Thu. Nov 21st, 2024

Clint Comeaux, Gérant de portefeuille- Muzinich & Co

Carl DeMuth, Analyste senior du secteur de l’énergie – Muzinich & Co

« Le pétrole West Texas Intermediate (WTI) a chuté à un niveau record la semaine du 20 avril(1) lorsque la demande s’est effondrée dans le sillage du confinement lié au COVID-19 et que la guerre des prix arabo-russe a exacerbé un peu plus encore le déséquilibre entre l’offre et la demande. Dans cette note, nous allons examiner les possibles déterminants des cours du pétrole et ce que cela pourrait impliquer pour les obligations du secteur de l’énergie.

 

Que s’est-il passé au niveau des contrats à terme sur le pétrole ?

Les contrats à terme sur le pétrole (contrats de mai sur le WTI) ont chuté à -37,63 dollars le 20 avril 2020(2) se négociant en territoire négatif pour la première fois de leur histoire.

Ce mouvement semble ancré dans les fondamentaux dans la mesure où les producteurs ont été lents à réagir à l’effondrement de la demande déclenché par les mesures de confinement mondiales liées au COVID-19. Dans certaines régions, les capacités de stockage arrivent à saturation. Les déséquilibres financiers ont sans doute aussi joué un rôle alors que les spéculateurs et les produits financiers à destination des particuliers sur le pétrole, notamment l’ETF USO, ont initié en masse des positions longues à l’approche de l’échéance des contrats (l’illustration 1 montre l’évolution des actions en circulation de l’USO). À un jour seulement de l’échéance des contrats, les positions ouvertes sur les contrats « mai » sur le WTI totalisaient environ 109 millions de barils(3), soit un niveau bien supérieur à la capacité de stockage maximale de Cushing, en Oklahoma, estimée à 76 millions de barils.(4)»

Quelle est l’origine de ce déséquilibre ?

Après des décennies de déclin, l’industrie pétrolière américaine a vécu une renaissance en 2010 lorsque les techniques de forage par fracturation hydraulique (précédemment appliquées à la production de gaz naturel) ont été utilisées pour extraire du pétrole brut dans des gisements de schiste. La production américaine a enregistré une croissance annuelle d’environ 1 million de barils/jour entre 2011 et 2015, gagnant dans le même temps des parts de marché mondiales.5

 

Quand est-ce que les marchés du pétrole reviendront à un équilibre durable ?

Le monde fait face à une surproduction de pétrole et les perspectives de la demande restent incertaines. Selon nous, deux éléments détermineront le retour des prix du pétrole brut à des niveaux qui garantissent le réinvestissement économique dans l’exploration et le développement de l’énergie.

Premièrement, il faut que la demande revienne à des niveaux cohérents avec une économie qui fonctionne bien et deuxièmement, la production doit être abaissée à des niveaux adaptés à la nouvelle norme de la demande mondiale.

 

La demande de pétrole brut est fortement pénalisée par les mesures de confinement et de distanciation sociale liées au COVID-19 ainsi
que par la contraction économique qui en a résulté. Selon des estimations, la demande des passagers aériens a diminué de 90% en avril6 et la demande mondiale en pétrole brut a chuté de 30 millions de barils/jour7.

Nous estimons que les préoccupations sanitaires persisteront bien au-delà du déconfinement et qu’il faudra bien 2 à 3 ans avant que la « nouvelle norme » de l’activité économique et des transports ne renoue avec les niveaux pré-COVID-19.

Compte tenu de ces éléments, nous estimons que l’offre doit diminuer. La riposte se prépare : les entreprises ont annoncé une diminution de leur production et des projets d’investissement, l’Arabie saoudite et la Russie prévoient de diminuer leur production, tandis que les limites de stockage pourraient entraîner une suspension de la production. Toutefois, compte tenu de l’ampleur de la contraction de la demande, nous estimons que les annonces faites jusqu’à présent ne sont pas suffisantes pour rétablir l’équilibre.

Selon nous, l’ajustement de l’offre prendra du temps avant de refléter les conditions de la demande en raison de la nature fragmentée de la base de fournisseurs, des intérêts souverains divergents et des décisions prises par les différentes entreprises en fonction de leurs besoins de trésorerie.

Qu’est-ce que cela signifie pour les obligations d’entreprises américaines et internationales du secteur de l’énergie ?

Nous estimons que la production américaine de pétrole de schiste, qui a connu une forte croissance ces dernières années, ralentira, agissant comme une variable d’ajustement des déséquilibres mondiaux entre l’offre et la demande. Le niveau bas des prix des matières premières et les faibles rendements économiques devraient entraîner une diminution des investissements dans l’exploration et la production. La contraction du secteur du pétrole de schiste aux États-Unis pourrait avoir une incidence négative sur les entreprises qui n’ont pas la taille, les ressources à faibles coûts et la souplesse financière nécessaires pour traverser le cycle de matières premières. Néanmoins, nous nous attendons à ce que le pétrole de schiste américain reste un fournisseur clé de la demande mondiale en hydrocarbures compte tenu de sa taille, de sa position avantageuse sur la courbe des coûts, de sa capacité à s’adapter rapidement à la demande et de sa situation dans un pays relativement stable.

De manière générale, nos anticipations sont les suivantes :

• La diminution des investissements dans les activités de forage
devrait affaiblir les fondamentaux des compagnies de forage
(offshore et onshore) en raison du faible taux d’utilisation des
capacités et de la baisse des prix.

• Les entreprises qui ont des coûts et des niveaux d’endettement
élevés pourraient faire défaut. Plus de 25% des entreprises
américaines non investment grade dans le secteur de l’énergie
ont fait défaut sur la période 2015-2016.8

• « Anges déchus » attendus : les agences de notation devraient
abaisser la notation des entreprises BBB/BBB- lorsque celles-ci
reverront leurs prévisions de prix à la baisse.

• Les survivants de ce cycle prolongé seront sans doute les
producteurs de pétrole à faibles coûts et peu endettés
(essentiellement notés investment grade, voire BB) disposant de
la souplesse financière pour traverser le cycle.

• Les entreprises du secteur intermédiaire (pipelines) et les
raffineries devraient s’en sortir relativement bien dans la
mesure où leur modèle économique repose davantage sur les
volumes que sur le prix des matières premières.

• Le gaz naturel pourrait enregistrer une hausse à contre-courant
du cycle suite au déclin des activités de forage pétrolier (le gaz
naturel est un sous-produit du pétrole et représente 15 à 20% de
la production de gaz américaine).9

• Les compagnies pétrolières et gazières publiques tireront profit
du soutien des pouvoirs publics compte tenu de leur nature
stratégique.

 

Comment gérer l’exposition à l’énergie ?

Nous avons tiré plusieurs enseignements du cycle des matières premières énergétiques de 2015-2016 qui, nous en sommes convaincus, peuvent servir d’orientation dans la gestion de l’exposition à l’énergie pendant la correction actuelle.

 

Voici donc les points essentiels que nous avons retenus du cycle de 2015-2016 :

• Vendre les producteurs de pétrole et de gaz à coûts élevés
ayant des contraintes de liquidité : les taux de recouvrement
des défauts dans l’énergie ont été inférieurs aux niveaux
historiques observés pour les défauts hors énergie.10

• Éviter les fournisseurs de services de forage tributaires des
investissements dans l’exploration et la production.

• Se concentrer sur les producteurs à bas coûts, disposant de
profils de liquidité solides et d’équipes de direction
dynamiques.

• Acheter des obligations à long terme de grande qualité (y
compris investment grade, « anges déchus ») afin de
reconstituer la décote par rapport au pair et de participer à la
hausse lorsque les prix des matières premières reviendront à la
normale

• Conserver les entreprises du secteur intermédiaire en
s’attendant toutefois à une certaine volatilité dans la mesure où
ces obligations peuvent être sensibles au sentiment du marché
de l’énergie, mais les fondamentaux tendent à être moins
volatils.

 

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