Thu. Nov 21st, 2024

Par Sylvain BERSINGER, chef économiste chez Asterès

D’après les prévisions d’Asterès les principales variables de l’économie française
devraient se rapprocher de leurs tendances de long terme en 2024. La croissance, à 0,9 %,
resterait bridée par les taux élevés mais le risque de récession semble écarté. L’inflation
refluerait pour se rapprocher de 2 % en 2024. Les créations d’emplois stagneraient sous l’effet
d’un léger rebond de la productivité et la production manufacturière serait en faible hausse.
L’économie française et mondiale en 2024 sera cependant dépendante du contexte
géopolitique mouvementé qui pourrait rendre caduque les prévisions réalisées en janvier.

1) Croissance en 2024 : En petite forme
D’après Asterès, la croissance en France serait de 0,9 % en 2024. Les prévisions d’Asterès
sont globalement en ligne avec celles réalisées par d’autres instituts : la Banque de France
prévoit également 0,9 % de croissance, le FMI 1,3 %, le gouvernement 1,4 % et le consensus
Focus Economics 0,8 %. La consommation des ménages devrait repartir en 2024 mais
l’investissement serait pénalisé par les taux élevés. Le commerce extérieur contribuerait
positivement à la croissance.

  • La consommation des ménages devrait être tirée par le léger rebond du pouvoir
    d’achat. Le choc inflationniste a entraîné une progression plus rapide des prix que des
    salaires au cours des deux dernières années, ce qui a pénalisé la consommation, notamment
    sur les produits dont les prix ont le plus augmenté, comme l’alimentation. En 2024, la
    progression des salaires deviendrait supérieure à la hausse des prix, permettant une hausse
    de la consommation des ménages de 0,8 %
  • L’investissement souffre des taux élevés. L’investissement a été dynamique en sortie de
    crise sanitaire. Cependant, la hausse des taux décidée par la BCE pour freiner l’inflation
    pèse mécaniquement sur l’investissement, notamment l’investissement des ménages.
    L’investissement des entreprises, pour sa part, résiste au contexte de taux élevés (car il est
    moins dépendant du niveau des taux). La progression de l’investissement en 2024 serait
    deux fois moins rapide qu’en 2023, à 0,8 %.
  • Le commerce extérieur aura un effet positif sur la croissance. La reprise chez le
    principal client de la France, l’Allemagne, facilitera la progression des exportations. De plus,
    la hausse attendue de la production dans l’aéronautique, un secteur sinistré par la crise
    sanitaire et fortement orienté vers les marchés étrangers, entraînera une hausse des
    exportations. La croissance des importations devrait être inférieure à celle des exportations,
    avec une demande totale en France (consommation et investissement) qui resterait poussive.

2) Inflation en 2024 : la décrue se poursuit
L’inflation retomberait à 2,4 % en 2024 d’après Asterès. Cette décrue sensible de
l’inflation (elle était aux alentours de 5 % en 2022 et 2023) est anticipée par la majorité des
économistes (FMI, Banque de France, consensus Focus Economics). La tendance des prix de
production (prix sortie d’entreprises), qui donne une tendance des dynamiques en amont de la
chaine de valeur, pointe une claire tendance désinflationniste dans l’agriculture et l’industrie.
L’énergie et les services devraient tirer l’inflation en 2024. Les prévisions d’Asterès sont
basées sur plusieurs hypothèses pour chaque composant de l’indice des prix à la
consommation (IPC).

  • L’IPC sur les biens alimentaires serait stable en 2024. Poursuivant la tendance de
    l’automne 2023, le niveau moyen des prix alimentaires serait inchangé en 2024. Selon cette
    hypothèse, l’inflation alimentaire deviendrait nulle fin 2024 mais il n’y aurait pas de baisse
    des prix.
  • Les prix de l’énergie seraient tirés par l’électricité et le gaz. Asterès a postulé une hausse
    du prix de l’électricité de 10 % en février et de 11 % du gaz en juillet. Ces hausses peuvent
    sembler paradoxales alors que les cours sont repartis à la baisse, mais il faut prendre en
    compte le fait que, depuis 2021, la hausse des cours n’a été que partiellement répercutée aux
    consommateurs. Le prix du pétrole et des carburants serait stable sur l’ensemble de l’année.
    L’inflation énergétique serait donc de 5 % en glissement annuel en décembre 2024.
  • Les prix des produits manufacturés augmenteraient de 1 % sur l’ensemble de l’année.
    Les prix de production (sortie d’usine) en France comme à l’étranger indiquent une tendance
    désinflationniste nette dans l’industrie. De ce fait, l’inflation sur les biens manufacturés
    serait faible en 2024.
  • L’inflation dans les services suivrait les salaires. La progression des salaires devrait se
    maintenir à un niveau élevé en 2024, aux alentours de 4,5 %. Comme les coûts de
    production des services sont avant tout constitués des salaires, Asterès a postulé une
    progression moyenne de leurs prix en 2024 identique à celle des salaires, soit environ 4,5 %.

3) Emploi en 2024 : Stagnation en vue
L’emploi serait pris entre deux tendances contraires : croissance économique et gains de
productivité. La hausse du nombre d’emplois depuis la crise sanitaire a surpris les
prévisionnistes par son dynamisme. Cette progression devrait cependant s’arrêter en 2024
pour laisser place à une stagnation du nombre d’emplois. D’un côté, la faible croissance
devrait conduire, à productivité constante à une hausse similaire du nombre d’emplois, soit
environ 0,9 %. D’un autre côté, la productivité devrait faiblement progresser en 2024. En
effet, cette dernière avait baissé (expliquant pour partie les fortes créations d’emplois) sous
l’effet de causes pour partie momentanées : hausse de l’apprentissage, perturbations liées à la
crise sanitaire ou au blocage des chaînes de valeur, hausse de l’emploi peu qualifié. Ces
spécificités devant s’estomper, la productivité moyenne du travail devrait repartir légèrement
à la hausse cette année, conduisant à une stagnation globale du nombre d’emplois.

4) Production manufacturière en 2024 : Faible hausse
La production manufacturière devrait croître, mais trop faiblement pour compenser les
baisses passées. Depuis 2008, suite à chaque crise la production manufacturière française ne
parvient pas à retrouver son niveau d’avant-crise, conduisant à un lent étiolement du volume
de production. En 2024, il est cependant permis d’espérer une hausse de la production,
d’environ 1 % d’après Asterès. En effet, des secteurs en crise pendant l’épidémie de Covid-
19, notamment l’aéronautique, devraient retrouver petit-à-petit leurs volumes de production
de 2019. La hausse des investissements devrait également se traduire par une hausse de la
production. Cependant, depuis 2021 les volumes de production sont décevants au regard de la
hausse des investissements et des ouvertures d’usine. La taille des usines ouvertes et le type
d’investissements réalisés (de modernisation plutôt que d’extension) peuvent expliquer
l’évolution atone des volumes produits.

5) Risque géopolitique : la principale inconnue de 2024
Les scénarios pour 2024 sont tributaires des aléas géopolitiques. 2024 sera une année
électorale importante : jamais dans l’histoire de l’humanité une si grande proportion de la
population mondiale votera pour une élection nationale. Il pourrait en résulter des
changements de politique économique, notamment aux Etats-Unis. Les conflits ou tensions
actuelles pourraient également impacter les projections économiques.

  • Une attaque de la Chine contre Taïwan aurait des répercussions majeures. Début
    janvier, les Taïwanais ont élu un candidat favorable à l’indépendance de Taïwan. Si la Chine
    continentale tentait d’unifier l’île par la force, les conséquences sur les chaînes
    d’approvisionnement mondiales seraient gigantesques (pénurie de semi-conducteurs,
    sanctions éventuelles contre la Chine).
  • La situation au Proche-Orient est une source d’inquiétude. La guerre entre Israël et le
    Hamas risque de se répercuter dans toute la région. C’est déjà en partie le cas avec les
    attaques des Houthis contre des navires en mer Rouge. Une extension du conflit pourrait par
    exemple provoquer un choc pétrolier, si le transport du pétrole venait à être sérieusement
    impacté.
  • L’évolution de la guerre en Ukraine est incertaine. L’Europe continue d’importer du gaz
    russe par bateau. Un arrêt total de ces livraisons (décidé par la Russie ou par l’Union
    Européenne) pourrait faire de nouveau flamber le prix du gaz (quoique dans des proportions
    moindres qu’en 2022). Un envenimement du conflit (attaque d’un autre pays, chantage
    nucléaire par exemple) pourrait également peser sur l’économie européenne.
  • L’élection de Donald Trump pourrait avoir des conséquences sur le commerce
    mondial. Donald Trump a clairement affiché ses idées protectionnistes qui se
    matérialiseraient par une hausse générale des droits de douane (en 2025, le temps que la
    nouvelle administration se mette en place). Les éventuelles mesures de rétorsion des autres
    pays conduiraient à une hausse générale des droits de douane dans le monde, ce qui
    freinerait l’ensemble du commerce mondial.

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