE INFLATION ?
Après un ralentissement au premier trimestre, la croissance du PIB américain au second trimestre devrait être soutenue par une inversion de la contribution du commerce net. Globalement, les prévisions de croissance du PIB pour 2025 restent inchangées à 1,7 % en 2025 et 1,6 % en 2026. Cependant, notre analyse de l’inflation a évolué. L’inflation a été inférieure aux attentes pendant quatre mois consécutifs et s’est alignée sur les prévisions en juin (à 2,7 %). Nous avons révisé nos prévisions annuelles d’inflation à 2,9 % pour 2025 (contre 3,1 %) et 2,8 % pour 2026 (contre 2,9 %). Bien que ces révisions ne soient pas drastiques, elles reflètent une moindre répercussion des droits de douane sur les prix à la consommation. Selon les enquêtes des Réserves fédérales de New York et d’Atlanta, seuls 50 % des droits de douane sont répercutés sur les consommateurs, le reste semble être absorbé par les marges des entreprises et la baisse des prix à l’importation (notamment dans le secteur de l’habillement).
Malgré ce répit à court terme, nous prévoyons une hausse temporaire de l’inflation au second semestre 2025 et au premier semestre 2026. Les enquêtes auprès des entreprises suggèrent que les pressions sur les prix pourraient réapparaître à mesure que le marché du travail se resserre et que la demande se stabilise. Cependant, le rééquilibrage du marché du travail – avec une modération des embauches et un taux de chômage attendu autour de 4,5 % dans les mois à venir – devrait contribuer à ancrer les anticipations d’inflation et limiter les effets de second tour sur les salaires. Sur le plan de la politique monétaire, la Réserve fédérale (Fed) adoptera une approche prudente, les marchés anticipant désormais une position plus accommodante. Nous prévoyons deux baisses des taux d’intérêt en 2025, ramenant le taux des fonds fédéraux à 4 % d’ici la fin de l’année, et deux baisses supplémentaires en 2026 pour atteindre 3,5 %, avec des risques orientés vers davantage de réductions. Cela reflète la conviction de la banque centrale que ce choc inflationniste sera temporaire et que l’économie pourra supporter un assouplissement graduel des conditions monétaires.
Pendant ce temps, les bilans des ménages et des entreprises restent solides, les conditions financières favorables et les chaînes d’approvisionnement résilientes face aux perturbations tarifaires. Les ventes au détail aux États-Unis ont rebondi en juin (+0,6 sur le mois, contre 0,1 % attendu), témoignant de la résilience des consommateurs. Un ralentissement de la croissance est attendu à la fin de 2025, mais il ne devrait pas plonger l’économie en récession, avec une reprise de la croissance prévue en 2026. Cependant, des risques subsistent, notamment la possibilité de baisses de taux supplémentaires si la croissance ralentit plus que prévu. Par ailleurs, le récent « One Big Beautiful Bill Act » a suscité des inquiétudes quant à la trajectoire de la dette américaine, bien qu’il ne soit pas censé apporter un stimulus budgétaire très significatif à court terme.
ZONE EURO : UNE CROISSANCE SURPRISE, MAIS LA PRUDENCE RESTE DE MISE
De l’autre côté de l’Atlantique, la zone euro a bénéficié d’un regain de croissance inattendu. Notre prévision de PIB pour 2025 a été révisée à la hausse de 10 points de base (pb) pour atteindre 1,2 %, tandis que la croissance pour 2026 reste stable à 1,4 %, au-dessus des attentes du consensus. Ce rebond de la croissance s’accompagne toutefois d’une réserve : une grande partie de cette dynamique semble liée à une anticipation des exportations européennes par les États-Unis avant la mise en place de nouveaux droits de douane. La durabilité de cet élan à court terme reste donc incertaine. La volatilité potentielle de la croissance du PIB irlandais constitue, notamment, un risque baissier pour la croissance de la zone euro au second trimestre, avant que le plan de relance budgétaire allemand ne commence à produire ses effets fin 2025.
L’Allemagne, redevenue la locomotive économique de l’Europe, devrait bénéficier des nouvelles réformes fiscales proposé en mai et qui entrera en vigueur dès 2025. Les enquêtes conjoncturelles montrent une résilience relative de l’économie allemande : l’indice IFO des attentes a progressé à 90,70 points en juin 2025, contre 89 points en mai, dépassant les prévisions de 90.
L’inflation dans la zone euro devrait rester stable à 2 % en 2025 et 2026, reflétant des progrès continus vers la stabilité des prix. La Banque centrale européenne (BCE) devrait réduire son taux directeur à 1,75 % en 2025, avec une menace persistante des droits de douane qui pourrait justifier une réduction supplémentaire de 25 pb dans un contexte de commerce mondiale difficile. Sur le front de la désinflation, plusieurs facteurs – notamment un euro fort, une croissance modérée des salaires, des prix du pétrole relativement bénins et des représailles tarifaires limitées de l’UE – devraient contribuer à contenir les pressions inflationnistes.
CHINE : STABILITÉ, MAIS À UN RYTHME PLUS LENT
Le parcours économique de la Chine reste stable, avec une croissance du PIB prévue à 4,5 % pour 2025 et 2026. Le gouvernement continue de privilégier la consommation et l’investissement technologique pour renforcer la productivité et garantir la stabilité à long terme. L’excédent commercial de la Chine a atteint 114,77 milliards de dollars en juin 2025, soutenu par une hausse des exportations de 5,8 % supérieure aux prévisions, dans un contexte d’allègement temporaire des pressions tarifaires avant l’échéance des droits de douane américains d’août. Cependant, l’inflation en Chine a été révisée à la baisse de manière significative. La croissance de l’indice des prix à la consommation (IPC) est désormais attendue à seulement 0,5 % en 2025 (contre 1,4 %) et 1 % en 2026 (contre 1,5 %). Ces ajustements reflètent une déflation persistante des prix à la production et des pressions inflationnistes plus faibles que prévu. Alors que le stimulus budgétaire devrait s’atténuer, la Banque populaire de Chine reste bien positionnée pour fournir un soutien monétaire, avec une nouvelle réduction de 50 pb anticipée en 2025. La capacité de la Chine à maintenir sa croissance repose sur l’accent stratégique du gouvernement sur la consommation et l’innovation, malgré des vents contraires externes.