Sun. Dec 22nd, 2024

Par Benjamin LOUVET, Gérant matières premières chez OFI Asset Management

Les prix du pétrole ont récemment connu une forte volatilité. Après avoir progressé de plus de 80 % depuis le plus bas de l’été 2017 et dépassé les 85 $, les prix ont depuis reculé de plus de 20 % pour revenir sur les niveaux du début d’année.

Crise passagère ? Changement de paradigme ?
Etat des lieux de l’offre et de la demande d’or noir, et point sur les perspectives d’évolution pour 2019.

ETAT des lieux


LA DEMANDE PROGRESSE

Cet été, pour la première fois de l’année, la consommation de pétrole a dépassé les 100 millions de barils par jour !
La croissance n’est que le résultat de la production de biens et services, qui ne saurait exister sans l’utilisation d’énergie, qu’elle soit humaine, fossile, ou d’autre nature. Dans nos économies où la croissance est pratiquement continue, le lien indéfectible qui existe entre la croissance et la consommation d’énergie fait que la demande d’énergie est de plus en plus forte chaque année. En 2018, selon les estimations de l’AIE (Agence Internationale à l’énergie), la consommation mondiale aura encore progressé de près de 1,5 million de barils par jour, essentiellement portée par la demande des pays émergents. Et le mouvement devrait se poursuivre en 2019. Toutefois, les prévisions de consommation ont été légèrement revues à la baisse récemment.

FAIBLE ÉLASTICITÉ DE LA DEMANDE AU PRIX DE L’OR NOIR à plus long terme, ce que montre ce graphique, c’est aussi la relative inélasticité de la demande d’or noir en fonction des cycles économiques et des prix (lire ici). En effet, à part en 1973 et au début des années 80, dates des deux chocs pétroliers où la demande a reculé de façon contrainte (absence d’offre), la seule période où la demande de pétrole a marqué le pas, c’est en 2008. à cette époque, la quasi incapacité des moyens de production de répondre à la demande a fait monter l’or noir à un prix permettant de détruire de la demande sans que les mécanismes habituellement mis en place ne puissent jouer. Il s’agit essentiellement de l’octroi de subventions. Sur ce point, la situation actuelle est éclairante. Alors que le prix du pétrole augmente, les pouvoirs publics réfléchissent immédiatement à des mesures fiscales visant à limiter l’impact donné par le signal prix. C’est le cas en Inde, en Malaisie, aux Philippines, en Indonésie et, plus récemment, en France (lire ici et ici).
Toutefois, même en 2008, la baisse de la demande a été relativement courte. Et après une année de correction de l’ordre de 2 millions de barils par jour entre 2008 et 2009, la consommation repartait de l’avant dès 2010.

Dans le contexte actuel, les gains en revenu personnel des économies émergentes depuis cette crise et la mise en place de subventions font que la destruction de la demande ne devrait pas se produire avant un retour des prix du pétrole au-delà des niveaux de 110 à 120 $ le baril. Ainsi, même en cas de ralentissement économique, sauf à ce que celui-ci soit d’une ampleur comparable à celle observée en 2008, l’impact sur la demande de pétrole devrait rester relativement modeste sans une augmentation très forte des prix de l’or noir jusqu’à ces niveaux.

Le sentiment que génèrerait un ralentissement économique serait cependant de nature à entraîner une réduction des prises de positions acheteuses sur le marché des hydrocarbures et peser, au moins temporairement, sur les prix du pétrole.

La demande ne serait donc pas de nature à permettre d’espérer une baisse des prix du pétrole dans les années à venir, sauf ralentissement économique mondial marqué… Pour envisager une correction des cours, il faudrait dès lors imaginer une augmentation significative de l’offre, de nature à faire basculer les marchés pétroliers dans un surplus comparable à celui que nous avons connu ces dernières années.

 

OFFRE : SITUATION GÉNÉRALE


Le monde sort d’une période de surproduction liée au développement des pétroles de schiste, ce pétrole non conventionnel dont l’exploitation a démarré il y a une dizaine d’années aux états-Unis. La conséquence de cette nouvelle source d’or noir a été l’augmentation massive des stocks de brut.
C’est ce qui a poussé l’Arabie Saoudite et ses alliés à réduire la production à partir de fin 2016. Aujourd’hui, les stocks sont de retour sur des niveaux légèrement inférieurs à la moyenne 5 ans.
Cette situation cache néanmoins une partie de la réalité. En effet, la consommation mondiale augmentant d’année en année, les stocks actuels en jours de consommation, sont inférieurs à ce qu’ils étaient ces 5 dernières années… L’autre réalité que cachent ces chiffres, c’est la provenance de ce pétrole. En effet, la production de pétrole conventionnel a eu tendance à reculer à travers le monde au cours des dernières années.

Sans le développement des « shale oil » aux états-Unis et la résurgence de la production irakienne après la fin du second conflit à avoir touché ce pays, la production mondiale conventionnelle ne pourrait afficher une progression depuis 2005 ! Le cas irakien étant un peu particulier et difficilement renouvelable. Mais le pétrole de schiste américain peut-il durablement nous aider à équilibrer offre et demande ?

 

Le pétrole de schiste américain

Le développement des pétroles de schiste aux états-Unis a été spectaculaire et a permis au pays à la bannière étoilée de plus que doubler sa production pour être aujourd’hui le premier producteur de pétrole au monde, avec une production de 11,4 millions de barils par jour en octobre, dont 7,7 millions pour les seuls pétrole de schiste (source EIA Energy Information Administration, lire ici et ici).

Et la production aurait pu croître encore plus vite, si les pays membres de l’OPEP n’avaient pas décidé fin 2015 de maintenir une offre surabondante pour défendre leurs parts de marché, au détriment des acteurs aux coûts de production les plus élevés. Cette décision a clairement mis un coup de frein au développement des « shale oil » américains, dont les coûts de production font partie des plus élevés de l’industrie.

Si aujourd’hui cette production se situe sur des plus hauts historiques, il convient néanmoins de préciser un certain nombre d’éléments. D’abord, si la production est repartie, la reprise n’a pas été homogène sur l’ensemble des bassins de production. En effet, seul le bassin permien, situé à la frontière du Texas et du Nouveau Mexique, a retrouvé aujourd’hui des niveaux de production supérieurs à ceux qui étaient les siens en 2015.

Ce bassin représente actuellement près de la moitié de la totalité de la production de pétrole de schiste américaine et près de 30 % de la production américaine de pétrole. Les autres bassins reculent, en raison du profil géologique particulier des pétroles de « roche mère » : le pétrole étant libéré par fracturation géologique, la majorité du pétrole est récupéré assez rapidement après les opérations de « fracking » du puits (sur le pétrole de schiste, lire les notes commodities d’avril et d’octobre 2017, ici et ici). Cela implique que ces puits de pétrole connaissent une déplétion très rapide, de l’ordre de 70 % au cours des 18 premiers mois d’exploitation et qu’il est sans arrêt nécessaire de mettre en exploitation de nouveaux puits, ne serait-ce que pour maintenir la production à un niveau constant.

Dès lors se pose la question de savoir si le « miracle » du bassin permien est susceptible de perdurer ou si ce bassin va suivre prochainement la courbe de production empruntée par les autres avant lui. La question est d’autant plus légitime que, en toute logique, les producteurs ont commencé par focaliser leurs recherches et leur production surles zones les plus riches en pétrole (actifs dits Tier1),rendant encore plus difficile le remplacement futur. Les derniers chiffres en provenance de la zone sont à ce titre intéressants. Ils montrent un recul de la production moyenne sur les nouveaux puits mis en service.

A cela s’ajoutent deux contraintes supplémentaires : la rentabilité des sociétés etles problématiques d’infrastructure. En matière de rentabilité tout d’abord, difficile de savoir précisément où l’on en est… La résistance des compagnies productrices de pétrole de schiste dans la baisse de ces trois dernières années en a surpris plus d’un…

Les producteurs auraient réussi à améliorer sensiblement leurs procédés de production et ainsi réalisé des gains de productivité énormes. Il semble néanmoins que la réalité ne soit pas aussi simple, l’essentiel de la baisse des coûts de production obtenus provenant visiblement de la renégociation des contrats avec les sociétés de services et les prestataires, les gains de productivité apparaissant finalement limités (lire ici et ici).
Les données financières viennent plutôt corroborer cette analyse. En effet, selon une étude menée par Bloomberg sur plus de 30 sociétés de pétrole de schiste, le « free cash flow » de ces sociétés était encore en 2017 largement négatif sur l’ensemble des bassins de production. Au final, les sociétés de ce secteur (dans leur ensemble) n’ont jamais dégagé de cash flows positifs depuis leur lancement.

 

L’année 2018 pourrait, selon certains, marquer un tournant en la matière avec un secteur qui afficherait globalement des flux de trésorerie légèrement positifs. Toutefois, il faut tempérer cet enthousiasme : à la fin du premier semestre, les sociétés n’avaient collectivement toujours pas réussi à générer de « free cash flows », et ce malgré un prix du pétrole qui frôlait les 70 $ le baril (lire ici).
Car si les prix des services ont beaucoup baissé ces trois dernières années, leur remontée commence à peine.
De plus certains producteurs ayant contractualisé pour l’ensemble de l’année, l’impact de cette remontée ne s’est pas encore entièrement fait ressentir…
En outre, les investisseurs, las d’attendre de toucher les bénéfices de leurs investissements, exigent maintenant davantage de discipline budgétaire de la part des producteurs de façon à préserver leurs intérêts (lire ici et ici) .

Concernant les infrastructures du schiste, là aussi les problèmes s’accumulent. Le principal est aujourd’hui le manque de capacité des pipelines de la région du bassin permien. Le développement de la zone de production a été tellement important et rapide (elle a été multipliée par plus de 4 en dix ans) qu’aujourd’hui, les infrastructures peinent à suivre… De nombreux pipelines sont en projet et devraient permettre dès l’année prochaine d’arranger la situation. Toutefois, certains dossiers pourraient prendre du retard, les producteurs de pétrole essayant de retarder la contractualisation d’espace de transport dans les futurs pipelines, en espérant des prix plus bas dans les mois à venir. Du coup, les installations peinent à trouver des financements, les banques exigeant un taux minimum de « remplissage » des pipelines avant de les financer.

 

Dans l’attente de combler ce manque de capacité, les producteurs doivent recourir à d’autres modes de transport, qu’il s’agisse du train ou du transport routier. Un chauffeur routier dans cette région peut aujourd’hui gagner 150 000 $ par an (lire ici) ! Le coût de ces solutions étant bien plus élevé, le prix qu’un acheteur est prêt à payer pour un baril de pétrole de schiste du bassin permien est aujourd’hui bien inférieur à celui d’un baril de pétrole WTI. Cet écart est monté jusqu’à 17$ par baril. Il est depuis revenu autour des 5$, certains opérateurs de pipelines traditionnellement utilisés pour le transport de gaz ayant été convertis pour le transport de pétrole.

 

Mais ce problème d’infrastructure lié à la croissance de la production est plus vaste et s’étend au-delà du bassin permien. Pour des raisons de ralentissement saisonnier du raffinage, la région du Bakken est, elle aussi touchée actuellement. Mais c’est surtout la production canadienne qui pâtit de ce type de goulots d’étranglement. Et le problème n’est pas prêt de se régler : le pipeline Keystone XL, qui aurait pu mettre un terme à la situation vient d’être bloqué par un juge fédéral du Montana (lire ici) !

La conséquence est qu’aujourd’hui, le WCS (Western Canadian Select, l’une des références pétrolières canadiennes) affiche une décote dépassant les 40 $ le baril par rapport au WTI ! Le baril de WCS cotait ainsi moins de 15 $ mi-novembre. Difficile dans ces conditions d’envisager de poursuivre les investissements… Certains parlent même de ralentir leur production. à noter cependant que d’autres acteurs, propriétaires de leurs propres raffineries, n’ont pas ce type de problèmes et peuvent au contraire profiter de cette situation pour réaliser de confortables marges en achetant du pétrole à bas prix. Le malheur des uns…

Les problèmes logistiques, mais aussi l’impératif de rentabilité désormais fixé par les investisseurs, pourraient contraindre la production de pétrole de schiste dès 2019. L’EIA estime ainsi que la production de pétrole américaine pourrait croître en moyenne de 1 million de barils par jour en 2019 (lire ici). Cette estimation nous semble optimiste au regard de la raréfaction des actifs de meilleure qualité, de la hausse du coût des services et de l’ensemble des contraintes qui pèsent sur cette industrie.

Le pétrole de schiste pourrait donc, au moins à court terme, ralentir sa croissance. Ceci ne serait pas problématique si, dans le même temps, d’autres pays producteurs ne voyaient pas leur production menacée par des facteurs structurels ou exogènes. Or c’est le cas aujourd’hui pour un certain nombre d’entre eux, au premier rang desquels se trouvent le Venezuela et l’Iran.

 

 

Les menaces sur la production

SITUATION DU VENEZUELA
Le Venezuela est un pays membre de l’OPEP et le pays détenteur des plus grosses réserves prouvées de pétrole mondiales. Il produisait encore, fin 2015, près de 2,4 millions de barils par jour ! Depuis, la mise en place de sanctions financières par les états-Unis, le surendettement, la corruption et la nationalisation de bon nombre d’entreprises dont l’outil de production n’a pas été entretenu et d’où les experts étrangers ont été remerciés, ont mené le pays au chaos. PDVSA, la société nationale de production de pétrole, n’a plus les moyens d’entretenir ou de remplacer le matériel défectueux, manque de main d’œuvre qualifiée.

La production s’en ressent et est passée de 2,4 millions de barils par jour début 2016 à 1,27 million fin octobre.
Et rien ne semble pouvoir enrayer ce mouvement : les spécialistes s’attendent désormais à une production qui pourrait toucher le million de baril d’ici le début de l’année prochaine. Les dernières données fournies par Kpler sur le sujet sont assez inquiétantes (lire ici)… à noter toutefois que les chiffres publiés pour le mois d’octobre ont montré une stabilisation de la production.

 

SITUATION DE L’IRAN
Depuis le 5 novembre, l’Iran est à nouveau sous sanctions des autorités américaines. De ce fait, ce pays, dont les exportations pétrolières atteignaient 2,5 millions de barils par jour au mois d’avril, a vu ce chiffre reculer de près d’un million de barils.

L’attitude totalement intransigeante des états-Unis, qui parlait de faire tomber les exportations de la république des mollahs à zéro (lire ici), a peu à peu fait place à une approche plus pragmatique. Pour éviter une tension trop forte sur le marché, Donald Trump a finalement décidé le jour de l’entrée en vigueur des sanctions, d’octroyer des « waivers », c’est à dire des exemptions, à 8 des principaux partenaires commerciaux de l’Iran comptant pour 75 % des importations iraniennes (lire ici) ! Cela devrait permettre à ces pays de continuer à acheter du pétrole iranien pendant 6 mois.

Ainsi, certains pays comme la Corée du Sud et le Japon, qui avaient totalement suspendu leurs achats de pétrole iranien en prévision de la mise en œuvre des sanctions, étudient actuellement la possibilité de reprendre leurs livraisons en début d’année prochaine (lire ici). D’autres, comme la Chine ou la Turquie, avaient d’ores et déjà annoncé qu’ils poursuivraient leurs achats d’or noir iranien, quitte pour certains à ne pas respecter les injonctions de Washington (lire ici).

Toutefois, le rythme d’achat devrait ralentir… d’autant que le flou qui entoure ces exemptions tant en matière de paiement que d’assurance pour le transport, rend ce type d’opération compliqué. De plus, le fait d’ignorer ce qu’il adviendra des exemptions au terme de la période de 6 mois, certains ne voudront pas prendre le risque.

Le marché a été surpris par la décision des autorités américaines de tempérer leur discours sur les exportations iraniennes, ce qui a fait craindre un sur-approvisionnement du marché. Les saoudiens et leurs confrères de l’OPEP ont d’ailleurs assez mal vécu cette décision, Donald Trump leur ayant demandé, peu avant, d’augmenter leur production pour limiter le risque de tension sur les prix de l’or noir (lire ici). à court terme, la perte de pétrole iranien pourrait se limiter à 1,2 à 1,4 million de barils par rapport au plus haut atteint en avril.

Il va donc falloir surveiller la réaction de l’OPEP et de l’Arabie Saoudite.

 

SITUATION DE L’OPEP
L’ensemble des pays de l’OPEP+ (OPEP complété d’un certain nombre de pays alignés, au premier rang desquels la Russie) qui avaient participé à l’alliance visant, dans un premier temps depuis fin 2016, à réduire l’approvisionnement mondial puis à le remonter à la demande des états-Unis en début d’été, se réunit début décembre.
L’Arabie Saoudite a déjà annoncé unilatéralement son intention de réduire sa production de 500 000 barils par jour dès le mois de décembre (lire ici) pour contrebalancer ce surcroît d’approvisionnement des marchés. Mais cela pourrait ne pas suffire, et le comité qui va se réunir le 6 décembre pourrait décider de coupes supplémentaires pour tenir compte des dernières décisions des états-Unis. Certaines sources évoquent une coupe pouvant aller de 1 à 1,4 million de barils

Il faut dire que l’OPEP+ a des arguments à faire valoir : en quelques semaines, les opérations de maintenance en cours dans les raffineries ont fait remonter les stocks outre-Atlantique et les exemptions américaines ont entraîné une révision à la hausse des prévisions de surplus sur le marché pour l’année 2019. C’est la raison qui a entraîné la première correction du marché.
Une telle décision devrait permettre au marché de s’équilibrer et, par là même, au prix du pétrole de se stabiliser sur les niveaux de 65 $ le baril pour le pétrole WTI et 75 $ pour le pétrole Brent. Mais il faudra cependant porter une attention particulière aux distorsions politiques qui pourraient entourer cette décision. En effet, Donald Trump a récemment déclaré que les états-Unis ne chercheraient pas à punir le prince héritier Mohammed Bin Salman dans l’affaire Khashoggi. Une telle décision pourrait être la conséquence d’une négociation avec le gouvernement saoudien visant à limiter les décisions de réduction qui pourraient être prises le mois prochain… Mais Vladimir Poutine est à son tour entré dans le jeu des annonces, indiquant qu’il pourrait avoir des discussions avec le prince Bin Salman lors du prochain G20, qui précédera la réunion de l’OPEP+ de quelques jours (lire ici).
En tout état de cause, si l’Arabie Saoudite et les pays de l’OPEP+ s’en tiennent à l’objectif qu’ils se sont fixés, à savoir de ramener les stocks de pétrole de l’OCDE à leur moyenne 5 ans, il est très probable qu’ils doivent opter pour une réduction de la production de l’ordre de 1 million de barils, correspondant au surplus attendu, les stocks étant actuellement très proches du niveau recherché.

Le marché est récemment passé d’un léger déficit à une situation de surplus attendu en raison du développement de la production de pétrole de schiste américain, de l’augmentation de la production du groupe OPEP+, d’une légère révision à la baisse de la demande, mais surtout de la décision du gouvernement américain de limiter l’impact des sanctions sur l’Iran.

Tout laisse à penser que les pays producteurs de l’OPEP et leurs « alliés » devraient réduire leur production à l’issue de leur prochaine réunion, même si des éléments politiques rendent la décision incertaine. La volatilité sur les prix de l’or noir pourrait donc rester élevée pour les semaines et les mois à venir. D’autant qu’un certain nombre de produits financiers de couverture, achetés par les producteurs et un certain nombre de pays pour se protéger contre une baisse des prix, amplifie les mouvements (lire ici).

Notons par ailleurs qu’un certain nombre de risques exogènes pourraient venir perturber la production dans les prochains mois. Des élections sont en effet attendues début 2019 en Libye (initialement prévues le 10 décembre, elles ont été reportées en début d’année prochaine sans plus de précisions) et au mois d’avril au Nigeria. à cette occasion et pour des raisons différentes, ces deux pays pourraient voir leur production perturbée. En Libye, ce sont environ 500 000 barils de production qui pourraient, ponctuellement, voir leur production stoppée. Au Nigeria, qui produit un peu moins de 2 millions de barils par jour, chaque élection est pour les rebelles l’occasion de revendications violentes pour une meilleure répartition de la manne pétrolière : sabotage, attaque sur des pipelines…

 

Les perspectives pour 2019

Alors que le marché s’inquiète de la baisse récente des cours, qu’en est-il de l’équilibre offre-demande à plus long terme ?
L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) vient de publier son rapport annuel, le World Energy Outlook, qui dresse les perspectives d’évolution du marché pétrolier pour les décennies à venir (lire le résumé ici). L’organisme, qui supervise les questions énergétiques pour le compte des pays de l’OCDE, y indique que la consommation mondiale de pétrole devrait progresser de près de 7,5 millions de barils d’ici 2025, dans leur scénario central (New Policies Scenario, NPS) qui prend en compte l’ensemble des engagements des différents pays à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Même dans un scénario optimiste, qui consisterait à mettre en œuvre les mesures nécessaires au respect des Accords de Paris (Sustainable Development Scenario, SDS), la consommation devrait rester relativement stable à ce même horizon (-1 million de barils par jour).
Il va donc falloir a minima maintenir la production mondiale sur ses niveaux actuels pour pouvoir répondre à la demande. Or, la production pétrolière est soumise à un phénomène physique naturel appelé déplétion. De manière assez schématique, le pétrole est extrait grâce à la pression naturelle présente dans le réservoir. Plus on retire de pétrole du puits, plus la pression du réservoir diminue, entraînant par là même une baisse des quantités d’or noir récupérées.
Aujourd’hui, la déplétion naturelle sur les champs pétroliers conventionnels mondiaux se situe en moyenne autour de 5 %. Ce chiffre peut paraître faible mais, mis en perspective, il signifie que si l’on n’investit pas pendant 10 ans, la production mondiale de pétrole conventionnel va reculer de 40 % ! Cela implique qu’il faut mettre en production tous les 10 ans l’équivalent de la production cumulée de l’Arabie Saoudite, de la Russie, des états-Unis et de l’Iran juste pour maintenir notre production à son niveau actuel ! La bonne nouvelle, c’est que nous sommes en mesure de compenser cette décrue grâce à l’investissement. Mais pour cela, il est nécessaire d’investir… et d’investir beaucoup. L’AIE avait estimé, dans le World Energy Outlook fin 2015, qu’un investissement de 630 milliards de dollars par an était nécessaire, juste pour compenser cette déplétion et maintenir notre production à niveau constant (lire ici, page 23). Le problème est que, avec la baisse des prix du pétrole depuis l’annonce de ce besoin, les investissements sont régulièrement en deçà de ce niveau. Ainsi l’investissement dans le secteur pétrolier a plafonné à 450 milliards de dollars par an sur 2016, 2017 et 2018. Il manque donc environ 30 % des investissements nécessaires depuis 3 ans.

 

Certains spécialistes avancent l’idée que ce n’est pas grave. En effet, avec la baisse des prix du pétrole, l’activité des services pétroliers a été mise sous pression, ce qui a tiré les coûts des services vers le bas et justifierait une baisse des niveaux d’investissements. Ceci est en partie vrai. Toutefois, si l’on regarde l’indice des coûts globaux de l’industrie (cf. graphe ci-après), on constate que ceux-ci n’ont reculé globalement que de 10 % depuis 2015. L’investissement reste donc encore insuffisant, de l’ordre de 20 %.

 

Ces investissements portent leurs fruits à un horizon de l’ordre de 5 ans en moyenne : il faut du temps pour construire une plateforme pétrolière ou pour mettre en activité un gisement onshore. Les premiers effets de ce manque d’investissement devraient donc se faire sentir de façon sensible à partir de 2020. Il faut également noter que la nature des investissements a changé au cours de ces dernières années. En effet, le pétrole de schiste a attiré une part croissante des investissements du secteur. Ceci est très structurant. Car si mettre en service un puits de pétrole de schiste est beaucoup plus rapide (de l’ordre de 3 à 4 mois), la méthodologie spécifique utilisée présente un taux de déplétion bien supérieur, de l’ordre de 70 % après 18 mois d’exploitation. Ces ressources doivent donc être remplacées beaucoup plus fréquemment pour maintenir la production.

 

Au final, tout ceci devrait nous amener à une accélération de la déplétion dès 2019, qui devrait dépasser les 6 % courant 2020 ! Toutefois, le marché pourrait réaliser le problème qui se pose quelques mois avant de se retrouver devant le fait accompli…

 

On évoque parfois, comme capacité à répondre à ce problème, la capacité de production excédentaire dont disposent certains pays producteurs… Celle-ci est très nettement insuffisante et devrait flirter en 2019 avec les 1,3 million de barils par jour selon l’Agence américaine à l’énergie. En outre, la plus grosse partie de cette capacité se trouve en Arabie Saoudite et n’a jusqu’à présent jamais été mise en production. Certains experts doutent d’ailleurs de la capacité de la monarchie saoudienne à atteindre un tel niveau de production.

 

Conclusion

Si les cours du pétrole pourraient encore connaître dans les semaines à venir une forte volatilité du fait d’enjeux financiers et politiques contradictoires, la tendance sur le long terme est pour nous inévitable : le cours du pétrole devrait, compte tenu du manque d’investissement de ces dernières années, repartir à la hausse dans le courant de l’année 2019. L’ampleur du sous-investissement ainsi que l’impossibilité de rattraperle retard pris pourraient même, selon nous, amenerl’or noir à tutoyer à nouveau les 100 $ le baril au plus tard en début d’année 2020. L’AIE ne semble d’ailleurs pas dire autre chose dans le World Energy Outlook 2018 (WEO2018) publié il y a quelques jours. Devant la croissance attendue de la demande dans son scénario central, l’organisation écrit : « Répondre à cette croissance à court terme implique que le taux d’approbation de projets dans le secteur conventionnel doit doubler par rapport aux niveaux actuels. Sans cela, la production de pétrole de schiste, qui s’est déjà développée à un rythme record, devra ajouter plus de 10 millions de barils de production quotidienne entre aujourd’hui et 2025… ».

 

Pour mémoire, depuis leur lancement il y a plus de 10 ans, le schiste américain, aidé par des prix élevés pendant quelques années, par des financements peu chers et en se focalisant logiquement en premier sur les champs les plus prometteurs, a réussi à mettre en production 7 millions de barils par jour ! L’AIE a donc raison de tirer le signal d’alarme. D’autant qu’à regarder le graphique de plus près, le problème pourrait apparaître bien avant 2025…

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