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Par THOMAS COSTERG – Economiste senior Etats-Unis – Pictet Wealth Management

Article de PERSPECTIVES JUIN / JUILLET 2019 -Pictet AM

Les banques centrales éprouvant des difficultés à sortir des politiques d’assouplissement quantitatif, nous pourrions désormais faire face à un nouveau régime où la politique monétaire demeurerait accommodante du fait des contraintes imposées par le lourd fardeau de la dette publique et privée.

Au cours des dix prochaines années, les politiques d’assouplissement quantitatif menées par les principales banques centrales depuis la crise financière mondiale devraient se transformer en un régime de «domination de la dette», c’est-à-dire un régime monétaire dominé par les contraintes liées à la forte accumulation de dette publique et privée durant la dernière décennie.

C’est d’ailleurs ce que semble confirmer le virage accommodant pris par la Réserve fédérale américaine (Fed) début 2019 (notamment avec l’annonce d’une suspension bien plus tôt que prévu de la réduction de son bilan), qui indique l’émergence d’un régime de domination de la dette très sensible aux conditions de marché et aux liquidités. Selon nous, la Fed continue d’exprimer ainsi un attachement purement théorique au ciblage de l’inflation, au centre de sa politique depuis les années 1980 mais qui devient de moins en moins pertinent.

 

Mais quelle que soit l’approche adoptée, les taux directeurs de la Fed pourraient atteindre un sommet cyclique en 2019 et ne pas sensiblement augmenter au cours de la prochaine décennie, ce qui fait douter de sa capacité et de celle d’autres banques centrales à faire face à la prochaine récession. Il
est donc très probable que les banques centrales lancent une nouvelle salve de rachats d’actifs durant la prochaine phase de ralentissement de l’activité, ou qu’elles abaissent leurs taux d’intérêt directeurs en territoire négatif.

Risque de bulles
Dans le cadre de ce nouveau régime de domination de la dette où la Fed paraît très sensible à l’évolution des cours des actions, des bulles d’actifs pourraient soudainement se former. En effet, il est fort possible que l’impulsion donnée par ce régime aux prix des actifs ne parvienne pas à se faire sentir dans l’économie «réelle», préoccupation exprimée notamment par la BRI, la Banque des règlements internationaux.

Le gonflement des bilans des banques centrales depuis la crise financière donne également du fil à retordre. La décision prise en janvier 2019 par la Fed d’arrêter le processus de réduction de son bilan montre que l’abandon de sa politique d’assouplissement quantitatif est plus problématique qu’anticipé. Et la question des bilans des banques centrales montre à quel point les différentes politiques monétaires sont limitées par la dépendance des marchés à leur égard.

Cette question se pose ainsi avec acuité pour la Banque du Japon notamment, de nombreux observateurs remettant en question la viabilité de son programme massif d’achat d’actions. La Fed prévoit quant à elle de se débarrasser de ses titres adossés à des créances hypothécaires, opération qui pourrait s’avérer délicate alors que le marché immobilier américain ralentit.

En Europe, il s’agit de savoir si le marché des obligations d’entreprise résistera à la réduction du portefeuille obligataire de la BCE (achats nets d’obligations auxquels elle a mis fin en décembre 2018).

Dans l’ensemble, compte tenu du bas niveau des taux directeurs et des bilans hypertrofiés, les banques centrales avancent en terrain inconnu.

Reste à savoir si les économies (et surtout les marchés) s’en sortiront dans un monde où ces dernières abandonnent leurs programmes d’achat d’actifs.
Les banquiers centraux espéraient que la politique budgétaire prendrait le relais une fois que le programme d’assouplissement quantitatif aurait touché à sa fin, mais il semble que les politiques monétaires expansionnistes n’aient pas réussi ou suffi à renforcer les économies.

En conclusion, les banques centrales pourraient être condamnées à maintenir dans un avenir proche des politiques favorables aux marchés ou devoir se préparer à une correction brutale sous la forme de pics importants de volatilité des marchés. Un retour au bon vieux temps, où le passif des banques centrales était essentiellement composé de billets de banque, est donc loin de poindre à l’horizon.

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