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L’Eco du matin -Hervé Goulletquer  – Stratégiste- Direction de la gestion

Des questions fondées de politique économique

En toile de fond d’un évènementiel chargé (tensions commerciales et politiques, doutes sur la croissance et inflation bien faible), notons des questionnements importants de politique économique : la politique concurrentielle, la politique commerciale et la politique monétaire. Les disfonctionnements comme accoucheurs d’idées et de solutions nouvelles ? « Le vieux, la crise et le neuf », comme aurait dit Antonio Gramsci, le philosophe italien.

La micro a pris le relai de la macro au cours de la séance d’hier.

Aux Etats-Unis, la Federal Trade Commission lance une enquête sur Facebook et le ministère de la Justice, une autre sur Alphabet, le maison-mère de Google. Les deux titres ont perdu en bourse respectivement 7,4% et 6,3%. Tant est si bien que les indices  NASDAQ et NYFANG ont reculé de 1,6% et 3,5%.

La question des « positions dominantes » dans le secteur de la Tech américaine est posée depuis un certain temps. On pourrait même élargir le constat à nombre de secteurs de l’économie américaine. Tout au long des dernières décennies, les pressions concurrentielles ont diminué aux Etats-Unis. La littérature académique est fournie sur le sujet. L’affirmation d’une volonté politique de renforcer la concurrence enverrait un signal positif en matière de plus grande efficacité du système économique. En sachant pourtant (cf. le débat européen en la matière) que trouver le bon équilibre, entre assurer le bon fonctionnement des marchés et créer les conditions d’apparition d’acteurs disposant de la taille critique, n’est pas facile.

 

Revenons à la macro. Notons cette impression de « dialogue de sourd » entre Américains et Chinois. Dimanche, Pékin publiait un « livre blanc » sur les négociations commerciales entre les deux pays. Bien sûr, celui-ci est à charge et met en avant l’attitude fermée de l’Administration Trump : du caractère agressif des positions défendues au volte-face de début mai. La réponse de Washington se place sur un tout autre terrain. Elle insiste sur le fait que, depuis trop longtemps, la Chine ne respecte pas les règles établies en matière de commerce international. En fait, chacun choisit le terrain qui lui est le plus favorable : l’évènementiel pour la Chine et les mouvements longs de l’évolution du commerce international pour les Etats-Unis. Mais les reproches réciproques ne font pas un dialogue. Va-t-il reprendre ? Le G20 Finances du weekend prochain au Japon pourrait en être le lieu. Mais on ne sait pas si cela sera le cas.

 

Essayons de prendre un peu de recul et tentons de décrire l’environnement dans lequel ces tensions commerciales sino-américaines se sont développées (en sachant qu’à côté du commercial d’autres éléments de crispation sont présents, comme la technologie, le militaire ou la géopolitique). On peut évidemment mettre en avant le Président Trump, sa détestation pour les relations multilatérales et ses instincts protectionnistes. Cela ne suffit cependant pas à qualifier les enjeux actuels et futurs du commerce international.  Ceux-ci trouvent leur origine dans une triple problématique, qui participe d’une déstabilisation du système commercial multilatéral[1]. D’abord, les avantages comparatifs se sont beaucoup transformés. Historiquement, les pays développés bénéficiaient de moins de protection que les pays en développement en matière d’échange de produits manufacturés. Mais ces derniers, si ce n’est l’industrie légère, étaient assez peu présents. Cela a beaucoup changé avec la montée en puissance des pays émergents au sein de nombreuses filières manufacturières. Aujourd’hui les enjeux se portent surtout sur les services, sur l’importance du capital intangible et sur les subventions. D’où la conclusion de beaucoup d’acteurs des relations internationales que la cohérence des accords passés n’est plus assuré. Ensuite, et dans le sillage de ce difficile équilibre entre engagements passés et dynamique de développement, les contraintes imposées aux « nouveaux entrants » par rapport aux « historiques » du tour de table des négociations commerciales internationales peuvent paraitre moins fortes. Ainsi la moyenne des droits de douane consolidés serait de 3,5% pour les Etats-Unis et 5% pour l’UE, à comparer à 10% pour la Chine, 31% pour le Brésil et 48% pour l’Inde. Enfin, un monde devenant multipolaire est plus compliqué à gérer. Aucun pays n’arrive à imposer ses vues et forger des consensus est devenu très compliqué.

 

Alors comment répondre à ces difficultés et dépasser ces contradictions ? Le tout en ressentant bien l’asymétrie des comportements entre « vieux » pays développés et « nouveaux entrants » : les premiers, Etats-Unis en tête, seraient plus favorables au changement et les seconds au statu quo. Celui-ci n’est probablement pas tenable sur la durée. Mais quelle forme le changement prendra-t-il ? Une remise en cause radicale, comme le Président Trump semble le vouloir (du passé faisons table rase !), ou une évolution progressive vers un nouvel équilibre des relations commerciales internationales plus conforme à la réalité économique qui s’est progressivement imposée ? On ne sait pas le dire.

 

Passons à la politique monétaire, pour suivre les évolutions en cours aux Etats-Unis. Il y a d’abord cette « envolée » des anticipations de baisse du taux directeur de la Fed à l’horizon des prochains mois. La probabilité qu’il en aille ainsi d’ici à la fin de l’année frôle les 100% ; en sachant que l’ampleur du mouvement attendu est de 50 centimes. Il y a ensuite, la prise parole des membres du comité de politique monétaire américain. Après Clarida, ce fût hier autour de Bullard de s’inscrire dans une perspective de repli du taux des fonds fédéraux. Sans surprise, si on se souvient de son positionnement très « colombe », ce dernier a été plus volontariste. N’a-t-il pas évoqué des taux plus bas « garantis pour bientôt », au titre des risques de guerre commerciale, du ralentissement de la croissance mondiale et de la faiblesse de l’inflation américaine ? Il y a enfin ce colloque, qui se tient à Chicago aujourd’hui et demain, et dont l’objectif est de discuter de la stratégie, des outils et de la communication de la Fed. Policymakers et universitaires vont échanger sur leurs vues respectives. Le marché sera assurément attentif à la façon dont le thème de l’incertitude doit être traité par une banque centrale. L’audace (agir plus fort et plus vite) peut-il devenir un instrument  de politique monétaire ?

 

Disons deux mots sur l’Europe pour finir. Face à une cohabitation plus difficile au sein du gouvernement italien entre la Ligue et 5 Etoiles (faut-il continuer à faire équipe ou faut-il « reprendre ses billes » ?), le Premier ministre menace de démissionner. La raison pour cela ? Le refus de se mettre en infraction par rapport à Bruxelles. La crise politique couve une fois de plus en Italie. Ce n’est pas pour autant qu’elle éclatera. Dans tous les cas, pour éviter d’éventuelles élections générales durant l’été, la période d’incertitude durera encore au moins un mois. Pour le reste …

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