La guerre en Ukraine efface-t-elle plus de cent ans d’histoire ? Nous ramène-t-elle aux temps immémoriaux des traités issus de la Conférence de la paix de Paris de 1919 qui dessinèrent les frontières de l’Europe, frontières à bien des égards encore les nôtres aujourd’hui ? La victoire des alliés en 1918 se traduisit alors par la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avec l’émergence de sept nouveaux États souverains. Deux de ces États ont depuis disparu : la Tchécoslovaquie qui s’est scindée en deux, dans la paix, grâce à Vaclav Havel, et la Yougoslavie qui a explosé au prix de guerres sanglantes. La chute de l’URSS en 1991 a donné lieu à une renaissance du fait national avec l’apparition de 25 nouveaux États. Le principe de l’intangibilité des frontières issues de la Seconde Guerre mondiale avait été alors posé et respecté tant par l’Allemagne que par la Russie.
L’invasion russe en Ukraine remet en cause ce principe tout en s’inscrivant dans la politique traditionnelle de refus de l’encerclement et de protection des populations russophones. Elle est tout à la fois un conflit de civilisation entre les régimes démocratiques et les régimes autoritaires, et un conflit économique pour l’accès aux énergies et aux matières premières. La Russie qui possède le plus grand territoire de la planète, entre Asie et Europe, a toujours souhaité peser sur le cours de l’histoire. Si ce pays a connu de nombreux déboires militaires, il peut s’enorgueillir d’avoir résisté à de nombreux envahisseurs comme Napoléon ou Hitler. Si son immensité et ses richesses naturelles lui ont permis de maintenir son indépendance, elles n’ont jamais jeté les bases d’un véritable essor économique. Des Tsar à Vladimir Poutine, la puissance économique russe a toujours été un mirage à l’image des villages de Potemkine. La soumission de l’Ukraine à l’ordre russe devait sans nul doute revivifier une économie anémiée et déjà ostracisée par l’Ouest depuis l’annexion de la Crimée. Les dirigeants russes ont, par ailleurs, sans doute considéré que les responsables occidentaux ne pouvaient pas se permettre une crise économique deux ans après le début de l’épidémie de covid-19 et parié qu’ils seraient enclins à fermer les yeux ou du moins à réagir avec modération.
La hausse du cours de l’énergie qui a commencé au milieu de l’année 2021 était-elle censée dissuader une montée aux extrêmes en matière de sanctions ? Cette attaque intervient en début de transition énergétique entraînant la substitution progressive des énergies renouvelables aux énergies fossiles. Cette substitution rebat les cartes économiques et géopolitiques. Depuis le XXe siècle, le monde tourne autour du pétrole dont l’accès conditionne les victoires tant militaires qu’économiques. La vente du gaz et du pétrole représente plus de 30 % du PIB russe et assure plus de 50 % des recettes publiques.
Même si la Russie détient d’importantes réserves de métaux indispensables pour les énergies renouvelables, sa position de force actuelle pourrait être à terme battue en brèche. La volonté d’exploiter son avantage comparatif pourrait aboutir à accélérer la transition et la décarbonation des sources d’énergie. Sur ce sujet, un doute existe, certains estimant que les Occidentaux pourraient recourir au charbon pour compenser le manque de pétrole et de gaz.
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