Sun. Nov 24th, 2024

Par Sébastien Galy, Macro Stratégiste Senior chez Nordea Asset Management

Parmi les économies émergentes, deux situations sont à suivre de près actuellement : la Turquie, exposée à la lenteur de la croissance économique et au risque de dépréciation de sa monnaie, et l’Inde, dont les secteurs dépendants de la demande risquent de rencontrer encore quelques difficultés d’ici un regain de croissance économiqu

Incertitudes en Turquie

L’économie turque n’est pas encore sortie de récession, mais bénéficie d’ores et déjà d’une nette baisse de l’inflation. Le phénomène s’explique par un simple « effet de base » : les prix ont fortement augmenté en 2018 avec la chute de la livre turque, et augmentent désormais beaucoup moins vite en comparaison. La plupart des observateurs s’attendent donc à ce que la banque centrale turque s’adapte en abaissant prochainement ses taux directeurs. Malgré ce contexte porteur, le gouvernement a décidé, début juillet, de limoger le chef de la banque centrale et de le remplacer par son adjoint. Deux raisons peuvent expliquer cette décision :

  1. Le gouvernement veut se targuer d’être à l’origine du prochain cycle de baisse des taux d’intérêt.
  2. Le gouvernement veut abaisser les taux directeurs plus rapidement que ce que les marchés anticipent.

La livre turque a réagi en chutant immédiatement de 2,8%, suggérant que le marché opte pour la deuxième raison, ce qui n’est pourtant pas évident. Dans tous les cas, la banque centrale devrait entrer dans une phase de baisse régulière de ses taux directeurs, ce qui se traduira en contrepartie par une nouvelle dévalorisation de la livre et davantage d’inflation importée.

 

Le problème est que le secteur privé turc a accumulé une importante dette libellée en dollars et en euros pour profiter de taux d’intérêt plus faibles, et que cette dette sera plus difficile à rembourser si la livre turque baisse. Malheureusement, les réserves de change de la banque centrale sont relativement faibles et celle-ci ne dispose que d’une faible marge de manœuvre pour intervenir sur le marché des changes.

L’économie turque devrait tout de même continuer à croître à un rythme régulier mais lent. Le principal risque concerne les importations de pétrole. Si les prix du brut montaient rapidement, l’impact sur l’économie serait difficile à gérer et la banque centrale serait obligée de remonter ses taux alors même que l’activité économique se contracterait.

 

Conclusion

La prudence reste de mise pour les investissements en Turquie, en particulier sur les marchés obligataires à cause de la lenteur de la croissance économique et du risque de dépréciation de la livre turque. Le risque de transmission aux économies développées est limité, mais l’Allemagne reste plus exposée.

 

Situation mitigée en Inde

L’économie indienne ralentit à cause du tassement de la demande intérieure. Nous nous attendons à ce que ce processus se poursuive, le gouvernement n’ayant pas encore résolu les problèmes liés au développement du shadow banking. La Reserve Bank of India (RBI) contrôle désormais ce secteur, mais il lui faudra encore plusieurs mois pour répondre au problème et prendre les mesures nécessaires pour parvenir à un deleveraging. En conséquence, le tassement de la demande dans certains secteurs comme l’immobilier devrait se poursuivre.

De manière surprenante, le gouvernement indien n’a pas réagi à cette situation en relâchant la pression fiscale. Deux éléments expliquent ce choix : d’une part, le déficit budgétaire atteint actuellement 3,4% du PIB, d’autre part, le niveau d’endettement global du pays est déjà élevé. Sans soutien monétaire ni fiscal, la croissance indienne repose désormais sur la demande externe et la classe moyenne. Or, la demande extérieure devrait rester modérée jusqu’à ce que le ralentissement chinois atteigne un creux qui devrait être touché dans les 3 à 6 prochains mois. Tout repose donc sur la demande de la classe moyenne. La réélection de Narendra Modi semble avoir rassuré les consommateurs, ce qui signifie que la demande devrait rester solide, même si le chômage est relativement élevé. Il existe toutefois certains points noirs tels que le faible niveau de productivité de l’économie. En somme, la croissance économique, revenue à 5,8% fin 2018, pourrait encore baisser d’environ un point de pourcentage supplémentaire.

 

1. Le shadow banking a nui à la croissance

Les défaillances du secteur bancaire privent l’accès au capital pour certaines catégories de clients, telles que les sociétés immobilières et les ménages ruraux. En conséquence, les ventes de voitures en Inde ont diminué de 19% en mai selon le Wall Street Journal. Plus généralement, les conditions de financement par le shadow banking se sont dégradées, ce qui a entraîné une réduction du nombre de prêts et une augmentation de leur coût, avec un taux de défaillance qui a progressé à 6,1%. En réaction, le gouvernement a décidé que les sociétés de financement non bancaires passeraient sous le contrôle de la banque centrale indienne (Reserve Bank of India), tout comme les sociétés de crédit immobilier.

 

2. La chaleur et le manque de pluie sont un problème

La très faible saison de mousson observée en juin devrait revenir à la normale selon le Département de météorologie de l’Inde, mais ce phénomène a d’ores et déjà eu un impact pour les agriculteurs et donc sur la croissance du PIB. Les vagues de chaleur entre mars et juillet sont devenues plus intenses, plus fréquentes et plus longues (selon CNN) et pourraient éventuellement rendre certaines parties de l’Inde très difficiles à vivre en cas de pénurie d’eau. Les experts estiment que les vagues de chaleur pourraient se propager à l’ensemble de l’Inde. D’ici à 2100, si aucune mesure n’est prise contre le changement climatique, le plateau de Chota Nagpur et le Bangladesh pourraient devenir des zones inhabitables. D’autres régions de l’Inde seraient sur le point de devenir invivables sans climatisation. L’Inde a pris des mesures pour lutter contre cette menace. Le pays a signé l’Accord de Paris et s’est engagé à réduire ses émissions de carbone de 33 à 35% en 2030 par rapport aux niveaux de 2005 en utilisant notamment l’énergie solaire, même si le pays resterait dépendant du charbon.

 

3. Balance commerciale structurellement faible

Avec le ralentissement des industries manufacturières et des marchés émergents, le rebond des exportations dépendra du rebond de la croissance chinoise au cours des trois à six prochains mois. Il s’agirait dans tous les cas d’une reprise éphémère car la balance commerciale de l’Inde reste structurellement déficitaire. Et pour cause : une seule des 10 plus grandes entreprises indiennes est connue à l’international, Tata Motors. Le pays reste également très dépendant à l’égard des importations de produits de base.

 

4. La productivité, un problème de long terme

L’un des problèmes du pays est que la productivité de l’économie reste faible depuis longtemps. Une grande partie de l’économie est constituée de petites entreprises ayant très peu accès à l’innovation. La montée en compétence des employés de ces entreprises constitue un problème important. Le gouvernement s’est montré disposé à imposer davantage de concurrence étrangère de manière à rendre les méthodes de travail plus efficaces. Les restrictions seront notamment assouplies pour les investissements étrangers (IDE) dans le secteur de la vente d’assurances.

 

Conclusion

La patience reste une valeur cardinale avec l’Inde. Un à deux trimestres seront sans doute nécessaires pour que la croissance accélère de nouveau. D’ici là, les secteurs dépendants de la demande risquent encore de rencontrer quelques difficultés.

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