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T+1 : le piège du foreign exchange que personne ne voit venir

Julien Meyfret, Fondateur d’Outpost Synergy Partners 

Vous avez 16 ans et vos parents sont partis pour le weekend. Vous organisez une fête, vous avez invité 20 personnes et 60 arrivent. La musique monte, les verres se renversent, on rit, on s’amuse, votre voisin a déjà appelé trois fois, votre fête est une réussite.

Votre téléphone sonne. Vos parents : « Finalement on rentre, on arrive dans une heure. »

Vous devez faire disparaître les preuves de la fête. Vous commencez par quoi ? Comment mettre vos invités dehors ? Nettoyer la tache de vin rouge sur le canapé ? Impossible. Vous ne contrôlez rien. Et dans une heure, vos parents ouvrent la porte.

C’est ce qui attend les asset managers français le 11 octobre 2027. Ce jour-là, l’Europe bascule en T+1 : toutes les transactions en actions et obligations devront être réglées en moins de 24 heures au lieu de 48. Tout le monde devrait se préparer : analyses d’impact, budgets IT, ateliers avec les custodians.

Mais personne ne parle du véritable goulot d’étranglement : le foreign exchange.

Vendredi 16h30 : bienvenue dans le nouveau quotidien

Le FX n’est pas un détail technique. C’est le point de passage obligé de toute transaction internationale. Il conditionne la livraison des titres, la gestion des liquidités, la valorisation des fonds. Un retard de quelques heures peut bloquer des rachats, déclencher des appels de marge, éroder la performance, élimer une réputation.

Prenons un vendredi après-midi ordinaire. Il est 16h30 à Paris. Votre trader vient de confirmer un achat d’actions américaines de 50 millions de dollars. Lundi est férié aux États-Unis. Votre custodian exige que l’instruction de couverture FX soit transmise avant 18 heures pour respecter les délais du système de règlement international.

Sous T+2, vous aviez jusqu’au lendemain matin pour vérifier la confirmation du broker, ajuster les montants, et lancer la couverture. Vous disposiez de 12 à 18 heures de marge.

Sous T+1, vous avez 90 minutes.

À 16h45, votre middle-office attend toujours la confirmation formelle du broker. Votre procédure standard est d’attendre ce document avant de couvrir. Mais si vous attendez jusqu’à 17h30 et que la confirmation arrive avec un montant légèrement différent, vous n’avez plus le temps de corriger. Vous manquez le cut-off. Vous exposez le fonds à un risque de change pendant trois jours. Ou vous devez couvrir en urgence à 17h55 avec des spreads élargis et une liquidité dégradée. 

La décision doit être prise maintenant. Couvrir sans confirmation et risquer une position orpheline si l’ordre n’est pas exécuté comme prévu ? Ou attendre et laisser le fonds exposé pendant un long weekend ?

Ajoutons une complexité désormais quotidienne sous T+1 : les exécutions partielles. Votre ordre de 50 millions ne se remplit qu’à hauteur de 35 millions en fin de journée. Couvrez-vous immédiatement ces 35 millions, sachant que les 15 millions restants peuvent ne jamais s’exécuter ? Ou attendez-vous demain, en prenant un risque de change overnight sur la partie exécutée ?

Sous T+2, ces arbitrages se faisaient le lendemain avec visibilité complète. Sous T+1, vous décidez en temps réel, sans certitude, avec une pression maximale.

Ce scénario, marginal aujourd’hui, deviendra quotidien. Il se répétera sur chaque trade international, chaque vendredi avant un jour férié, chaque fin de trimestre. Et il soulève une question simple que vos régulateurs ne manqueront pas de poser : qui prendra les décisions ? À quel coût ? Avec quelle autorisation ? Vos procédures documentent-elles ces arbitrages ?

Aux États-Unis, où le T+1 est en vigueur depuis mai 2024, le taux de fails de règlement est passé de 2 à 5 pour cent dans les premiers mois. L’Europe, avec ses multiples fuseaux horaires, calendriers et ses flux multi-devises, est encore plus exposée.

Votre responsabilité fiduciaire est engagée

Le passage au T+1 n’est pas qu’un sujet opérationnel. Il engage directement la responsabilité fiduciaire des asset managers. Les régulateurs, les comités d’investissement, les clients institutionnels demanderont des preuves concrètes de préparation.

Votre custodian peut vous assurer qu’il sera prêt. Votre cabinet de conseil peut avoir identifié tous les risques dans son rapport d’impact. Mais si vos procédures internes ne sont pas testées, documentées et auditables, c’est votre responsabilité et votre réputation qui sont en jeu.

Dès 2026, l’Autorité des marchés financiers et l’Autorité européenne des marchés financiers intégreront le T+1 dans leurs cycles de supervision. Les questions seront nombreuses : quelles procédures avez-vous mises en place pour gérer les contraintes temporelles du FX ? Comment vos équipes arbitrent-elles entre couverture immédiate et attente de confirmation ? Quels stress-tests avez-vous réalisés ? Quels sont vos processus ? Quelle documentation pouvez-vous produire ?

Un slippage FX de trois à cinq points de base sur un portefeuille de 1 milliard d’euros représente 300 000 à 500 000 euros par an. Au-delà des coûts directs, c’est la crédibilité face aux clients institutionnels qui sera en jeu, avec un risque de redemptions et de perte de mandats.

Le fiduciaire ne se délègue pas. Les cabinets de conseil produisent d’excellentes feuilles de route stratégiques. Les custodians gèrent leurs propres infrastructures. Mais entre le diagnostic global et la réalité opérationnelle quotidienne, qui s’assure que vos équipes, vos cut-offs et vos workflows sont vraiment prêts ?

Agir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard

Le 11 octobre 2027, c’est dans 24 mois. Mais la préparation opérationnelle nécessite 12 à 18 mois.

Pour se préparer efficacement, trois chantiers s’imposent. D’abord, auditer votre préparation FX avec une documentation formelle pour les régulateurs : pas un rapport théorique, mais un stress-test de vos process réels. Ensuite, élaborer un playbook opérationnel qui clarifie qui décide quoi, quand, à quel coût, avec quelle autorisation. Enfin, garantir votre indépendance opérationnelle vis-à-vis de vos fournisseurs actuels en testant des solutions alternatives.

Le message est simple : vous serez responsables. Entre le rapport de votre cabinet et la réalité opérationnelle de vos équipes, qui fait le pont ? Le T+1 n’est pas un ajustement technique. C’est un stress test de votre capacité à anticiper, documenter et exécuter sous pression.

Et quand les asset managers réaliseront l’ampleur du problème, il sera trop tard. Les parents seront déjà dans l’allée.

Julien Meyfret :

Fondateur d’Outpost Synergy Partners, Julien a passé plus de 20 ans à Londres et Paris dans les marchés financiers. Il a été Global Head of FX Prime Client Solutions chez HSBC, puis Head of Coverage France chez State Street, où il a piloté des mandats majeurs tels qu’AXA et Lyxor sur leurs besoins FX et custody. Il met aujourd’hui cette expertise unique au service des asset managers français pour les aider à anticiper le choc T+1 et documenter leur préparation fiduciaire.

Plus d’infos : https://www.outpostsynergypartners.fr

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