Par Eric Bleines, Directeur Général de Swiss Life Gestion Privée
Quel bilan dressez-vous de l’année 2023 sur les marchés financiers ?
Eric BLEINES : Elle a été assez exceptionnelle au regard de l’environnement de marché qui est resté marqué par de multiples incertitudes. Le contexte géopolitique est en effet resté très inquiétant tout au long de l’année, avec la guerre en Ukraine, les tensions sino-américaines autour de Taiwan et le conflit israélo-palestinien. Au niveau macroéconomique, 2023 avait débuté par des statistiques d’inflation à plus de 10 % et des prévisions de récession. Même si ces dernières ne se sont pas concrétisées et que la hausse des prix a ralenti, le resserrement monétaire mené par les banques centrales a été considérable. Pourtant, les marchés progressent très fortement sur l’année, notamment en novembre et décembre, et rattrapent une grande partie de ce qu’ils avaient perdu en 2022. Le CAC 40 gagne ainsi 16,5 %, l’EuroStoxx 50 progresse de 19,2 %. Aux États-Unis, le S&P 500 grimpe de 24,2 %, quand le Nasdaq bondit de 43,4 %. Seule la Chine reste en retrait, le CSI 300 perdant 11,3 %. Les marchés obligataires, quant à eux, terminent l’année par une hausse sensible, portée par la perspective de baisses de taux évoquée par Jerome Powell en décembre.
Quels secteurs d’activités ont tiré leur épingle du jeu en Bourse ?
Eric BLEINES : La progression des marchés s’est essentiellement concentrée sur une poignée de valeurs technologiques – les « sept magnifiques » – qui profitent de la très puissante thématique de l’intelligence artificielle : une nouvelle révolution technologique se profile, qui devrait cette fois doper la productivité des « cols blancs ». C’est donc le marché américain qui a tiré l’ensemble des Bourses dans le monde : Apple, qui est la valeur la moins performante parmi les sept magnifiques, a progressé plus vite sur l’année que Novo Nordisk, qui est pourtant la meilleure des grandes valeurs européennes. Le cours du laboratoire pharmaceutique danois, tout comme celui de son concurrent américain Eli Lilly, ont en effet été portés par les promesses de leurs médicaments contre le diabète et l’obésité. On peut également citer le secteur de la construction qui s’est fortement revalorisé cette année, et notamment des titres profitant des investissements dans la rénovation énergétique des bâtiments comme CRH, Saint-Gobain, Schneider Electric ou encore Siemens. Enfin, malgré la crise qui a touché les banques régionales américaines et Credit Suisse au printemps, le secteur financier connaît un beau rebond cette année, en particulier en Europe du Sud, les établissements profitant des hausses de taux pour redresser leur rentabilité.
A l’opposé, quels pans de la cote ont été pénalisés ?
Eric BLEINES : Le secteur des énergies renouvelables, et tout particulièrement les acteurs exposés à l’éolien offshore, ont souffert : des problèmes de fonctionnement des installations, des difficultés de financement, une rentabilité réduite par la hausse des coûts de production ont par exemple conduit un acteur comme Orsted à passer plusieurs milliards de dollars de dépréciations dans ses comptes. Le secteur agroalimentaire a également été à la peine, l’inflation pesant sur la consommation. Le segment des spiritueux a été tout particulièrement touché, avec un déstockage massif lié à la chute de la demande en Chine et aux Etats-Unis. D’une manière plus générale, les acteurs les plus fortement endettés ont été pénalisés, et ceux qui annonçaient des révisions de bénéfices à la baisse ont eu tendance à être durement sanctionnés. Le marché est resté très nerveux, réagissant avec exagération tant à la baisse, comme en octobre, qu’à la hausse, comme en novembre.
Etes-vous confiant pour 2024 ?
Eric BLEINES : L’environnement reste incertain, avec un contexte géopolitique très tendu : les menaces terroristes dans le détroit d’Ormuz et en Mer Rouge ont d’ores et déjà fait doubler le coût du transport maritime, ce qui pourrait avoir un effet sur l’inflation. Au niveau de la croissance, un ralentissement est attendu aux Etats-Unis et dans ce cadre les anticipations de croissance des bénéfices paraissent élevées (+11.2% pour les entreprises américaines) : les marchés risquent de rester nerveux. Mais si la désinflation se poursuit et que les taux baissent, cela redonnera du tonus à la croissance sur la seconde partie d’année. Nous sommes donc raisonnablement optimistes pour 2024 : les marchés devraient progresser mais pas de manière aussi forte qu’en 2023.