Fri. Nov 22nd, 2024

Par Pictet AM

Les développements politiques et économiques fragilisent plus que jamais les perspectives pour les actifs risqués. Face au manque de lisibilité, garder une ligne de conduite ferme et saisir les opportunités dans des segments de marché moins classiques revêt donc aujourd’hui une importance cruciale.

L’INTROUVABLE REFUGE

CÉSAR PÉREZ RUIZ – Responsable des investissements et CIO, Pictet Wealth Management

Exception faite des actions américaines, dopées par les mesures de l’«America First» de Donald Trump, toutes les classes d’actifs ont reculé en 2018.

De la remontée des taux directeurs aux tensions commerciales, l’actualité des Etats-Unis a eu des répercussions mondiales, et les actifs refuges se sont faits rares.

Les corrélations traditionnelles ont en effet été particulièrement malmenées, avec à la clé des anomalies de marché: difficile, dans ce contexte, de savoir comment se positionner.

En octobre, c’est la peur d’un rebond de l’inflation (et non d’un tassement de la croissance) qui a fait trébucher les actions. Les investisseurs s’inquiétant davantage des prix que de l’activité économique, la corrélation entre valeurs cycliques/valeurs défensives et rendement des bons du Trésor américain à 10 ans s’est fragilisée. Par ailleurs, en mai comme en octobre, la corrélation entre marchés développés et marchés émergents s’est rompue, actions et obligations reculant, même sans accélération de la croissance. Et ce n’est pas tout. Aux Etats-Unis, la relation entre valeurs décotées/valeurs de croissance et rendement à 10 ans s’est également effritée, les secondes (autrement dit, le secteur technologique) poursuivant leur avancée face aux premières, sur fond de progression du rendement. Parallèlement, malgré la chute des matières premières, les cours du pétrole ont profité des tensions géopolitiques avant de reculer après l’affaire Khashoggi, les investisseurs estimant que l’Arabie saoudite allait devoir augmenter sa production. Enfin, les devises émergentes (et pas seulement celles qui souffrent de fondamentaux fragiles, c’est-à-dire d’un déficit courant important) se sont repliées face au dollar. Quant au réal brésilien, il a été pénalisé par l’actualité politique avant les élections présidentielles (puis s’est redressé une fois la victoire de Jair Bolsonaro probable), tandis que le rouble chutait en raison des sanctions.

 

ANOMALIES TOUS AZIMUTS

Malgré l’incertitude ambiante, la volatilité des actifs développés est restée plutôt modérée en raison de la solidité des fondamentaux (surtout aux Etats-Unis). Inversement, sur les marchés émergents, elle s’est accrue dans le sillage de la hausse du dollar et des taux d’intérêt américains, du ralentissement de la croissance chinoise et de la montée des tensions commerciales.

Que faire de tout ça? Les marchés ont dû jongler avec des facteurs contradictoires. La divergence entre actions développées et actions émergentes s’explique par les résultats et le ralentissement de la croissance, surtout en Chine. Si des facteurs fondamentaux et géopolitiques sont à l’origine d’autres anomalies, les tensions commerciales et la géopolitique ont été désignées comme seules coupables. Mais la réalité est plus complexe et il faut en tenir compte dans nos investissements.

En début d’année, nous attendions deux thèmes pour 2018: le retour de la volatilité et la nécessité d’un positionnement défensif face aux actions à faible effet de levier et aux obligations de qualité, quitte à sacrifier la liquidité. Nous avons réduit l’exposition au crédit, maintenu le risque au niveau des actions, et évité les titres émergents. Les marchés jouant en notre faveur, cela s’est avéré payant.

L’an prochain, sur un marché de fin cycle, nous chercherons à repérer les entreprises dotées d’un solide pouvoir de fixation des prix. Nous continuerons aussi de suivre l’actualité géopolitique, domaine que nous intégrons plus que nos concurrents à nos prévisions car avec le retrait des liquidités des banques centrales l’an prochain, il va selon nous gagner en influence sur les actifs développés. Dans un contexte de repli des valorisations et d’inquiétudes exagérées des marchés, nous avons investi dans certains pays émergents pour la première fois de l’année. Enfin, les hedge funds et les stratégies alternatives pourraient compléter les portefeuilles diversifiés, notamment si la corrélation entre actions et obligations restait positive.

Points clés de la stratégie d’investissement

Aperçu des opinions de Pictet Wealth Management sur les différentes classes d’actifs*

 

OPINIONS SUR LES DIFFÉRENTES CLASSES D’ACTIFS

› Comme en témoigne la récente déconvenue des actifs risqués, les marchés sont de plus en plus conscients des situations de fragilité auxquelles le monde est confronté: au niveau économique (ralentissement de la croissance mondiale, érosion de la confiance des entreprises en Europe et en Chine et tensions commerciales), au niveau politique (préoccupations liées aux Brexit et au budget italien, impact des élections de mi-mandat aux Etats-Unis, etc.) et au niveau des entreprises (ralentissement de la croissance bénéficiaire et prévisions des entreprises en berne).

› Une récession ne semble pas se profiler pour autant. Selon l’analyse de la corrélation entre actions et obligations, les marchés paraissent se préoccuper davantage de l’inflation que de la croissance. Et les autorités disposent encore d’une certaine marge de manœuvre. La Réserve fédérale ne devrait donc pas hésiter à ralentir son durcissement si la croissance américaine était compromise, tandis que les autorités chinoises mettent d’ores et déjà en place d’importantes mesures de relance monétaire et budgétaire.

› Mais les marchés fluctuent continuellement.
Prudence, diversification et flexibilité restent donc de mise. Nous avons par conséquent constitué des protections au sein des portefeuilles, conservant d’abondantes munitions pour tirer profit d’opportunités tactiques tout en étoffant nos investissements dans les actifs alternatifs.

 

MATIÈRES PREMIÈRES, MÉTAUX PRÉCIEUX

› Malgré la récente baisse des cours, un nouvel envol des prix du pétrole cet hiver n’est pas à exclure.
Sachant toutefois que l’offre de pétrole devrait augmenter à terme, les cours pourraient retrouver leur niveau d’équilibre à long terme de USD 72 le baril de Brent d’ici fin 2019.

› La récente baisse du marché actions a ravivé l’intérêt des investisseurs pour l’or. Si la vigueur du dollar et la hausse des taux réels américains continuent de peser sur le métal jaune en dollars, la volatilité persistante sur les marchés financiers pourrait avoir un impact positif, notamment si la vigueur du billet vert s’atténue.

 

ACTIONS

› La correction d’octobre a ramené les valorisations des actions à des niveaux que l’on n’avait plus observés depuis 2015-2016.
La détérioration de la dynamique bénéficiaire nous incite toutefois à une certaine prudence, d’où le maintien des protections au sein des portefeuilles actions.

› Un portefeuille équilibré classique composé à 60% de titres du S&P 500 et à 40% d’emprunts du Trésor américain à 10 ans aurait accusé des pertes de plus de 5% en octobre, soit l’une des pires performances mensuelles pour ce type d’allocation depuis les années 1970.

› Les valeurs technologiques ont plus souffert de la récente correction que le marché élargi.
Certaines sociétés ont publié des résultats décevants au troisième trimestre et plusieurs grands noms du secteur ont annoncé des prévisions moroses. Les fondamentaux du secteur technologique ne nous semblent pas avoir beaucoup changé, mais l’attrait relatif du segment diminue.

 

OBLIGATIONS

› Nous anticipons une volatilité persistante autour des obligations italiennes, en raison de négociations tendues entre Rome et Bruxelles.
Bien que la contagion soit restée limitée, nous continuons de sous-pondérer les obligations des pays périphériques de l’Europe dans cet environnement incertain.

› La correction des actions en octobre a mis le crédit à haut rendement sous pression; le high yield américain a toutefois mieux résisté que son homologue européen, d’où notre positionnement neutre à l’égard du premier et la sous-pondération du second.

 

ACTIFS ALTERNATIFS

Certaines stratégies alternatives ont commencé à gagner du terrain, sur fond d’augmentation de la volatilité. L’ancienne dichotomie entre les gérants longs en actions et les gérants baissiers sur la classe d’actifs semble tourner à l’avantage des seconds. Les gérants de stratégies d’arbitrage et global macro continuent de se positionner en conséquence.

 

 

STRATÉGIE D’INVESTISSEMENT

La prime d’illiquité des investissements alternatifs peut dynamiser les rendements.
Les actifs privés ayant relativement bien résisté lors du récent épisode de liquidation, ils attirent de plus en plus l’attention.

Par CHRISTOPHE DONAY
Responsable de l’allocation d’actifs et de la recherche macroéconomique, chef stratège, Pictet Wealth Management

Les actifs risqués ont dégagé une performance médiocre cette année. Si le S&P 500 était toujours en territoire positif fin octobre, d’autres marchés ont enregistré une perte sur les 10 premiers mois de 2018, qui a même dépassé 10% pour les marchés émergents. Parallèlement, les investisseurs obligataires ont subi la hausse des rendements et la baisse des prix. Les obligations d’entreprise ont elle aussi affiché des rendements négatifs. Les mauvais résultats des titres cotés s’expliquent par les incertitudes politiques et géopolitiques et les craintes d’un relèvement des taux d’intérêt et d’un durcissement monétaire.

La relative résistance des actifs privés illiquides dénote dans ce contexte, d’autant que les fondamentaux économiques demeurent foncièrement solides (les économies poursuivant leur croissance sur fond d’inflation toujours limitée). S’il est un peu injuste de comparer la performance de classes d’actifs liquides et illiquides à un moment précis, les chiffres fournis par Burgiss Private Equity Research indiquent que, sur les six premiers mois de l’année, le private equity américain a dégagé un rendement de 14%, contre un peu plus de 9% pour le private equity immobilier (en USD).

Nos propres recherches montrent que la «prime d’illiquidité» (soit le surcroît de rendement que les investisseurs exigent en contrepartie de leur investissement dans des instruments relativement peu négociés) offerte par le private equity, le private equity immobilier et les hedge funds peut, à long terme, stimuler le rendement ajusté du risque des portefeuilles. Notre conviction que les rendements de diverses classes d’actifs (voir graphique) seront inférieurs à leur moyenne historique nous a récemment conduits à réviser et à ajuster notre allocation d’actifs stratégique afin d’étendre les possibilités dans le segment alternatif et de diversifier les sources de rendement.

Les hedge funds, en particulier les fonds en actions long-short, ont souffert durant les ventes massives d’octobre, mais leurs stratégies en termes de portefeuilles de titres peuvent toujours contribuer à lisser nos performances annuelles et à limiter les pertes d’un pic à un creux (peak-to-trough) parfois subies par les classes d’actifs traditionnelles. Plusieurs stratégies, comme celles neutres au marché, prospèrent lorsque la volatilité progresse. L’intensification des fusions-acquisitions renforce également les opportunités des stratégies d’arbitrage sur fusions.

Mais la diversification ne constitue pas une protection absolue pour les portefeuilles à court terme, puisqu’elle ne porte ses fruits que sur un cycle de marché complet. Et nos recherches montrent que des rendements supérieurs ne peuvent découler que d’une meilleure diversification et d’une plus grande tolérance au risque et/ou de primes d’illiquidité supérieures. Une conclusion confortée par notre analyse annuelle des rendements attendus. Toutes classes d’actifs confondues, les meilleurs rendements ajustés du risque pour les 10 prochaines années devraient émaner du private equity (plus de 10% par an en USD). Le private equity immobilier devrait par essence s’établir en-deçà (5,5% par an), mais le rendement ajusté du risque devrait surclasser celui des actifs assimilés à des actions, comme le high yield. Mais on n’a rien sans rien.

Et si leurs rendements sont potentiellement supérieurs, les actifs sous-jacents des fonds sont généralement illiquides. Il est donc difficile de s’en départir et de les valoriser régulièrement. Toutefois, l’émergence, ces dix dernières années, de fonds alternatifs liquides offrant une liquidité quotidienne ou hebdomadaire devrait apaiser les craintes des investisseurs.
La spectaculaire croissance des investissements alternatifs pourrait susciter l’engouement – d’où la baisse des rendements prévus -, et donner naissance à un éventail sans précédent de classes d’actifs alternatifs spécialisées.

 

STRATÉGIE D’INVESTISSEMENT

Les investissements alternatifs recèlent encore bien des opportunités
Les faibles rendements des investissements traditionnels suscitent un très vif intérêt pour les actifs alternatifs, comme en témoigne la forte hausse des capitaux affluant vers différentes stratégies. Nicolas Campiche estime que cette tendance va se poursuivre, mais invite à la prudence.

Par NICOLAS CAMPICHE – CEO de Pictet Alternative Advisors SA

Selon l’analyse de Pictet Wealth Management, les anticipations de performance annuelle à dix ans sont bien plus élevées pour le private equity que pour les autres classes d’actifs. Ces espoirs sont-ils fondés?
Si je devais réaliser une allocation d’actifs aujourd’hui, je maximiserais l’allocation au private equity dans la mesure permise par le profil de risque du client, d’autant que le cycle de marché tourne et que les rendements des actifs liquides traditionnels restent orientés à la baisse.
Cela étant, vu la hausse des prix des transactions, il est évident que nous atteignons un plafond. Nous restons donc prudents, soucieux de gérer les attentes des clients: même dans le private equity, les rendements devraient diminuer, plombés par la hausse des taux et par l’afflux massif de capitaux vers cette classe d’actifs, ce qui intensifie la concurrence pour les opérations les plus attractives. Autre mise en garde: l’effet de levier qui permet
de financer les opérations de rachat est proche de son record absolu.
Mais les portefeuilles de Pictet Alternative Advisors affichent un multiple moyen de 2,5x du capital investi pour les sociétés vendues. Et même si certains signes invitent à la prudence, les données de Preqin mettent en évi-
dence une hausse très régulière du ratio capital distribué/capital appelé, ce qui suggère que les gérants de private equity font preuve d’une certaine prudence. Mais certains gérants sont encore capables de générer d’excellents rendements indépendamment des effets de marché. Par exemple, nous apprécions les gérants buy and hold qui disposent de l’expertise opérationnelle nécessaire pour vraiment transformer les sociétés et les valoriser sur la durée. Les gérants dont l’expertise dans la cession d’entités de grandes entre-
prises n’est plus à prouver sont également privilégiés, tout comme ceux disposant d’une expertise de niche– par exemple dans les petites entreprises, qui se livrent une concurrence moindre et pour lesquelles les multiples d’acquisition sont plus faibles.

 

Selon vous, quel est le rôle du private equity dans l’investissement technologique?
Le changement radical du cycle de vie des entreprises est l’un des facteurs stimulant le private equity. Des entreprises comme Microsoft et Amazon ont pris l’essentiel de leur gigantesque valeur depuis qu’elles sont entrées en bourse (en 1997 dans le cas d’Amazon). Mais de nos jours, les sociétés innovantes de premier plan font leur entrée en bourse bien plus tardivement, si bien que leur capitalisation boursière est souvent bien plus importante que celles d’Amazon et de Microsoft à leur introduction en bourse. Cela laisse beaucoup plus de valeur à capturer aux investisseurs privés que par le passé. Pour les investisseurs, les fonds de capital-risque (venture capital) sont une possibilité pour accéder à la vaste majorité des éditeurs de logiciels non cotés. La performance
des fonds de capital-risque augmente de manière significative pour approcher celle générée par les opérations de rachat (graphique 1). Mais comme le capital-risque suscite beaucoup d’engouement, les sociétés doivent être soigneusement choisies.

Nombre de hedge funds ont connu une année difficile. De quoi sera fait leur avenir, selon vous?
C’est vrai, un certain nombre de ces stratégies ont été mises en difficulté cette année. Mais si les hedge funds ont parfois sous-performé les fonds en actions durant les périodes de hausse des marchés, ils ont généré des rendements significativement plus élevés dans chacune des périodes de baisse depuis 1990. Par conséquent, les hedge funds ne sont pas devenus caducs. Ils peuvent même générer d’excellents rendements quand les marchés stagnent. En 2002, alors que les marchés affichaient une performance quasi nulle, ils ont enregistré d’excellents résultats. Pour présenter les choses simplement, ces derniers affichent une bonne performance tant qu’il y a une décorrélation entre les classes d’actifs et au sein de celles-ci.
La corrélation entre les performances des actions diminue depuis quelque temps, ce qui signifie que les opportunités de génération d’alpha se multiplient pour les gérants actifs.

Il ne faut pas non plus perdre de vue qu’il existe un lien étroit entre la performance des hedge funds et les taux
à court terme (graphique 2). Quand les taux courts diminuent, la performance nette des hedge funds diminue elle aussi. Mais fondamentalement, ils offrent presque toujours une prime par rapport au taux LIBOR, et cela devrait continuer alors que les taux augmentent. En bref, les rendements absolus des hedge funds sont parfois décevants, mais ils surperforment toujours en termes relatifs.
Plusieurs tendances observées sur les marchés cotés influencent les perspectives des hedge funds. La période de hausse des marchés actions, qui dure depuis mars 2009, est la plus longue de l’histoire. Mais ces dernières sont
devenues onéreuses, de même que les obligations d’entreprise, comme en témoignent les faibles spreads de crédit. Les taux de défaut sont très faibles, ce qui se traduit par des covenants (clauses de sauvegarde) obligataires peu contraignants (et doit appeler à la prudence). Tout cela a été rendu possible par les faibles taux d’intérêt.

Mais les nets replis du mois d’octobre montrent que les investisseurs s’inquiètent du fait qu’un tournant décisif ait été atteint. La volatilité, longtemps limitée, est repartie à la hausse. Nos propres choix reposent sur deux postulats. Premièrement, les taux et l’inflation augmentent, diminuant de facto la corrélation entre les actifs; deuxièmement, la volatilité et les taux de défaut sont orientés à la hausse, ce qui se traduit par des marchés agités.

Le contexte de taux en hausse restreint les possibilités pour les stratégies obligataires, mais la situation est différente pour les hedge funds investis en actions. Du fait de leur capacité à vendre des actions à découvert et à miser sur la baisse des marchés, même les fonds investis en actions long/short, qui ont été mis à rude épreuve dernièrement, peuvent offrir une certaine protection en période de repli.

La tendance haussière des taux d’intérêt devrait aussi être une source d’opportunités pour les fonds axés sur la stratégie distressed, tandis que les fusions et acquisitions devraient rester soutenues pendant une bonne partie
de 2019, ce qui est de bon augure pour les stratégies event-driven et d’arbitrage de fusion. Les fonds qui ont une exposition neutre au marché peuvent continuer à générer de la performance grâce à l’alpha, sans nécessiter de bêta (même pendant une longue période de volatilité).

Que pouvez-vous dire des primes de risque alternatives?
L’alpha représente le rendement ajusté du risque au-delà de ce que l’on pourrait attendre des fluctuations des marchés ou des indices. Mais il peut se décomposer entre le rendement réellement attribuable aux pures compétences de gestion et celui résultant de facteurs que l’on peut qualifier de «systémiques» et mesurables (dynamique, valeur, portage, style et volatilité, etc.). Les primes de risque alternatives peuvent contribuer à réduire les coûts des fonds (pourquoi payer un gérant davantage si des algorithmes déterminent que sa performance est due à des facteurs systémiques?). L’idée est de rémunérer la véritable valeur ajoutée qu’un gérant de hedge fund apporte.

Concrètement, quel est l’éventail des opportunités pour le private equity immobilier (PERE)?

Les rendements attendus sont plus faibles pour le PERE que pour le private equity, car, en principe, l’idée est de générer une rente sur le long terme plutôt que de viser des plus-values à une date déterminée. Là encore, il convient de faire preuve de prudence. Les prix des actifs immobiliers dans lesquels on peut investir ont probablement atteint des sommets (même si les prix ont amorcé un déclin aux Etats-Unis).

Mais certains biens et secteurs immobiliers présentent encore du potentiel, à l’image des logements étudiants (sous-développés et bénéficiant souvent de garanties de l’Etat), des plates formes logistiques (dont le commerce en ligne a besoin) et des logements avec assistance de vie. Nous tenons à ce que les gérants puissent augmenter les flux de trésorerie en améliorant les taux d’occupation et les rendements grâce aux rénovations. Dans le PERE comme dans d’autres domaines, le risque peut être modulé: les biens de prestige peu risqués génèrent de plus faibles rendements attendus que les stratégies opportunistes, qui permettent d’envisager une forte croissance de la valeur mais sont susceptibles de nécessiter des améliorations conséquentes.

 

STRATÉGIE D’INVESTISSEMENT

La chute des rentabilités pourrait bien devenir la norme

Les rentabilités annuelles de nombreuses classes d’actifs devraient chuter cette année, s’inscrivant dans une tendance à long terme.

Par JACQUES HENRY
Stratégiste senior cross-asset, Pictet Wealth Management

 

Commençons par les bonnes nouvelles. La valeur d’un investissement de 100 dollars dans l’indice S&P 500 en septembre 2008 (quelques mois avant le plus bas du marché durant la crise financière) a triplé au
cours des dix dernières années. Et 100 dollars investis dans le MSCI All Country World se sont transformés en 230 dollars au terme de la même période. Bien que dans une moindre mesure, les obligations ont égale- ment généré des rentabilités totales positives. Ainsi, 100 dollars placés en bons du Trésor américain à 10 ans ont doublé de valeur en dix ans. Pas trop mal pour un investissement sans risque, compte tenu de l’absence d’inflation durant cette même période.

Et maintenant, les mauvaises nouvelles: les rentabilités de l’ensemble des actifs s’effritent. Cette année, les rentabilités annualisées d’une série d’indices obligataires et d’actions ont été inférieures à celles des cinq dernières années. C’est là la conséquence des sévères secousses subies par les actifs à risque en janvier/février, puis de nouveau en octobre. Les taux américains ayant augmenté cette année, les rendements obligataires les plus récents sont encore plus décevants.
La forte croissance des bénéfices explique pourquoi les actions américaines ont continué de surperformer leurs pairs pendant la plus grande partie de l’année. Toutefois, les tensions commerciales et la diminution de l’effet des réductions d’impôts se sont traduites par des perspectives bénéficiaires en forte baisse pour
l’année prochaine. Et la dynamique de croissance faiblit (sur la base des indices des directeurs d’achat, nos propres modèles indiquent un ralentissement significatif de la croissance mondiale au cours des prochains mois). Le contexte d’un PIB nominal relativement insipide, même s’il reste positif, devrait peser sur la croissance des bénéfices dans le monde. Les principales obligations souveraines subissent des pressions encore plus fortes. Et les bons du Trésor améri- cain, qui avaient généré un rendement légèrement supérieur à 1% (en dollars) avant inflation au cours de chacune des cinq dernières années, affichent une performance annualisée négative cette année.

Hors fluctuations de marché à court terme, la baisse des rentabilités devrait rester d’actualité pendant un certain temps encore. A plus long terme, les valorisations, tout comme les perspectives conjoncturelles et inflationnistes, n’offrent qu’un soutien limité aux actifs à risque, ce qui signifie que les performances annuelles à 10 ans des actions pourraient bien de ne pas atteindre leurs moyennes historiques, selon l’analyse réalisée pour la publication Horizon de Pictet Wealth Management.

Dans un environnement de taux toujours faibles, les investisseurs avides de rendements continuent de se bousculer autour du private equity.
De fait, au cours des dix prochaines années, ce dernier devrait générer des rentabilités moyennes supérieures à
celles des actions pour un niveau de risque comparable (plus de 10% contre un peu moins de 6% pour le MSCI All Country World, selon Horizon).
Ces changements en termes de rentabilités attendues expliquent pourquoi nous avons privilégié un renforcement des actifs alternatifs dans notre allocation d’actifs stratégique, avec une plus forte présence à long terme des classes d’actifs illiquides comme le private equity et le private equity immobilier.

 

 

PERSPECTIVES POLITIQUES

 

Un monde en quête de
nouvelles politiques

 

CHRISTOPHE DONAY
Chef stratégiste, responsable
de l’allocation d’actifs et
de la recherche macroéconomique,
Pictet Wealth Management

 

Que la politique monétaire devienne

plus restrictive, comme dans de nom-
breux pays développés, ou qu’elle reste

accommodante, comme en Chine, il appa-
raît évident aux yeux de certains que les

banques centrales, après avoir évité un

effondrement du système bancaire pen-
dant la crise financière, ne parviendront

peut-être pas à elles seules à maintenir
l’économie mondiale sur une trajectoire

solide. Une nouvelle approche de la poli-
tique économique, qui combinerait outils

monétaires et budgétaires de façon inédite,
semble s’imposer comme une évidence à
mesure que la dynamique économique
montre des signes de ralentissement.
La Chine l’a bien compris, puisqu’elle
a assoupli au même moment et de façon

mesurée ses politiques monétaire et bud-
gétaire afin de s’assurer que la croissance

du PIB atteindrait 6,6% cette année, selon

nos anticipations. Le gouvernement amé-
ricain semble l’avoir également compris,

de façon plus basique peut-être, en faisant
adopter d’importantes baisses d’impôt fin

2017, ces mesures ayant favorisé une crois-
sance aux Etats-Unis qui devrait s’élever

à 3,0% cette année.

Mais l’avenir reste incertain. En l’ab-
sence d’une forte hausse des dépenses d’in-
frastructures (qui semble peu probable,

car elle aggraverait un déficit fédéral déjà

abyssal), les Etats-Unis sont à la recherche
d’un nouveau moteur de croissance. Et à
mesure que les taux augmentent et que

le cycle économique continue de s’allon-
ger, les dépenses de consommation et d’in-
vestissement, même solides, pourraient

ne pas suffire à soutenir la croissance.
Les réformes économiques entreprises au
Japon, doublées d’une politique monétaire
ultra-accommodante, ont certes redonné
un peu de vigueur à une économie atone,

mais d’importants obstacles structu-
rels pourraient entraver une croissance

saine. Et avec une dette publique équiva-
lente à près de 200% du PIB, sa marge de

manœuvre sur le plan budgétaire apparaît
clairement très limitée.
Mais c’est peut-être en Europe que
la question des politiques économiques
se pose avec le plus d’acuité, l’avenir de
la zone euro étant potentiellement mis
à mal par l’impasse dans laquelle se
trouve le projet budgétaire italien. Un

compromis qui coordonnerait la poli-
tique monétaire de la zone euro et les

politiques budgétaires pourra-t-il être
trouvé? Un tel compromis se heurte bien
sûr à des intérêts politiques. Mais une
façon de relancer le projet européen qui
montre de sérieux signes d’essoufflement
pourrait être de repenser les politiques
économiques.

Une modeste relance budgétaire dans la zone euro à
l’heure du resserrement de la politique monétaire

Nadia Gharbi, économiste Europe, Pictet Wealth Management

Alors que plusieurs économies développées
favorisent de plus en plus les
outils budgétaires, et sollicitent moins
les leviers monétaires, la zone euro reste
à la traîne, même si 2019 pourrait marquer
un changement.
La normalisation de la politique
monétaire est en effet en cours. La
Banque centrale européenne (BCE) a
réduit ses achats d’actifs mensuels de
EUR 30 à 15 milliards en octobre et prévoit de mettre un terme à l’assouplissement
quantitatif (QE) d’ici la fin
de l’année, sous réserve des données
à venir. La politique monétaire restera
néanmoins accommodante dans
la mesure où la BCE prévoit de réinvestir
«pour une période prolongée»
le principal qui lui sera versé quand
les titres achetés dans le cadre du programme
de QE arriveront à échéance.
En ce qui concerne les taux d’intérêt,

une première hausse de 15 pb (points de base) du taux de dépôt de la BCE est à prévoir en septembre 2019, suivie d’une hausse de 25 pb de tous les taux directeurs en décembre. Néanmoins, des risques de plus en plus importants pèsent sur ce scénario. Les statistiques récentes plutôt faibles (les estimations de la croissance du PIB au 3e trimestre et les enquêtes conjoncturelles d’octobre, par exemple) pourraient ainsi l’inciter à agir avec plus de prudence dans sa marche vers la normalisation.
Alors que l’impact de la politique monétaire tend à diminuer, 2019 pourrait bien être celle où la politique budgétaire de la zone euro viendra soutenir la croissance, même de façon modeste. Les Etats membres de la zone euro ont en effet tous soumis leur projet de plan budgétaire (PPB) pour 2019 à la Commission européenne. Réunis, ces projets laissent transparaître une politique budgétaire expansionniste dans la zone euro pour l’année prochaine, bien que de façon très variable d’un pays à l’autre (voir graphique). Parmi les principales économies, cette évolution est surtout le résultat d’un important relâchement budgétaire en Allemagne, en Italie et aux Pays-Bas. La France et l’Espagne prévoient de leur côté un modeste resserrement budgétaire, qui reste inférieur à l’effort exigé par la Commission européenne.
D’importantes incertitudes subsistent aussi quant à la mise en oeuvre de ces plans et à leur impact sur la croissance. L’assouplissement budgétaire allemand pourrait s’avérer moins important que son PPB ne le laisse entendre, car le pays a eu tendance à ne pas tenir ses engagements en la matière

ces dernières années. Le plan budgétaire italien représente une déviation claire par rapport aux règles de l’Union européenne, qui ne dispose pas d’outils efficaces pour faire appliquer ces règles. Mais les marchés, plutôt que les autres pays membres, pourraient finalement convaincre les autorités italiennes de changer de cap. En effet, l’assouplissement budgétaire pourrait s’avérer contre-productif, les effets positifs étant nettement contrebalancés par les hausses de taux d’intérêt. Quant au gouvernement minoritaire au pouvoir en Espagne, il pourrait ne pas être en mesure de faire adopter son plan budgétaire par le Parlement en l’état.
Dans l’ensemble, alors que la dynamique de croissance marque le pas, que le soutien monétaire devient moins marqué et que les risques exérieurs augmentent, l’assouplissement budgétaire pourrait apporter un (modeste) soutien à la croissance de la zone euro en 2019. Mais rien de plus pour le moment. Les marges de manoeuvre budgétaires sont inégalement réparties et sous-optimales, car il semble peu probable que les pays excédentaires utilisent pleinement les leviers à leur disposition.

 

Le blocage politique limite le risque d’un resserrement monétaire excessif de la Fed
Thomas Costerg, économiste senior Etats-Unis, Pictet Wealth Management

Certains craignaient que la Réserve fédérale (Fed) ne tente de compenser la politique budgétaire laxiste de Trump, y compris les baisses d’impôts de décembre 2017, par une politique monétaire encore plus stricte que prévu. Mais son président, Jerome Powell, s’en est tout compte fait tenu à une hausse de taux «de routine» chaque trimestre depuis fin 2016. Les craintes d’un resserrement monétaire venant compenser un assouplissement budgétaire excessif s’éloignent désormais avec le possible blocage politique au Congrès (voir l’autre article du même auteur en page 18).
Cela ne signifie pas pour autant que le travail de la Fed sera plus aisé dans les mois à venir, cette dernière se demandant quand mettre fin au cycle de resserrement au cours, en d’autres termes, à quel moment arrêter son habituelle hausse trimestrielle de taux, d’autant que ses taux directeurs se rapprocheront bientôt de ce qu’elle estime être le «taux neutre» nominal (3%). A mesure que les taux à court terme augmentent, la Fed s’inquiète également d’une inversion de la courbe des taux (avec des taux à court terme supérieurs aux taux à long terme).
Jerome Powell a affirmé au cours de l’été, dans une intervention marquant une évolution majeure, que la Fed ne mettrait pas nécessairement un terme au cycle de hausse des taux quand le taux neutre serait atteint – en fait, a-t-il suggéré, la Réserve fédérale pourrait poursuivre les hausses aussi longtemps que la croissance américaine se maintiendra. Comme son prédécesseur Alan Greenspan, Jerome Powell semble enclin à penser que la productivité américaine va augmenter considérablement avec la vague d’innovations en cours, ce qui aura pour effet de prolonger le cycle économique actuel.
Mais la Fed ne devrait pas aller bien au-delà de ce qu’elle considère être le taux neutre, et ses membres favorables à une approche plus équilibrée pourraient se faire entendre davantage en 2019, d’autant qu’un léger ralentissement de la dynamique économique se profile au second semestre de l’année prochaine.
L’ingérence de Trump constituera probablement un autre paramètre important dans l’approche de la Fed, car il a accusé Jerome Powell à plusieurs reprises d’avoir sapé l’activité économique, même si les taux d’intérêt restaient historiquement bas (et que le pic de 5,25% atteint avant la crise était encore loin). La Fed ne devrait pas faire grand cas des tweets et autres commentaires de Trump, car ses membres ont tendance à avoir une vision à plus long terme que les présidents. En outre, le fait d’avoir une hausse de taux récurrente chaque trimestre prémunit contre l’ingérence du gouvernement.
Jerome Powell pourrait ainsi continuer à augmenter mécaniquement les taux tant que la progression du PIB restera supérieure au potentiel de croissance, que la Fed estime être de 1,8%, et que les marchés financiers se comportent normalement. Il est peu probable que la Réserve fédérale suspende sa politique de resserrement en raison des politiques commerciales agressives de Trump, à moins que ces dernières ne créent d’importantes frictions sur les marchés. Tout compte fait, une politique monétaire en mode pilote automatique et l’absence d’initiatives budgétaires ambitieuses pourraient contribuer à un apaisement des marchés dans les prochains mois, mais des questions de politique monétaire se poseront aux Etats-Unis avec le ralentissement économique qui interviendra l’année prochaine, et plus encore en 2020.

 

Le début de la fin de la politique monétaire ultra-
accommodante de la BoJ
Dong Chen, économiste senior Asie, Pictet Wealth Management

 

Après presque six ans de politique monétaire particulièrement accommodante, la Banque du Japon (BoJ) reste la seule des grandes banques centrales ayant eu recours à l’assouplissement quantitatif (QE) qui n’a pas tracé un chemin clair vers la normalisation.
Mais elle a de bonnes raisons d’être attentiste. Malgré l’amélioration notable de l’économie au cours des six dernières années, l’inflation est en effet restée faible. L’indice des prix à la consommation (hors produits alimentaires frais) devrait augmenter de 0,9% en 2018, soit moins de la moitié de l’objectif de 2% fixé par la BoJ. Si l’on exclut les prix de l’énergie, l’inflation sous-jacente a atteint seulement 0,4% en septembre 2018. Et bien que les salaires progressent enfin à un rythme plus soutenu, l’impact sur l’inflation sera très graduel.
En juillet, la BoJ a procédé à une série d’ajustements de sa politique d’assouplissement monétaire. Tout d’abord, elle a introduit des orientations et s’est engagée à maintenir des taux d’intérêt extrêmement bas pendant «une période prolongée». En outre, elle a assoupli son programme d’achat d’obligations et l’objectif de taux des obligations d’Etat japonaises à 10 ans, ceux-ci devant désormais se situer dans une fourchette de plus ou moins 0,2% autour de zéro, au lieu de précédemment. La banque centrale a également réduit les soldes des comptes des établissements financiers assujettis au taux d’intérêt négatif et a modifié la structure de son programme d’achat d’ETF (fonds indiciels). Ces mesures ont rendu sa politique d’assouplissement monétaire nettement plus soutenable.
Autre facteur qui a pu empêcher la BoJ de normaliser sa politique, l’impact incertain de la hausse de la TVA de 8% à 10%, prévue en octobre 2019, car une précédente hausse en 2014 (de 5% à 8%) avait plongé l’économie dans une récession temporaire.
Bien que de bons arguments plaident en faveur d’une politique monétaire stable, le décalage entre la politique monétaire de la BoJ et celle de ses homologues occidentaux semble créer un malaise grandissant sur les marchés, d’autant que la Fed devrait continuer à relever ses taux en 2019. De plus, les effets collatéraux de la politique monétaire ultra-accommodante de la BoJ suscitent des inquiétudes. Par exemple, les taux d’intérêt extrêmement bas et l’aplatissement de la courbe des taux ont nui à la rentabilité des établissements financiers.
Dans ce contexte, le gouverneur de la BoJ, Haruhiko Kuroda, a fait pour la première fois allusion à un possible resserrement de la politique monétaire, sans formuler un plan clair. Dans un discours récent, il a déclaré que le Japon ne se situait plus à un stade où la mise en oeuvre d’une politique ambitieuse et résolue pour surmonter la déflation était considérée comme l’approche la plus appropriée.
La BoJ devrait maintenir inchangés les principaux paramètres de sa politique de contrôle de la courbe des taux tout au long de 2019, jusqu’à ce que les répercussions de la hausse de la TVA apparaissent plus clairement. Cela n’empêchera cependant pas le marché de spéculer sur la prochaine décision de la banque centrale, ce qui pourrait créer de la volatilité.

 

 

PERSPECTIVE RÉGIONALE

«L’accord actuel, pas
d’accord, ou pas de Brexit»

Mi-novembre, le ministère du Brexit a approuvé, à contrecoeur,
l’accord de divorce entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
En fonction des différents scénarios, quelles sont les perspectives
pour la livre sterling, mais aussi pour les actions, les obligations
et l’immobilier britanniques?

 

JAMES IND
Responsable des stratégies multi-actifs
flexibles et mono-actifs,
Pictet Wealth Management

 

Monnaie: la bienveillance des
étrangers
La livre sterling est le baromètre du
risque lié au Brexit, conséquence
logique d’un déficit commercial parmi
les plus vertigineux au monde. Depuis
le début du XXIe siècle, le Royaume-
Uni a importé quasiment mille milliards
de dollars de biens et services de
plus qu’il n’en a exportés. C’est comme
si chacun des 25 millions de ménages
du pays utilisait sa carte de crédit pour
s’acheter une BMW Série 3.
Pourquoi, sous l’effet de la boulimie
de biens étrangers de sa population,
la livre sterling n’a-t-elle pas
reculé beaucoup plus? Parce que les
capitaux sont toujours revenus en
abondance sous forme d’investissements.
Comme l’a dit le gouverneur
de la Banque d’Angleterre, le pays
s’est reposé sur la «bienveillance des
étrangers».
Jusqu’au Brexit, cette bienveillance
était sans limites, le Royaume-Uni
comptant parmi les pays les plus prisés
des investisseurs. D’après Deloitte,
60% des plus grandes sociétés non
européennes au monde possèdent leur
siège social européen à Londres, ce qui
a contribué à faire du Royaume-Uni
une destination attrayante pour l’investissement
dans l’appareil productif,
mais aussi dans l’immobilier commercial
et résidentiel.

 

Après le référendum, nombreuses
sont les entreprises qui ont suspendu
leurs programmes de dépenses au
Royaume-Uni. Cette décision a pesé
sur la livre sterling qui, d’après les
calculs de Pictet Wealth Management,
s’est retrouvée sous-évaluée de plus de
10% par rapport à sa valeur fondamentale
à long terme.
A plus long terme, peut-être le
Royaume-Uni se réinventera-t-il en
territoire offshore accueillant pour les
entreprises, à la manière de Dubaï ou
de Singapour? Peut-être. Parions toutefois
que peu d’électeurs souhaitent
un tel devenir, jugé ne profiter qu’à
une poignée d’acteurs économiques.
Actions: bonne et mauvaise nouvelle
à la fois
L’une des méprises les plus courantes
au sujet du Brexit est la croyance qu’il
pénalisera les actions britanniques.
Paradoxalement, c’est l’inverse. Le
marché boursier britannique est
dominé par quelques-unes des plus
grandes multinationales au monde:
six sociétés (HSBC, Royal Dutch Shell,
BP, AstraZeneca, GlaxoSmithKline et

BAT) comptent à elles seules pour un
tiers de son principal marché actions.
Grâce à leur vaste présence mondiale,
elles ne seront pas touchées par les problématiques
britanniques locales. Par
ailleurs, si le cours de la livre fausse
leurs charges et leurs bénéfices, il a
peu d’influence sur leurs ventes. En
effet, les sociétés du FTSE 100 réalisent
plus de 75% de leur chiffre d’affaires à
l’étranger. De ce fait, plus le Brexit sera
dur, plus la livre sera affaiblie et plus
leurs bénéfices seront élevés.
Dans le graphique ci-après, la performance
du FTSE 100 ces deux dernières
années est présentée de manière
à mettre en évidence les semaines où
la livre s’est appréciée, et celles où elle
s’est dépréciée. On constate ainsi que le
FTSE 100 surperforme invariablement
le reste du monde lorsque la livre est
faible, et vice versa, les gains suffisant
généralement pour couvrir les éventuelles
pertes de change.
Emprunt d’Etat britannique (Gilts):
mesures d’urgence
Comme les marchés obligataires souverains
l’ont démontré ces dernières
années, c e s ont l es a nticipations d e
taux d’intérêt à court terme qui ont
influencé les cours obligataires, bien
au-delà des craintes liées à la solvabilité
à long terme du pays, au montant total
de la dette ou encore à l’inflation et à
la croissance potentielles à long terme.
En ce sens, le Royaume-Uni est un pays
comme un autre. Dans le scénario «pas
d’accord», les taux d’intérêt resteront
probablement bas et conformes à une
politique «d’urgence», ce qui soutiendra
les Gilts. En revanche, dans
les scénarios «pas de Brexit» et «d’accord
actuel», la Banque d’Angleterre acquerra sans doute la confiance suffisante
pour relever ses taux directeurs
(dont les niveaux sont historiquement
bas), en particulier dans le contexte de
faiblesse record du taux de chômage
du pays. Il est donc possible que, tout
comme ils l’ont fait récemment, les
cours obligataires continuent d’évoluer
de manière inversement proportionnelle
à la livre.
Immobilier: une réalité hétérogène
L’immobilier britannique s’est récemment
heurté à plusieurs obstacles
sans rapport avec le Brexit, comme
les prix astronomiques dans le résidentiel,
l’évolution des modèles dans
le commercial et, comme en attestent
les innombrables grues dans le ciel de
Londres, le développement rapide de
l’offre de bureaux. Dans ce domaine,
l’impact du Brexit sera plus spécifique.
Toutefois, dans le scénario extrême
où il n’y aurait pas d’accord, on peut
tout à fait supposer que l’exode des
entreprises internationales et de leurs
employés exercera des pressions baissières
s ur les prix dans l ’immobilier
de bureaux et le résidentiel haut de
gamme, et inversement.
Avant de conclure, il convient de
rappeler que le risque de volatilité
pourrait augmenter nettement à l’avenir.
D’après les bookmakers, le parti
travailliste a 47% de chances de remporter
les prochaines élections. Désormais
considéré comme d’extrême
gauche, il s’est fermement engagé à
réduire la sphère du capitalisme, ce qui
pourrait avoir des conséquences nettement
plus lourdes pour les actifs britanniques.
Si les marchés commencent
à peine à digérer les hors-d’oeuvre du
Brexit, reste à voir ce qu’ils feront du
plat principal politique.

 

 

«L’ACCORD ACTUEL»
La décote actuelle de la livre par
rapport à sa valeur fondamentale
pourrait commencer à se réduire,
car malgré quelques incertitudes
persistantes, les entreprises et
les investisseurs ont désormais
la visibilité requise pour commencer
à réinvestir au Royaume-
Uni. Un tel scénario provoquerait
une hausse de la monnaie
britannique.
PAS D’ACCORD
L’inversion des flux d’investissement,
l’absence durable de
certitude et un possible échec
politique engendreraient dans
un premier temps la chute de la
livre.
PAS DE BREXIT
La livre pourrait se redresser
fortement, car Londres serait en
mesure de réaffirmer son rôle de
capitale européenne des affaires.
S’appuyant sur un contexte économique
solide, la Banque
d’Angleterre pourrait quant à
elle relever ses taux.

 

«L’ACCORD ACTUEL» ET «PAS DE
BREXIT»:
le FTSE 100 recule légèrement
par rapport à d’autres marchés
actions, les avantages économiques
intérieurs supérieurs
sont compensés par l’appréciation
proportionnelle de la livre,
ce qui rogne les marges des
exportateurs.
«PAS D‘ACCORD»:
le FTSE 100 est relativement
solide, porté par une livre faible.

 

 

 

PERSPECTIVE RÉGIONALE

 

Entre espoir et dédain,
l’Amérique du Sud doit
voler de ses propres ailes

Pour convaincre des investisseurs sceptiques, les trois grandes
économies de la région doivent évoluer politiquement et
financièrement

CARLOS CADAVID
Responsable du conseil
en revenu fixe,
Pictet Wealth Management

 

Ces trois dernières années, les
déficits budgétaires primaires
ont diminué en Amérique latine.
Réduire le déficit primaire ou, mieux
encore, parvenir à un excédent primaire
est perçu comme une garantie
de solvabilité susceptible d’apaiser
l’esprit des investisseurs, tout particulièrement
à propos des marchés
émergents. Aujourd’hui, alors que la
hausse des niveaux d’endettement
commence à susciter des inquiétudes,
les marchés espèrent que les
déficits en Amérique latine sont parvenus
à un point d’ inflexion et continuent
de baisser.
Le Brésil, le Mexique et l’Argentine
représentent les deux tiers du PIB
de la région. Ces trois pays ont désormais
des gouvernements qui prônent
la discipline budgétaire. Malheureusement,
ils semblent également
recourir à la bonne vieille recette
inefficace pour atteindre cet objectif:
concentrer tous les e fforts sur l ’augmentation
des revenus plutôt que sur
la réduction des dépenses. Car, bien
sûr, accroître les revenus s’avère plus
payant en termes politiques.
Pesant pour un tiers du PIB de la
région, le Brésil donne le la, et le reste
de l’Amérique latine suit. Le nouveau
gouvernement de droite, dirigé par le
président Jair Bolsonaro, doit dégager
et préserver un excédent budgétaire
primaire pendant les cinq prochaines
années (le pays affiche actuellement
un déficit de -2,4% du PIB d’après
le Fonds monétaire international/
FMI), pour juste stabiliser le niveau
de la dette publique, qui atteint
aujourd’hui de 88% selon les chiffres
du FMI, contre 60% il y a seulement
cinq ans. Cette tâche a été dévolue au
nouveau ministre des Finances, Paulo
Guedes, l’un des économistes du
groupe des «Chicago boys» formés à
l’Université de Chicago auprès de Milton
Friedman, auxquels on attribue
souvent la réussite de l’économie chilienne
pendant les années 1980. Guedes
semble avoir une position claire
sur le problème en cause, affirmant
dans un article récemment paru dans
le Financial Times «que le Brésil g aspille
chaque année l’équivalent d’un
plan Marshall pour assurer le service
de sa gigantesque dette ». Les investisseurs
s’attendent donc à ce qu’il se
lance dans des privatisations et une
réforme de la sécurité sociale, comme
l’ont fait d’autres Chicago Boys.
Mais les investisseurs demandent
que les promesses deviennent réalité
et observeront de près le lancement
de la réforme du système des retraites,
l’une des principales causes du
déficit budgétaire brésilien. Jair Bolsonaro
doit imposer son autorité sur
un Parlement, divisé (30 partis sont
représentés au Congrès du pays), s’il
veut atteindre la nécessaire réduction
des dépenses. Et il ne parviendra à un
certain consensus que si le ministre
des Finances Guedes arrive à stimuler
suffisamment l’économie pour
surmonter l’opposition à ses plans
de réforme des retraites et à améliorer
l’efficacité du gouvernement. Plus
facile à dire qu’à faire.
A la différence du Brésil, le Mexique
bénéficie d’un excédent budgétaire
primaire (1,3% du PIB, selon
les chiffres du FMI). Mais la confiance
des investisseurs a été entamée
par les récentes mesures du nouveau

 

président Andres Manuel Lopez Obrador
(AMLO), dont les initiatives visant
à modifier la constitution pour renforcer
le recours aux consultations
publiques, ainsi qu’une récente proposition
de modification de la législation
bancaire (bien que promptement
retirée), ont affecté la visibilité
de sa politique. Le Mexique s’est distingué
cette année en faisant figure
de «valeur refuge» latino-américaine,
grâce à la signature d’un accord commercial
renouvelé entre les Etats-
Unis, le Canada et le Mexique, la stabilité
de sa dette publique (un chiffre
relativement bas de 54% du PIB) et
des mesures de politique budgétaire
efficaces. Mais les marchés ne continueront
de soutenir le Mexique que si
Andres Manuel Lopez Obrador met en
sourdine ses propos récents.
En Argentine, l’administration est
confrontée au défi le plus difficile au
sein de la région (à l’exception de la
crise économique et humanitaire qui
sévit au Venezuela). A l’approche de
l’élection générale prévue en octobre
2019, le président argentin Mauricio
Macri a récemment obtenu un plan de
sauvetage de USD 57 milliards de la
part du FMI, le plus important jamais
consenti par cet organisme.
L’économie de l’Argentine, actuellement
en récession, doit faire face
à un grave problème de balance des
paiements. La croissance devrait se
contracter de près de 3% cette année
et l’inflation rester supérieure à 40%,
tandis que l’aggravation de la dette
publique (63% du PIB, selon le FMI)
commence, une fois de plus, à priver le
pays d’un accès aux marchés des capitaux.
Le FMI a imposé une condition
pour que l’Argentine reçoive les versements
du prêt sur une période de
trois ans: le gouvernement doit équilibrer
son budget (dont le déficit atteint
actuellement -2,7% du PIB) d’ici le
second semestre 2019. Il n’est donc
pas surprenant que les investisseurs
ne se bousculent pas et observent
avec beaucoup d’attention comment
le plan de sauvetage du FMI est utilisé
et comment le gouvernement satisfait
aux conditions qui y sont attachées.
Les investisseurs conservent un mauvais
souvenir du défaut de paiement
de la dette de l’Argentine en 2001 et de
la rupture de ses relations avec le FMI
en 2006. L’administration Macri doit
donc prouver qu’elle est sérieuse en
matière de réformes avant de regagner
leur confiance.
L’Amérique latine a besoin que les
prix des matières premières se stabilisent
pour espérer profiter de la croissance
mondiale et de flux de capitaux
positifs susceptibles de rééquilibrer
ses économies. Mais ni l’un ni l’autre
ne sont garantis. Le moment est dès
lors venu pour la région de voler de ses
propres ailes, car les chocs exogènes
sont hors de son contrôle. Comme les
ménages, l’Amérique latine ne peut
pas vivre éternellement à crédit: les
gouvernements doivent réduire leurs
dépenses maintenant. Cela peut certes
s’avérer coûteux en termes politiques,
mais c’est essentiel pour l’avenir
– et les investisseurs le savent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

GRAND ANGLE SUR L’INVESTISSEMENT
Après les élections de mimandat,
dans quelle mesure
Donald Trump acceptera-t-il
la victoire des Démocrates?

 

La prise de contrôle de la Chambre des représentants par les
Démocrates laisse présager d’un blocage législatif pour les deux
prochaines années, même si une coopération sur certains sujets
n’est pas à exclure.

 

THOMAS COSTERG
Économiste US senior,
Pictet Wealth Management

 

Avec près de 30 sièges remportés
lors des élections de mi-mandat de
novembre, les Démocrates disposent
désormais de la majorité à la Chambre
des représentants, mais les Républicains
gardent la main sur le Sénat.
Quelles seront les conséquences de
cette division du Congrès sur la politique
économique? Trois scénarios
sont envisageables. Dans le premier,
les Démocrates affrontent plus directement
Trump. La Chambre dispose
en effet de pouvoirs d’investigation
étendu et le président traîne plusieurs
affaires. Et une confrontation pourrait
non seulement retarder les diverses
échéances budgétaires mais aussi,
en alimentant l’incertitude, compromettre
la situation économique.
La deuxième hypothèse est celle
d’un statu quo, ce qui ne serait peutêtre
pas si mal, puisque les baisses
d’impôts de décembre 2017 doivent

encore être assimilées et que l’économie,
même robuste (voir graphique),
n’a toujours pas induit la hausse de
recettes fiscales promise. Ce scénario
permettrait également à la Fed de
poursuivre le relèvement progressif de
ses taux et d’éviter toute annonce surprise
de Jerome Powell.
La troisième possibilité est que le
président trouve un terrain d’entente
et coopère avec les Démocrates. Après
tout, il a été l’un de leurs partisans
notoires pendant plusieurs années
avant de brusquement virer de bord
pour se présenter sous la bannière des
Républicains. Certains aspects de son
programme de 2016, comme la promesse
d’augmenter les dépenses d’infrastructures,
se rapprochent plus des
idées démocrates que des vues des
Républicains qui siègent au Congrès
et qui évitent le sujet depuis deux ans.
Pressentie pour présider la Chambre,
la Démocrate Nancy Pelosi a affirmé
son désir d’une entente bipartite sur
les questions des infrastructures et de
la santé (et notamment sur la baisse du
prix des médicaments). Fin négociateur
s’il en est, Donald Trump a laissé
entendre qu’il était ouvert à toute
discussion.
Mais le diable pourrait se nicher
dans les détails. La hausse des
dépenses d’infrastructures pourrait
en effet rester lettre morte, faute d’accord
sur le financement, car le relèvement
des impôts sur les entreprises,
même léger, que les Démocrates proposent
(et que Trump semble disposé à

accepter) pourrait se heurter à l’opposition des sénateurs républicains. Les jeunes démocrates très à gauche pourraient également chercher à repousser les avances de l’administration Trump.
Trump pourrait aussi obtenir le soutien de certains Démocrates (notamment des Etats industriels de la Rust Belt) envers sa politique commerciale, une véritable prérogative présidentielle. Le bras de fer avec la Chine pourrait bientôt se durcir, le déficit commercial au niveau des marchandises s’étant encore creusé cette année. Et même si le dialogue devait se maintenir, une éventuelle rupture des relations risquerait de miner la confiance des entreprises américaines, multinationales en tête. Donald Trump pourrait aussi appliquer sa redoutable technique de négociation à d’autres partenaires commerciaux. Notre scénario de base ne prévoit a priori pas l’imposition de droits de douane sur les principales importations européennes, mais nous surveillons attentivement ce risque.
Les Démocrates pourraient par ailleurs tacitement soutenir la réglementation sur les géants de la technologie souhaitée par le président, les difficultés surgissant alors de son propre camp, plusieurs sénateurs républicains hésitant à exercer un contrôle sur les entreprises. La défaite de l’administration Trump dans la procédure antitrust contre le rachat par AT&T de Time Warner cette année pourrait dissuader d’autres actions en justice.
Mais au final, malgré le risque d’impasse politique, les entreprises américaines se portent bien et profitent d’une solide économie intérieure. Et s’il est vrai que la Fed relève ses taux, ceux-ci sont loin d’asphyxier l’économie, malgré le récent tassement du marché immobilier. Il faudra sans doute donc plus que la Fed, et plus qu’un blocage à Washington, pour venir à bout de ce cycle.

 

 

GRAND ANGLE SUR L’INVESTISSEMENT
«Quants» – les quatre révolutions

 

Le rôle croissant des analystes de données et l’évolution qualitative dans des domaines tels que l’investissement factoriel ou les «robo-conseillers» transforment en profondeur la gestion d’actifs.

 

ALESSANDRO NILO
Responsable de la stratégie quantitative,
Pictet Wealth Management

 

Aujourd’hui, tout le monde parle de l’intelligence artificielle (IA) et de sa capacité à accélérer l’apprentissage humain. De fait, les ordinateurs sont de plus en plus intelligents – mais grâce à la réduction des erreurs et aux gains d’efficacité résultant de l’IA, les êtres humains le deviennent également. L’accès sans précédent à d’énormes quantités de données et l’augmentation des puissances de calcul (deux éléments clés) ont accéléré l’essor de l’IA ces dernières années. Mais qu’entend-on exactement par intelligence artificielle et en quoi celle-ci peut-elle révolutionner l’avenir de la finance?
En substance, l’IA recouvre des machines capables de générer une intelligence comparable à celle des humains, grâce à l’ingestion de données – structurées ou non – par le biais de différentes techniques d’apprentissage. L’apprentissage automatique (machine learning) et ses sous-domaines – parmi lesquels l’apprentissage profond (deep learning), le traitement automatique du langage naturel (natural language processing) ou l’apprentissage supervisé et non supervisé – constituent les principales méthodes utilisées pour acquérir des informations de marché utiles ou automatiser des tâches spécifiques.
La première révolution induite par l’IA se reflète dans la profonde transformation du paysage de l’emploi dans la finance: les «quants» (concepteurs de modèles mathématiques) et les analystes quantitatifs y occupent

désormais une place prépondérante, alors que les fonctions de négoce traditionnel ont disparu. Les analystes de données (un nouveau débouché intéressant pour les analystes quantitatifs), en particulier, scrutent et interprètent des données numériques complexes au moyen de calculs statistiques et mathématiques, afin d’assister les prises de décision en matière d’investissement (prévisions et allocation d’actifs) ou d’exécution de tâches spécifiques (les modèles mathématiques peuvent aider à résoudre des problèmes plus rapidement que les humains). Les analystes de données – et en particulier ceux qui sont au bénéfice d’une expérience dans l’analyse prédictive et l’apprentissage automatique – sont sans doute les candidats les plus recherchés à Wall Street.
Python, code source libre d’accès, est en passe de devenir le langage de prédilection des analystes quantitatifs en herbe, du fait de sa flexibilité et de l’importante réserve de paquets d’informations utilisables pour l’analyse de données. Le langage Python pourrait quant à lui progressivement remplacer les feuilles de calcul, et permettre à terme d’automatiser certaines activités de recherche (p. ex. présentations et rapports sous forme de texte), tout en réduisant leur coût de production.
«Les analystes de données au bénéfice d’une expérience dans l’analyse prédictive et l’apprentissage automatique sont les candidats les plus recherchés à Wall Street»
L’explosion des nouvelles sources de données disponibles constitue une deuxième révolution. Quelque 2,5 trillions d’octets sont générés chaque jour et, selon IBM, 90% des données créées à l’échelle mondiale l’ont été au cours des dernières années.
Durant les deux dernières décennies, les analystes quantitatifs se sont donc habitués à travailler avec des données nettoyées, structurées, rapides d’accès, facilement stockées dans des bases de données en format standardisé. Mais l’avenir est promis aux données dites non structurées (alternatives), souvent brutes, riches en texte, associant parfois du contenu audio ou vidéo, et donc trop volumineuses pour être traitées par des humains dotés d’outils conventionnels. Les applications qui reposent sur l’utilisation de données non structurées peuvent par exemple permettre de suivre, via satellite, les cargos qui traversent les grandes voies maritimes ou la circulation piétonne dans les grands magasins afin de faire des prévisions économiques en temps réel ou d’estimer les niveaux de vente avant la période de publication des résultats.
Sachant que les techniques traditionnelles ne suffisent plus à filtrer les énormes volumes d’informations disponibles, le secteur quantitatif élabore des solutions visant à consolider et à analyser les données et à déterminer si elles peuvent effectivement contribuer à générer des rendements supérieurs à ceux du marché (alpha). C’est là que l’apprentissage automatique entre en jeu – en nous permettant de passer en revue des données désordonnées pour y puiser des informations jusqu’ici considérées comme impossibles à acquérir.
La troisième révolution en cours concerne le segment fintech (technologie financière/robo-conseillers). Les assistants virtuels, en particulier, constituent une solution avantageuse pour introduire l’IA dans les activités bancaires. Ces «agents conversationnels» (chatbots) peuvent aider les clients à effectuer leurs paiements, à rembourser leurs emprunts ou à investir, et leur proposer parallèlement des analyses prévisionnelles et en temps réel ou une actualisation de leur situation financière par le canal de leur choix (messagerie instantanée, par exemple). Les systèmes de reconnaissance vocale par traitement automatique du langage et les systèmes voice-to-data sont capables de transcrire et d’interpréter les cours, les avertissements sur bénéfices, les paiements et les transactions, et d’intégrer automatiquement les données collectées dans des rapports ou des bulletins de commandes. La prochaine génération d’assistants virtuels (disponible dès l’an prochain) pourra répondre aux messages et aux appels téléphoniques en fonction de séances planifiées sans que jamais l’émetteur ne sache qu’il s’agit d’un robot. Selon les estimations, environ 85% des interactions avec la clientèle pourraient être gérées par intelligence artificielle d’ici à 2020. Pour rester compétitives, les banques devront donc adapter leurs services traditionnels et intégrer plus de robotique. Au demeurant, la robotique constituera un facteur clé en termes de compétitivité pour la quasi-totalité des entreprises au-delà du secteur de la finance, puisqu’elle leur permettra d’exploiter d’abondantes ressources de données et de mieux cibler les clients par le biais d’offres personnalisées et d’une tarification dynamique.
«D’ici à 2020, 85% des interactions avec la clientèle pourraient être gérées par l’intelligence artificielle»
L’essor de l’investissement factoriel constitue la quatrième et dernière révolution en cours. Cette méthode va au-delà des stratégies passives classiques grâce à une approche plus systématique, basée sur des règles. L’engouement pour l’investissement factoriel s’explique aisément: ça marche! En effet, de nombreuses études empiriques montrent que l’investissement factoriel peut générer des performances ajustées du risque plus élevées qu’un portefeuille 60/40 classique (60% d’actions, 40% d’obligations), en tirant parti d’anomalies liées aux fondamentaux, au sentiment du marché ou aux indicateurs d’évolution des cours. La gamme des solutions possibles va des ETF à bêta élevé, basés sur un facteur générique unique, à des offres plus sophistiquées, basées sur des indices factoriels sur mesure ou des portefeuilles multiactifs et multifacteurs gérés de manière active.
En conclusion, avec la démocratisation de l’information et l’accès à de nouvelles sources de données, toujours plus sophistiquées, les quants seront amenés à jouer un rôle clé dans toutes les disciplines financières. Savoir coder deviendra une compétence essentielle pour toute personne souhaitant travailler dans les services financiers, la gestion du risque et la recherche. A peine perceptible pour l’heure, cette transition devrait fortement s’accélérer au cours des dix prochaines années, puisque les quants devraient complètement révolutionner l’écosystème financier.
Pour autant, l’IA ne pourra pas résoudre à elle seule tous les défis financiers, car une différence fondamentale distingue les humains des machines: l’expérience humaine est cumulative et contextuelle; c’est ce qui nous permet de comprendre, mieux que toute intelligence non humaine, comment le monde fonctionne. Les machines d’IA, en revanche, sont conçues pour exécuter des tâches isolées uniquement. Les compétences des êtres humains vont toujours bien au-delà de celles de toutes les machines inventées jusqu’ici: et si l’être humain n’est jamais meilleur que la machine nous sommes fermement convaincus qu’aucune machine ne sera jamais meilleure qu’un humain et une machine.

 

GRAND ANGLE SUR L’INVESTISSEMENT

Investissement responsable: la nouvelle norme

L’investissement responsable connaît aujourd’hui un véritable essor. Deux de nos responsables produit font part de leur expérience et de leurs observations à l’égard de cette tendance qui progresse rapidement.

CLÉMENCE COHENDET
Responsable produit,
Pictet Wealth Management

 

GIACOMO GREGOTTI
Responsable produit senior,
Pictet Wealth Management

 

Au cours des deux dernières années, nous avons constaté que les clients et prospects manifestaient un intérêt croissant pour l’investissement responsable. De plus en plus, les clients – en particulier la nouvelle génération, mais pas seulement – souhaitent comprendre comment une partie de leur patrimoine peut être investi dans des solutions de placement qui tiennent compte de questions environnementales ou sociales, selon les préférences et les objectifs personnels. Ils veulent savoir à quoi servira leur argent, outre à générer des rendements.
Grâce notamment à la facilité d’accès aux informations sur Internet, nous sommes aujourd’hui de plus en plus conscients et soucieux des divers problèmes du monde qui nous entoure. Désormais, les gérants de fortune doivent à tout le moins prendre en considération les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs décisions d’investissement. Cette tendance coïncide avec le rôle croissant de plusieurs prestataires traditionnels tiers qui permettent d’accéder à ces informations et de les comparer plus facilement qu’auparavant. Nous avons d’ailleurs récemment signé des contrats avec quatre prestataires de ce type en vue de faciliter l’intégration des facteurs ESG à notre processus d’investissement.
Les investisseurs qui n’ont pas encore souscrit au concept de l’investissement responsable se demandent souvent pourquoi ils ne feraient pas une bonne action en même temps, sans pour autant renoncer à la performance. La philanthropie est un excellent moyen d’affecter une partie de son patrimoine à des causes qui tiennent à coeur. Mais le garant d’un investissement responsable efficace est un placement qui ne se fait pas au détriment de la performance financière. En tenant compte des critères ESG, les gérants peuvent réduire le risque à long terme dans un portefeuille en évitant de sélectionner des sociétés qui sont plus susceptibles que d’autres de faire face à des amendes réglementaires, à une faillite, à des actifs délaissés ou à une hausse des coûts des intrants qui finiront par se raréfier.
La gestion durable est au coeur des valeurs de Pictet, la longévité du Groupe étant le fruit d’une vision à long terme. En octobre, nous avons organisé une «Sustainability Week». Cette initiative visait à sensibiliser l’ensemble des collaborateurs à des thèmes relatifs au développement durable et à l’investissement responsable. Nous avons eu le plaisir de recevoir plusieurs orateurs de divers secteurs et organisations qui ont tenu des propos mobilisateurs. Nous avons par ailleurs lancé des campagnes à l’échelle du Groupe, axées sur des objectifs ambitieux en matière de développement durable. En juin dernier, nous avons aussi décidé de diminuer de 75% notre consommation de plastique à usage unique d’ici la fin 2018 et de la réduire à zéro d’ici juin 2019. Pictet est en outre neutre en carbone depuis 2014, contrairement à ce que l’on pourrait attendre d’une banque suisse traditionnelle.
L’investissement responsable deviendra progressivement la pierre angulaire des portefeuilles de placement. Les gérants de fortune et d’actifs adaptent toujours plus leurs processus de recherche et d’investissement, de façon à prendre en compte les facteurs ESG dans la répartition des placements. Et cette tendance devrait se poursuivre et s’accélérer dans les années à venir. Les opportunités d’investissement tous domaines confondus – investissement à impact social, microfinance, obligations «vertes» et autres placements conformes aux objectifs de développement durable des Nations Unies – se multiplieront à mesure que les institutions internationales et les dirigeants créeront des conditions propices à ces domaines et que les secteurs et les entreprises s’y conformeront. Car l’investissement responsable est trop important pour ne pas en tenir compte; il finira par devenir une nécessité et présente donc une excellente opportunité d’investissement. Qu’ils soient conscients ou non des enjeux de l’investissement responsable, les investisseurs y seront confrontés, si bien qu’à terme, l’inclusion des critères ESG dans les décisions d’investissement deviendra la norme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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