Mon. Jul 29th, 2024

Par Vincent CHAIGNEAU, directeur de la recherche de GENERALI INVESTMENTS

Le second tour des élections législatives françaises a réservé une surprise de taille : le Rassemblement national n’a obtenu “que” 143 sièges. Le RN devient ainsi le troisième groupe au Parlement, bien qu’il ait remporté le plus grand nombre de voix au premier tour. 

La stratégie de désistement de candidats entre le Nouveau Front Populaire et la majorité sortante se sont donc avérés très efficaces. Le NFP a remporté 182 sièges, et Ensemble 168 – ce dernier chiffre étant bien supérieur à ce que l’on pouvait espérer après le premier tour.

En d’autres termes, le Parlement est désormais dominé par trois grands blocs : la gauche, le centre et l’extrême droite. Cela le rend relativement instable et il sera difficile pour une majorité d’émerger. On s’attend à ce qu’Emmanuel Macron cherche à s’allier avec la gauche. 

Pour l’instant, il attend que le NFP décide de la personne qu’il souhaite nommer Premier ministre. Dimanche soir, LFI (78 sièges, premier parti au sein du NFP) s’est montrée intransigeante en affirmant que “le programme doit être appliqué dans son intégralité“, tandis que les socialistes, les communistes et les Verts (respectivement 69, 9 et 28 sièges) ont reconnu l’absence de majorité absolue et évoqué la nécessité de se comporter de manière responsable au sein d’une coalition.

Deux scénarios principaux se dessinent. 

  • Une majorité de centre-gauche pourrait émerger, totale ou relative, en fonction de l’évolution de LFI (qui risque elle-même de connaître une crise interne, certains membres, comme François Ruffin, rejetant l’approche intransigeante de Jean-Luc Mélenchon). En d’autres termes, le NFP imploserait. Après tout, il s’agissait d’une alliance électorale et calculée, et non d’un “mariage d’amour“, comme l’a dit Raphaël Glucksmann. Il serait toutefois risqué que la partie non radicale du NFP se sépare déjà de LFI, ce qui pourrait avoir de mauvaises répercussions sur les prochaines élections.
  • Un gouvernement technique, ancré au centre. Celui-ci ne serait pas nécessairement soutenu par une majorité stable, mais essaierait de réunir des majorités opportunistes et potentiellement variables au parlement pour chaque proposition de loi.

Des variations sont possibles. En règle générale, les dirigeants des Républicains ont clairement indiqué qu’ils n’entreraient pas dans une coalition. Renaissance, Modem et Horizon ont déjà déclaré qu’ils ne s’associeraient pas à LFI. D’autres options, telles qu’un gouvernement minoritaire du NFP, semblent difficilement envisageables, car elles seraient rapidement “censurées” par l’Assemblée nationale. 

La prochaine session parlementaire s’ouvrira le 18 juillet et se terminera le 1er août. On peut supposer que la nouvelle Assemblée renversera le gouvernement intérimaire de Gabriel Attal le 20 juillet, ou peu après. La prochaine session ordinaire se déroulera d’octobre à juin. Dans un premier temps, une grande partie de l’agenda sera consacrée au budget 2025, que le nouveau gouvernement aura probablement préparé en août-septembre. 

La réaction du marché a été mitigée, compte tenu de l’incertitude qui règne. Le spread OAT-Bund à 10 ans s’est légèrement resserré, à 65 points de base. Les actions françaises et européennes ouvrent la semaine positivement (environ +0,5% en fin de matinée). L’euro a ouvert en légère baisse mais a maintenant récupéré ses pertes (EUR/USD à 1,0840). Un parlement divisé était notre scénario le plus probable. Cette version pourrait être légèrement moins “toxique” que ce que l’on craignait initialement, car le bloc centriste a largement bénéficié des désistements au second tour. Cela laisse espérer le vote d’un budget “responsable” à l’automne, sous l’œil attentif de la Commission européenne.

Cela dit, la coalition qui pourrait émerger risque d’être très fragile. Par ailleurs, le NFP et le RN, qui ont tous deux appelé à une abrogation de la réforme des retraites, sont en position de le faire, s’ils l’osent ; ce serait un mauvais signal pour le marché. Les résultats électoraux reflètent des alliances plutôt contre nature établies au sein du bloc de gauche avant le second tour, étant donné les grandes différences de points de vue politiques. Il sera donc plus difficile de former une coalition. Même au sein d’Ensemble, l’aile droite pourrait refuser les hausses d’impôts qui résulteraient inévitablement d’une coalition de centre-gauche. Même les alliés d’Emmanuel Macron, comme Gabriel Attal et Édouard Philippe, qui pensent à l’élection présidentielle de 2027, ont commencé à prendre leurs distances avec le Président. Ainsi, la petite vague de soulagement observée lors du second tour pourrait rester sans suite. L’extrême gauche et l’extrême droite ont été domptées, mais les résultats électoraux ne plaident pas en faveur de la stabilité politique ni d’un programme de réformes prometteur.

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