Fri. Nov 22nd, 2024

Par Gérard Moulin, responsable pôle actions européennes.

Parmi les nombreux exemples foisonnant sur les marchés d’actions, deux valeurs symbolisent à elles seules l’obsolescence des grilles de lecture traditionnelles de la cote. Ce sont Ferrari et Aston Martin.

De fait, comme nous le présagions dans notre lettre du mois de mars, ces deux valeurs n’ont cessé de voir leur parcours boursier se creuser depuis le début de l’année* (+77,98% pour le premier, contre -54,11% pour le second).
Mais comment expliquer ce gouffre entre les trajectoires boursières de ces deux groupes pourtant apparemment si comparables ?
Par l’écartement de leur potentiel de croissance autonome respectif. Dit autrement, par leur capacité très inégale à construire un pricing power durable.

Perception d’une marque exclusive et rare

D’un côté, Ferrari est parvenu à développer une base de clientèle composée de quasi-collectionneurs aussi fidèles que peu regardants sur le prix. En témoignent le succès des séries spéciales et des « supercars », ces modèles uniques vendus à plus d’un million d’euros dont la marge dépasse 40%, l’acceptation systématique de l’ensemble des options proposées par le constructeur, ou encore le délai d’attente allant parfois jusqu’à 36 mois que les clients doivent supporter pour acquérir un modèle. La raison de ce rapport de force exceptionnellement favorable vis-à-vis des clients ? La perception d’une marque exclusive et rare. De fait, l’ensemble de la stratégie du groupe est tendu vers cet objectif. Qu’on en juge par les dernières initiatives. Lors de la présentation des résultats du troisième trimestre, le groupe présentait son association avec Armani, destinée à renforcer plus encore la qualité de présentation de ses produits. A l’opposé, le groupe annonçait parallèlement sa décision de mettre un terme à ses franchises sur certains produits dérivés, dont le maintien risquait de banaliser l’image et de diluer le sentiment d’exclusivité de la marque.

 

Ce pricing power range résolument Ferrari dans le secteur du luxe (comme nous l’annoncions dans notre lettre de mars 2017) aux côtés d’Hermès, dont il partage de nombreux attributs. Cette caractéristique est loin d’être anodine. En découle en effet une résilience intrinsèque dont le secteur de l’automobile est structurellement dépourvu. Pour preuve : la stabilité des ventes dans le temps, la révision régulière à la hausse de la marge d’exploitation du groupe, qui atteint désormais plus de 25%, l’atteinte de l’objectif initial de 1 milliard d’excédent brut d’exploitation avec 1 an d’avance, ou encore l’augmentation de 50% du bénéfice par action en cinq exercices.

Sensibilité à la conjoncture économique

Faute d’être parvenu à construire un pricing power aussi efficace, Aston Martin cumule de son côté les « profit warnings », comme le ferait n’importe quelle valeur automobile, fût-elle de prestige. « L’environnement extérieur difficile souligné en mai s’est aggravé, tout comme les incertitudes macroéconomiques », déclarait le constructeur britannique sur fond de Brexit lors du dernier avertissement en date, reconnaissant par là-même une sensibilité à la conjoncture à laquelle Ferrari est parvenue à s’affranchir durablement. En cause, un moindre attachement à la marque, qui se manifeste par un carnet de commandes nettement inférieur, une plus forte versatilité du ratio « book to bill » (rapport entre les commandes reçues et le montant facturé) et finalement, une marge opérationnelle décevante de 8% (contre 13% attendus), loin des 25% de Ferrari. Et les conséquences boursières sont à la hauteur de ce constat général, avec des accidents de marché brutaux, comme en juillet dernier, mois pendant lequel le titre a perdu jusqu’à 22%. N’est (décidemment) pas Ferrari qui veut.

 

*performances arrêtées au 28 novembre 2019 (source : Boursorama)

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