Sat. Jul 27th, 2024

Par Observatoire des multinationales

Les milliardaires  et les multinationales présents  au Forum de Davos exploitent consommateurs et PME  avec des marges indécentes

 
Sur une période de cinq ans, la marge moyenne des 20 plus grosses entreprises mondiales est évaluée à 50 %, contre 25 % pour les entreprises cotées plus petites.La valeur de marché cumulée de ces 20 multinationales est équivalente au PIB combiné de la France, de l’Allemagne, de l’Inde, du Brésil, de l’Afrique du Sud et du Royaume-Uni.Les grands milliardaires et les multinationales, dont de nombreux partenaires officiels du Forum de Davos, utilisent leur pouvoir de monopole pour imposer ces marges excessives, dépouillant les consommateurs, les travailleurs et les citoyens, et pour étouffer les autres entreprises plus petites. Telles sont les conclusions d’un nouveau rapport de quatre organisations européennes.
Davos, Suisse – Les plus grandes entreprises mondiales utilisent le pouvoir de monopole qu’elles ont sur leurs marchés respectifs pour augmenter les prix et les maintenir à un niveau élevé, aggravant l’inflation et la crise du coût de la vie. Entre 2018 et 2022 [1], le taux de marge (markup [2]) moyen des 20 plus grandes entreprises mondiales a augmenté pour atteindre environ 50 %. C’est le double de la marge moyenne qu’affichent les 50 % d’entreprises les moins grosses d’un échantillon de près de 34 000 entreprises cotées. Sur ces 20 multinationales, 14 sont partenaires officiels du Forum économique mondial de Davos [3], qui se dit déterminé à améliorer l’état du monde [4]. Ces conclusions sont issues d’un nouveau rapport intitulé Taken, not earned: How monopolists drive the world’s power and wealth divide(« Pris, pas mérité. Comment les monopoles accroissent les inégalités de pouvoir et de richesse »), publié ce mercredi 17 janvier 2024 à l’occasion du Forum de Davos par quatre organisations non gouvernementales : Balanced Economy Project, SOMO, Global Justice Now et LobbyControl. L’étude porte sur les 20 plus grandes entreprises du monde en termes de capitalisation boursière, dont beaucoup sont détenues ou contrôlées par les 20 premiers milliardaires de la liste Forbes. Que 14 d’entre elles soient partenaires officiels du Forum économique mondial signifie qu’elles sponsorisent l’événement et influencent le cadrage des débats lors de la réunion annuelle de Davos, qui ont à leur tour des ramifications plus larges dans le débat public international. Ces partenaires du Forum de Davos sont Apple, Microsoft, Alphabet/Google, Amazon, Meta/Facebook, Eli Lilly, Visa, Novo Nordisk, Walmart, ExxonMobil, JP Morgan Chase, Johnson and Johnson, LVMH et Saudi Basic Industries (SABIC). Derrière ces entreprises se trouvent de nombreux milliardaires monopolistes parmi les plus riches et les plus puissants du monde, dont Bernard Arnault, Elon Musk et Jeff Bezos. Le rapport Taken, not earned montre que les plus grandes entreprises pratiquent des marges toujours plus élevées alors que de nombreuses petites entreprises peinent à dégager le moindre bénéfice. Depuis 1995, les marges bénéficiaires des 100 plus grandes entreprises étaient en moyenne de 43 %, contre 24 % pour les 50 % d’entreprises cotées les plus petites de l’échantillon. Au cours des trois dernières années, marquées par la pandémie, les marges ont atteint presque exactement 50 % pour les plus grandes entreprises, contre 25 % pour les plus petites. Les auteurs du rapport ont constaté que les marges moyennes des plus grandes entreprises ont augmenté de manière continue entre 1995 et 2022, alors que les marges moyennes des plus petites entreprises n’ont pratiquement pas changé. Au-delà de l’augmentation des prix, le rapport montre aussi comment les monopoles nuisent aux petites entreprises, affectent les droits fondamentaux des citoyens et faussent les processus démocratiques. Le rapport Taken, not earned montre également l’importance croissante du lobbying de ces entreprises, qui s’appuient sur un réseau de 236 organisations, fédérations, associations professionnelles et think tanks en Europe. Leurs dépenses annuelles de lobbying s’élèvent à 118,3 millions d’euros aux États-Unis et 36,9 millions d’euros dans l’Union européenne [5]. Les géants du numérique sont de loin ceux qui dépensent le plus en lobbying parmi les 20 premières entreprises mondiales, représentant 82 % du total (30,3 millions d’euros) dans l’Union européenne et 58 % (61,1 millions d’euros) aux États-Unis. Le pouvoir structurel de ces monopoles renforce également leur influence politique, car ils peuvent exercer une forte pression sur les gouvernements en raison de leur position dans l’économie et la société, même sans mener d’actions de lobbying directes. En dépit de la place toujours plus exorbitante des grands monopoles dans le monde, les autorités publiques se montrent peu enclines à s’attaquer à la racine du problème [6].

Nicholas Shaxson, directeur du Balanced Economy Project et coauteur du rapport, déclare : « Ces nouvelles données révèlent comment certains des milliardaires les plus riches au monde utilisent leur pouvoir de monopole pour extraire des profits indus du reste de la société. Le monopole est la source du pouvoir et de la richesse extrêmes des milliardaires et des grandes multinationales. Ces entreprises sont en mesure de fixer des prix de vente bien plus élevés sur les marchés qu’elles dominent. Nos gouvernements ont laissé ce pouvoir croître presque sans contrôle pendant des décennies : ce rapport montre comment nous pouvons inverser la tendance. »

Nick Dearden, directeur de Global Justice Now, déclare : « L’extrême richesse des multimilliardaires réunis à Davos est néfaste pour nous tous. Ces barons voleurs ont subverti notre démocratie, en décidant de la nourriture que nous mangeons, des médicaments que nous utilisons et des informations que nous recevons. Pendant ce temps, le public leur paie un impôt privé par le biais des profits excessifs qu’ils exigent, même dans un contexte de crise dévastatrice du coût de la vie. La richesse des milliardaires n’est pas le fruit d’un brillant esprit d’entreprise, mais plutôt d’un pouvoir excessif sur la société. Il est temps de réglementer leur existence et celle de leurs monopoles. »

Margarida Silva, chercheuse à SOMO, a déclaré : « Les individus les plus riches au monde et leurs entreprises ont acquis une position dominante sur le marché et sur le plan stratégique, au point de devenir trop gros pour échouer, trop gros pour se soucier des autres et trop gros pour qu’on puisse leur faire confiance. Les milliardaires de la technologie, comme Jeff Bezos et Mark Zuckberg, en sont l’exemple éclatant. Au moment où Amazon, Meta et d’autres se rendent à Davos pour soigner leur image et renforcer leur pouvoir, nous ne devons pas oublier que leur richesse s’est construite grâce à la monopolisation, sans se soucier de ceux qui en pâtissent, qu’il s’agisse des travailleurs, des usagers ou de la démocratie elle-même. »

Max Bank, chercheur et chargé de campagne à LobbyControl, a déclaré : « Les 20 premières entreprises mondiales dépensent plus de 155 millions d’euros par an en lobbying pour influencer les institutions politiques aux États-Unis et dans l’Union européenne. Le pouvoir structurel des monopoles renforce leur influence politique. La combinaison du pouvoir des monopoles et des lobbys sape le processus démocratique. »

L’action politique, y compris à travers la politique de concurrence, peut remettre en cause le pouvoir monopolistique néfaste en démantelant les entreprises dominantes ou en appliquant des contrôles plus stricts sur les fusions. Le Balanced Economy Project, SOMO, Global Justice Now et LobbyControl appellent également les gouvernements à recourir à des réglementations d’intérêt public, telles que : la nationalisation des entreprises dominantes qui fournissent un bien public ou un service essentiel, et à les traiter comme un service public ; la réforme des accords internationaux de commerce, d’investissement et de financement pour limiter la concentration excessive de pouvoir des entreprises et les dommages qui en découlent ; la limitation de l’influence du lobbying des monopoles en renforçant les règles relatives aux conflits d’intérêts et en améliorant la transparence des institutions politiques.

Notes

[1] Calcul des auteurs basés sur les données de Worldscope / Refinitiv. La liste des 20 premières entreprises, des 100 premières entreprises et des 50 % d’entreprises les moins performantes a été calculée séparément pour chaque année de 2018 à 2022, et le classement a été effectué en fonction de la capitalisation boursière. Le nombre total d’entreprises dans notre échantillon en 2022 était de 33 953 (le nombre était différent selon les années). L’échantillon total des entreprises dans la base de données pertinente était environ trois fois plus important, mais nous avons exclu de nombreuses entreprises parce qu’elles n’avaient pas de capitalisation boursière enregistrée.

[2] L’un des moyens les plus clairs de montrer comment le pouvoir de monopole est utilisé pour extraire des richesses est ce que les économistes appellent le markup ou la « (sur)marge » : la différence entre le prix qu’une entreprise facture pour un bien/service et ce qu’elle paie pour le produire. Les marges excessives sont comme des impôts privés, payés par les pauvres aux riches.

[3] Nous comptabilisons Saudi Aramco comme un partenaire puisqu’il détient 70 % des actions de Saudi Basic Industries (SABIC). https://www.weforum.org/partners/#search

[4] « Depuis plus de 50 ans, le Forum engage des partenaires mondiaux pour avoir un impact significatif – en créant des initiatives historiques, des percées industrielles, des solutions économiques et des dizaines de milliers de projets et de collaborations – améliorant ainsi l’état du monde. » https://www.weforum.org/impact/

[5] Analyse par LobbyControl du lobbying des 20 plus grandes entreprises en Europe et aux États-Unis, sur la base des registres de transparence de l’Union européenne et des États-Unis, pour 2021, 2022 et 2023.

[6] Par exemple, une étude de la Hertie School montre que la Commission européenne n’a empêché que 0,7 % des fusions qu’elle a examinées entre 2005 et 2023 : « Merger review intervention rates in the EU », par Brianna Rock, Hertie School, publié le 17 janvier 2023.

[7] Les dictionnaires définissent souvent le monopole comme un vendeur unique sur un marché, mais cette définition est trop étroite pour refléter la réalité et inexacte en droit. Les auteurs de ce rapport le définissent comme le font certains régulateurs : un monopole est une entreprise qui dispose d’un pouvoir de marché important et durable et qui peut agir de manière indépendante sans avoir à se préoccuper des réactions de ses concurrents, de ses clients, de ses travailleurs ou même des gouvernements. Par exemple, la Commission fédérale du commerce des États-Unis déclare : « Les tribunaux n’exigent pas un monopole littéral avant d’appliquer les règles de conduite pour une entreprise unique ; ce terme est utilisé pour désigner une entreprise disposant d’un pouvoir de marché important et durable – c’est-à-dire la capacité à long terme d’augmenter les prix ou d’exclure les concurrents. C’est ainsi que ce terme est utilisé ici : un ‘monopoliseur’ est une entreprise disposant d’un pouvoir de marché significatif et durable. » Voir Monopolization Defined, FTC, non daté. La Commission européenne a défini la position dominante comme « une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. » Voir également « Competition is Killing Us », Michelle Meagher (2020), en particulier les pages 79 à 83.

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