Sat. Jul 6th, 2024

 une analyse de Vincent CHAIGNEAU, directeur de la recherche de GENERALI INVESTMENTS

La fin de l’été tourne au vinaigre

Le trimestre s’est terminé, avec une impression de “déjà vu”, les actions et les obligations subissant un mouvement de vente simultané, comme en 2022. Cette situation contraste avec la dynamique du marché du premier semestre 2023, lorsque les prix des obligations et des actions évoluaient pratiquement en sens inverse, ces dernières surperformant. Une corrélation positive reflète souvent une prédominance de la politique monétaire, tandis qu’une corrélation négative traduit la suprématie du cycle et de l’appétit pour le risque.

Contrairement à 2022, le récent mouvement de vente conjoint n’a pas été motivé par des craintes de nouvelles hausses de taux, mais plutôt par des craintes croissantes que les banques centrales (BC) – la Fed en particulier – ne réduiraient pas leurs taux de sitôt. Le taux implicite des fonds fédéraux pour décembre 2023 n’a pratiquement pas changé depuis 3 mois, mais le taux pour décembre 2024 a gagné près de 100 points de base. Au début de l’été, les investisseurs semblaient de plus en plus confiants dans un scénario parfait d’atterrissage en douceur et de désinflation aux États-Unis (et dans le monde). À la fin de l’été, le discours plus « hawkish » des Banques centrales et la flambée des prix du pétrole remettent en question ce scénario idéal. Nous pensons que les prix du marché ne tiennent pas compte d’une réalité plus dure : le fait qu’un ralentissement économique plus substantiel sera nécessaire pour que l’inflation se rapproche de l’objectif.

L’économie mondiale s’affaiblit

Le moteur américain est impressionnant mais fatigué. L’économie mondiale a été très contrastée en 2023, tant au niveau sectoriel que géographique. Le secteur manufacturier est coincé dans une légère récession depuis un an ; les services mondiaux ont plutôt connu une période faste, mais ils commencent à s’essouffler. L’Europe a sombré dans la stagflation, la Chine a déçu, et les Etats-Unis se sont avérés particulièrement résilients.

Pourtant, nous voyons des signes de lassitude aux États-Unis. Nous nous attendions à ce que les consommateurs américains puisent dans l’épargne excédentaire accumulée pendant la pandémie, ce qui a été le cas : cela a permis aux dépenses de consommation réelles de rester sur leur trajectoire à long terme, bien que le revenu réel soit toujours bien inférieur à la trajectoire pre-pandémie. L’excès d’épargne étant désormais largement épuisé, et les tendances du crédit à la consommation et de l’emploi ralentissant (nonobstant des créations d’emplois solides en septembre), nous craignons que le taux d’épargne ne rebondisse et ne freine les dépenses à l’avenir.

Le deuxième facteur – plus étonnant – a été la politique budgétaire qui, malgré un taux de chômage proche des niveaux les plus bas, a été fort expansive : « Bidenomics » à l’œuvre. Le projet de loi de financement pour la nouvelle année fiscale débutant le 1er octobre n’a toujours pas été adopté. Un décret a autorisé un financement jusqu’à la mi-novembre, mais la chute du “speaker” de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, va compliquer les négociations. Un « shutdown » nuirait à l’économie – modestement, à moins qu’il ne dure – mais notre principale préoccupation est qu’un accord finisse par inclure des restrictions de dépenses qui entraîneront un retournement dans l’impulsion fiscale.

Les taux sont un poison à combustion lente

 

La résistance de l’économie américaine à un resserrement de 525 points de base de la Fed est impressionnante, mais il ne faut pas sous-estimer les effets retardés. L’abondance d’emprunts à faible taux et à plus longue durée n’a fait que retarder le stress lié au refinancement de la dette. Les prêts hypothécaires en sont un exemple : le taux à 30 ans a explosé à plus de 7,50%, mais le taux moyen sur l’ensemble de l’encours n’a lui remonté que très doucement (3,60% mi-2023). Au final, l’économie américaine va ralentir – et pas si doucement. Les indicateurs avancés continuent de pointer vers une croissance nulle. Le revenu intérieur brut (RIB) est déjà stable en glissement annuel, ce qui suggère que le ver est déjà dans le fruit.

L’Europe flirte avec la récession, pas de bazooka chinois

 

La guerre en Ukraine, comme prévu, a exercé une pression disproportionnée sur l’économie de la zone euro, qui n’a quasiment pas connu de croissance au cours des douze derniers mois. Les prix du gaz naturel se sont normalisés mais reste quatre fois plus élevés qu’aux USA. La production dans les secteurs à forte consommation d’énergie a chuté. Cela n’a fait qu’ajouter l’insulte à la blessure, car la faible croissance de la productivité et le manque d’innovation sont à l’origine d’une sous-performance économique de longue date. Nous ne voyons aucune raison pour une amélioration soudaine, mais plutôt des signes de stabilisation dans l’économie chinoise en difficulté, en dépit d’un manque de détermination pour une politique « bazooka » qui relancerait la demande. En somme, il ne faut pas s’attendre à ce que la Chine vienne au secours des économies occidentales en difficulté.

Un nouveau choc d’offre ? 

 

Enfin, la récente flambée des prix du pétrole ajoute de nouveaux risques de stagflation. Les prix du Brent ont grimpé de quelque 25 dollars le baril en trois mois, avant d’en reperdre une dizaine depuis fin septembre. Cette flambée est malvenue car elle maintiendra l’inflation globale à un niveau élevé au quatrième trimestre 2023 et nuira à la croissance. La pression sur les prix reflète une pénurie de l’offre, après que l’OPEP+ a réduit ses objectifs de production, sous la direction de l’Arabie saoudite et de la Russie. Cette situation doit être considérée dans le contexte d’un environnement géopolitique en évolution, l’Arabie saoudite ayant récemment rejoint le groupe des BRICS. L’année 2024 sera marquée par d’importantes élections au Parlement européen et aux États-Unis. L’inflation (et l’immigration) sont des menaces majeures pour les majorités en place. L’administration américaine et la commission européenne sous l’égide d’Ursula von der Leyen mènent des politiques de transition énergétique très actives, et il n’est sans doute pas dans l’intérêt de l’industrie de l’énergie fossile de soutenir leurs campagnes. Les investisseurs pourraient donc être confrontés au risque d’une offre de pétrole contrainte et d’une hausse des prix de l’énergie avant ces élections cruciales.

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