Tue. Dec 3rd, 2024

Crise immobilière en Chine : un air de déjà vu ? 

  • La crise immobilière chinoise comporte des similitudes avec la crise  asiatique de 1997, à travers le surinvestissement dans des secteurs non viables sur le long terme ;
  • Néanmoins, le risque financier reste concentré sur l’immobilier, à  travers les gouvernements locaux et leurs véhicules de financement ;
  • L’endettement colossal de ces derniers est un risque pour le secteur  bancaire chinois ;
  • Les récentes mesures du gouvernement, notamment sur la  restructuration de la dette des véhicules locaux, devraient au mieux  permettre de stabiliser le secteur ;
  • La Chine a besoin de nouveaux moteurs de croissance, ce qui est  difficile dans ce contexte international qui lui est hostile. 

 

La crise financière japonaise de 1997 a été l’événement marquant de l’Histoire moderne

Les déboires des promoteurs immobiliers   chinois ont fait ressurgir le spectre de la crise   japonaise qui avait précipité l’économie  nipponne dans une longue période de  stagnation. Est-ce le même sort qui attend la  Chine ? Pour répondre à la question, nous  proposons un focus sur le secteur immobilier  chinois et ses liens entre les différents  acteurs.  

Le risque financier est concentré sur  le secteur immobilier…  Des similitudes avec la crise asiatique de 1997 : le  sur-investissement  

La crise immobilière chinoise comporte des similitudes  avec la crise asiatique de 1997. Les pays asiatiques  avaient enregistré une croissance rapide basée sur  l’investissement. Le taux d’investissement dépassait  les 30 % du PIB, voire 40 % pour certains pays.  Cependant, la majorité des investissements allait vers  les secteurs qui n’étaient pas viables et soutenables  sur le long terme comme l’immobilier et des projets  d’infrastructures. Cela avait créé des surcapacités  dans plusieurs secteurs, contribuant à la création de  bulles sur les actifs financiers et immobiliers précipitant  la crise financière.  

Le rapide essor de l’investissement immobilier…  

La Chine a également connu une croissance  extraordinaire ces dernières décennies, basée sur  l’investissement. Celui-ci représente 40 % du PIB, dont  1/3 est de l’investissement immobilier, comme le  montre le graphique ci-dessous.  

L’immobilier a d’importantes ramifications sur  l’économie chinoise. Il représente ¼ du PIB et 20 % de  l’emploi. Sa part est passée de 5 % du PIB en 2000 à  13 % du PIB en 2019.  

… Notamment dans le secteur bancaire  

Les banques commerciales chinoises, ainsi que les  véhicules de financement des gouvernements locaux  ont alors rapidement pris des expositions sur le secteur  immobilier. Entre 2011 et fin 2021, la part des prêts  accordés au secteur immobilier dans les prêts  bancaires totaux est passée de 20 % à 27 % à fin 2021,  comme le montre le graphique ci-dessous.  

Le risque pour les banques commerciales chinoises ne  réside pas dans les prêts hypothécaires contractés par  les ménages. En effet, les exigences en apport de  capital lors de l’achat d’un bien immobilier sont élevées  en Chine, à 30 % pour les primo-accédants et plus  élevés encore pour les autres acheteurs dans la plupart  des villes.  

En revanche, la qualité des prêts des promoteurs  immobilers s’est détériorée ces dernières années à  cause du resserement des restrictions financières dans  le cadre du paradigme de « prospérité commune ». 

 

Ces derniers ne représentent que 5,7 % des prêts  bancaires totaux

… À travers les gouvernements  locaux …  

Les autorités chinoises se sont toujours appuyées sur  les gouvernements locaux pour relancer la croissance,  en soutenant notamment l’investissement en  infrastructures. Ils ont joué un rôle important dans  l’essor de l’immobilier en fournissant des sources  majeures de revenus.  

Les gouvernements locaux générent des revenus à  partir des terres par deux canaux : la vente des droits  d’utilisation des terrains et l’impôt foncier.  Le premier canal permet aux gouvernement locaux de  « louer » des terres à des acheteurs qui ont le droit de  les utiliser, et d’en bénéficier, pendant que le  gouvernement central en garde la propriété. La forte  hausse des prix des terrains au cours des deux  dernières décennies, liée à la rapide croissance du  secteur immobilier, avait permis aux gouvernements  locaux de soutenir leurs dépenses. Le graphique ci dessous montre la composition des revenus des  gouvernements locaux sur la période 2012-2022.  

La part des ventes de terrains dans les revenus des  gouvernements locaux a augmenté sur la période  passant de 20 % en 2012 à 30 % en 2021. En 2022,  les restrictions financières sur les promoteurs  immobiliers chinois, ont provoqué d’importants défauts  de paiements.  

Les revenus issus de la vente des terrains ont chuté en  2022, pour ne représenter que 24 % des revenus des  

gouvernements locaux, les gouverneurs locaux ayant  eu des difficultés à vendre les terrains. La chute des  revenus des gouvernements locaux, les a fragilisés car  ils sont fortement endettés.  

Leur dette a atteint 92 trillions de yuans (12,6 milliards  de dollars), soit 76 % du PIB chinois, en hausse de 14  ppt par rapport à 2019.  

… Et notamment de leurs véhicules  de financement…  

Une partie de la dette des gouvernements locaux a été  émise par des véhicules de financement, dont les fonds  levés ont servi à financer des projets d’infrastructures. L’évolution des gouverneurs locaux au sein du Parti  communiste chinois dépend de leur capacité à générer  de la croissance, dans laquelle le secteur immobilier a  pris un poids important. Les véhicules de financement  ont ainsi servi à combler l’écart entre les dépenses et  les revenus des gouvernements.  

Selon, le Fond monétaire international, leur dette a  atteint un record de 9500 milliards de dollars, soit la  moitié du PIB de la Chine ! Ils devront faire également  face à un mur de la dette. Ainsi, 5,6 trillions de yuans  de dette, soit 790 milliards de dollars, arriveront à  maturité cette année, comme le montre le graphique ci  après.  

D’importants montants de remboursement sont  également prévus en 2024, pour un montant de 5,5  trillions de yuans.  

Aucun véhicules de financement n’a fait jusqu’à  présent défaut. Cependant, la crise immobilière qui  sévit actuellement en Chine a mis sous pression leur  capacité de remboursement, car leurs revenus  dépendent étroitement de la vente de terrains et de l’immobilier. D’après le FMI, 30 % des véhicules de  financement des gouvernements locaux, seraient non  viables, sans le soutien financier du gouvernement  central.  

Les promoteurs immobiliers chinois ont également  utilisé des véhicules de financement, les sociétés de  fiducie, pour se financer. Selon la China Trustee  Association, le montant total des prêts des sociétés de  fiducie au secteur immobilier est d’environ 2 trillions de  yuans. À titre d’illustration, les sociétés de fiducie  représentent 40 % du financement du promoteur  immobilier Evergrande.  

… Posant un gros problème aux  banques…  

Les difficultés des véhicules de financement à  rembourser leurs dettes, posent un réel risque aux  banques commerciales chinoises qui détiennent 80 %  de leur dette.  

Selon le FMI, la moitié seulement des coûts de  restructuration de la dette des véhicules de  financement, leur imposerait des frais de dépréciation  de 465 milliards de dollars, ce qui réduirait de 1,7  pourcentage de point le ratio de capital absorbant les  pertes par rapport aux actifs.  

Dans son rapport d’octobre sur la stabilité financière  mondiale, le FMI a simulé les niveaux de ratios de  capital des banques pour plusieurs zones dans le  cadre de plusiers scénarii, sur la période 2022-2025.  Dans le cadre du scénario défavorable, basé sur les  hypothèses d’une croissance du PIB chinois d’1 % (au  lieu de 5 %) sur les 3 prochaines années dans un  contexte de baisse continue de la valeur de  l’immobilier, le ratio de capital des banques chinoises  baisse à 7,5 % en 2025, le pire niveau parmi les  différentes zones comme le montre le graphique qui  suit.  

  

Un cercle vicieux peut également apparaître. Les  pertes des banques devraient les inciter à ponctionner  l’octroi de crédit. Les gouvernements locaux  incapables d’emprunter vont couper dans les  investissements et les services sociaux, affaiblissant  davantage la croissance chinoise.  

Quelle crise pour la Chine ?  

Des différences notables avec la crise asiatique de  1997  

La perspective d’une crise financière chinoise  identique à la crise financière de 1997 est improbable,  car la dette est détenue par les investisseurs  domestiques et non les investisseurs étrangers. Au  contraire, la Chine est devenue le premier créancier du  monde, notamment pour les pays pauvres. D’autre  part, les autorités chinoises n’ont pas ouvert leur  compte de capital en maintenant une politique de  contrôle du change, ce qui permet aux pays d’être  protégé de sorties brutales de capitaux pouvant  conduire à une instabilité financière.  

Par ailleurs, les banques commerciales chinoises sont  sous contrôle de l’État ou des gouvernements locaux  qui ne devraient pas les laisser faire faillite, ce qui a  permi à la Chine d’éviter des épisodes de « « bank  runs » et de paniques bancaires.  

L’aléa moral et la reconstitution des primes de  risque  

Les gouvernements locaux ont pu emprunter  massivement car il y avait cette garantie implicite que  l’État interviendrait en cas de pépins pour les

C’est exactement ce qui s’est passé pour le secteur de  l’immobilier. À cause de son poids important dans  l’économie chinoise, il y avait également cette garantie  implicite que l’État chinois allait continuer de soutenir le  secteur immobilier. Or, en 2022, sous le nouveau  paradigme de prospérité commune, le resserrement  des restrictions financières sur les promoteurs  immobiliers a été un tournant dans la perception du  risque immobilier chinois.  

La faillite d’Evergrande a montré que l’État  n’interviendrait pas pour renflouer les promoteurs. Les  primes de risque se sont alors rapidement  reconstituées, conduisant à la chute des actifs  financiers liés au secteur immobilier, à l’image de  l’indice crédit Bloomberg pour la Chine sur le segment  « haut rendement » de plus de 50 %, depuis son point  haut d’avril 2021, comme le montre le graphique ci  dessous.  

Ce dernier, après une tentative de rebond en début  d’année liée probablement aux attentes élevées sur la  croissance chinoise, s’est rapidement éffondré sur ces  plus bas de 2022. Le risque se porte plus vers une  reconstitution des primes de risque sur les banques et  les gouvernements locaux, fragilisant la stabilité  financière du pays.  

Les autorités chinoises sont conscientes du risque et  ont pris une série de mesures pour essayer de  restructurer la dette des véhicules de financement,  ainsi que permettre aux promoteurs de terminer leurs  projets. Les récentes mesures annoncées devraient  permettre de stabiliser au mieux le secteur immobilier,  mais ne vont pas résoudre le problème de la  croissance chinoise.  

Conclusion : l’économie chinoise a  besoin de nouveaux moteurs de  croissance  

Vu la taille collossale de la dette, et la faiblesse de la  croissance chinoise, le risque d’une rapide hausse des  taux de défaut est élevé. Les autorités chinoises ne  pourront pas transférer tout le risque vers les sociétés  de gestion comme elles l’avaient fait par le passé, lors  de sa première crise bancaire. Le modèle économique  chinois basé sur l’investissement a montré ses limites.  La Chine doit trouver d’autres moteurs de croissance  pour éviter que sa crise immobilière ne se transforme  en crise financière grave comme celle qu’avait connu  le Japon dans les années 90.  

Xi Jinping procède à un rééquilibrage de son économie  vers la consommation (en la verdissant), mais celui-ci  peine à se matérialiser. La consommation chinoise ne  représente que 38 % du PIB, loin des 70 % pour la  consommation américaine. Si le PIB du T3 a montré  que la croissance chinoise était plus équilibrée, car  tirée par la consommation, cette tendance doit être  soutenable sur le long terme.  

L’environnement international, moins porteur, à cause  notamment des sanctions américaines sur sa  technologie, a contraint la Chine à se renfermer sur  elle-même en accélérant son recentrage sur sa  demande domestique. C’est le cas, notamment, pour  l’industrie des semi-conducteurs où les  investissements de la Chine dans ce secteur se sont  intensifiés. La double circulation continue à être mise  en œuvre pour permettre à la Chine de bénéficier des  services dont elle a besoin pour son essor  économique. Si le risque de contagion financière  semble limité, les effets d’un fort ralentissement  économique chinois auraient en revanche de grandes  répercussions sur le reste du monde.  

Par Zouhoure Bousbih

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