Recherche menée par Dan Murphy de la Darden School of Business (Université de Virginie)
L’espace dans lequel nous vivons — en taille et en densité — influence nos décisions de consommation, au même titre que des facteurs comme l’âge ou le revenu.
Le modèle macroéconomique révèle que les pays à forte densité de population et logements plus petits, comme le Japon, affichent des taux d’épargne élevés et des taux d’intérêt naturels plus bas. Il suggère aussi que la politique monétaire stimule moins efficacement la consommation dans ces économies et que cet effet s’accentuera avec le développement des secteurs non liés au logement.
Un mécanisme novateur reliant la densité urbaine à l’épargne et aux taux d’intérêt
L’étude intitulée « Home Size, Residential Density, and Aggregate Demand » – met en lumière l’impact de la taille des logements et de la densité des quartiers sur les habitudes de consommation et d’épargne des ménages.
L’analyse révèle que les logements plus petits, situés dans des quartiers à forte densité, sont associés à des taux d’épargne plus élevés. Ce phénomène se vérifie chez les ménages américains, ainsi que dans d’autres pays, et ce sur une période de deux décennies.
Pour cette étude, Dan Murphy a analysé des données détaillées sur les dépenses, les revenus et les caractéristiques démographiques de 10 000 ménages américains, provenant de deux grandes bases de données nationales couvrant la période 1999-2021 : la Consumer Expenditure Survey (CEX) et le Panel Study of Income Dynamics (PSID).
L’étude met également en évidence l’importance de la complémentarité entre les dépenses liées au logement et celles hors logement. Intégrer cette dynamique dans un modèle macroéconomique suggère que les pays densément peuplés, caractérisés par des logements plus petits, affichent non seulement des taux d’épargne plus élevés, mais aussi un taux d’intérêt naturel plus bas et une moindre sensibilité de la consommation hors logement à la politique monétaire.
Ces résultats apportent un éclairage nouveau sur les défis auxquels sont confrontées les banques centrales, comme la Réserve fédérale américaine, dans leur quête pour stimuler la croissance économique par le biais des politiques de taux d’intérêt.
Quand l’espace de vie conditionne les dépenses
Les données de l’étude montrent que, malgré des coûts de logement plus élevés, les ménages urbains aux revenus similaires à ceux des ménages de banlieue parviennent à épargner davantage. En effet, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, les ménages vivant dans des zones densément peuplées, comme le centre de New York, dépensent une proportion plus faible de leur revenu total que ceux habitant en périphérie. Cela est dû au fait que les ménages urbains, bien qu’ayant des loyers ou des remboursements hypothécaires plus élevés pour un espace plus réduit, parviennent à réaliser des économies importantes sur d’autres postes de dépenses, tels que les meubles, les appareils électroménagers et l’entretien de la maison. Beaucoup d’urbains n’ont pas besoin de voiture, ce qui constitue un poste de dépenses considérable en moins.
En revanche, les ménages de banlieue bénéficient de logements plus spacieux à moindre coût, mais doivent dépenser davantage pour meubler et entretenir cet espace plus grand, et ils sont souvent dépendants d’un ou plusieurs véhicules.
Cette dynamique des dépenses est notamment visible dans le cadre de déménagements. « Passer d’une maison individuelle à un appartement au cours des deux à quatre dernières années est associé à une réduction de 12,3 % des dépenses totales et de 13,9 % des dépenses hors logement. À l’inverse, déménager d’un petit logement vers un plus grand augmente les dépenses totales de 9,2 %, et celles hors loyer et hypothèque de 6,8 % », souligne Dan Murphy. La taille de la maison et une augmentation significative du nombre de chambres peuvent encore accroître considérablement les dépenses.
Le Japon : une leçon sur la relation entre densité et épargne
Le cas du Japon illustre parfaitement le lien entre la densité de population, la taille des logements, le taux d’épargne et l’efficacité de la politique monétaire. Dans les années 1990, le pays a traversé une période de stagnation économique surnommée la “décennie perdue”, marquée par des taux d’intérêt extrêmement bas et un niveau élevé d’épargne des ménages.
L’étude de Dan Murphy montre que la forte densité urbaine et la petite taille des logements ont joué un rôle clé dans ce phénomène.
À Tokyo, où les appartements sont compacts et dépourvus de jardin, les ménages ont peu de raisons d’investir dans des meubles ou des équipements. Cette « limitation structurelle » de la consommation favorise des taux d’épargne élevés, ce qui fait baisser le taux d’intérêt naturel du Japon qui est d’environ 0,5 point de pourcentage plus bas que celui des États-Unis. Ce mécanisme a également entretenu un cycle de politique monétaire ultra-accommodante, freinant la croissance économique depuis plusieurs décennies.
Dans le contexte spécifique du Japon, les baisses de taux d’intérêt destinées à stimuler la consommation ont donc eu un impact très limité.
L’impact des réductions des taux d’intérêt
Selon l’étude, une baisse d’un point de pourcentage des taux d’intérêt a un impact bien plus important aux États-Unis qu’au Japon, en raison des différences dans les types de logement et les modes de vie.
Aux États-Unis, où les maisons sont nettement plus grandes – la taille moyenne d’une maison étant 220 % plus grande que celle du Japon – cette baisse incite les ménages à investir dans des biens de consommation, tels que des meubles, des appareils électroménagers ou des rénovations. « En revanche, au Japon, où les types de logement sont plus compacts, l’effet est beaucoup plus limité. Les ménages n’ont tout simplement pas l’espace nécessaire pour accumuler davantage de biens, même lorsque les taux d’intérêt diminuent », conclut Dan Murphy.
Des implications concrètes pour les décideurs économiques
L’étude propose une nouvelle approche pour les politiques monétaires : prendre en compte les caractéristiques des logements dans les stratégies économiques. Dans des pays comme les États-Unis, où la tendance post-COVID-19 favorise les déménagements vers des banlieues ou des zones rurales avec des logements plus spacieux, les réductions des taux d’intérêt pourraient rester efficaces pour stimuler la consommation.
En revanche, dans des environnements à forte densité, comme au Japon ou dans certaines grandes villes européennes, des solutions complémentaires pourraient être nécessaires. Par exemple, encourager la construction de logements plus spacieux et abordables pourrait stimuler à la fois la consommation et la croissance économique à long terme.