Sun. Dec 22nd, 2024

Sandrine Vincelot Guiet, Directeur Conseil et Sélection OPCVM et VEGA IM, filiale de Natixis Wealth Management

 

L’analogie à l’ancre marine est ici tout à fait adaptée, vous allez rapidement comprendre pourquoi.

Afin de définir l’ancrage, repartons de notre dernier sujet traité (les heuristiques de représentativité) : l’heuristique d’ancrage consiste à formuler une réponse (une estimation chiffrée notamment) en se référant à une valeur arbitraire sans aucun lien avec la question posée. Il s’agit d’un biais très courant fondé sur la première impression laissée par une personne, un évènement, un prix, etc. et qui empêche le plus souvent d’intégrer d’autres éventuels éléments significatifs à la prise de décision.

Voici deux exemples qui vous permettront de mieux cerner ce biais cognitif1 :

  1.  Une expérience de James Montier2, spécialiste de la finance comportementale, illustre bien ce biais d’ancrage.

Les instructions suivantes sont données à un groupe de personnes :

  • Écrivez les 4 derniers chiffres de votre numéro de téléphone.
  • Est-ce que le nombre de physiciens à Londres est inférieur ou supérieur à ce chiffre ?
  • Quelle est votre estimation du nombre de physiciens à Londres ?

L’idée est de voir si la réponse à la première question a créé une “ancre” susceptible d’influencer la réponse à la troisième question.

Et, en effet, les résultats ont confirmé cette hypothèse :

  • Les personnes dont les quatre derniers chiffres du numéro de téléphone sont supérieurs à 7.0.0.0 ont répondu environ 8 000 physiciens.
  • A l’inverse, ceux avec un numéro de téléphone s’achevant avec quatre chiffres inférieurs à 3.0.0.0 ont répondu environ 4 000.
  1.  Une célèbre expérience menée en 1974 par Daniel Kahneman et Amos Tversky3 consistait à estimer le pourcentage de nations africaines représentées à l’Organisation des Nations Unies (ONU).
  • Dans un premier temps, les participants étaient invités à entrer dans une pièce puis à faire tourner une roue de loterie désignant un nombre aléatoire compris entre 0 et 100.
  • Dans un deuxième temps, il leur était demandé si le pourcentage de nations africaines à l’ONU (grandeur à estimer) était inférieur ou supérieur au nombre déterminé par la roue.
  • Puis enfin, ils devaient fournir une réponse plus précise, en l’occurrence donner le pourcentage exact de nations africaines à l’ONU.

Pour l’expérience, cette roue était truquée : seuls les nombres 10 et 65 sortaient. Bien qu’en apparence aléatoire, ce résultat affectait significativement les réponses :

  • Lorsque la roue s’arrêtait sur 10, l’estimation médiane était 25 ;
  • Lorsqu’elle s’arrêtait sur 65, l’estimation médiane passait à 45.

En d’autres termes, la valeur aléatoire fournie par la roue (10 ou 65) sert d’ancre, c’est-à-dire de point de référence, pour réaliser l’estimation bien qu’elle ne soit d’aucune utilité logique.

Ces expériences démontrent la réelle influence que peut avoir un facteur sur une décision, alors même qu’il est totalement indépendant et déconnecté du sujet.
Si on ne connaît pas la réponse à une question, on va inconsciemment
se raccrocher à un élément pour pouvoir en donner une, même si cet élément n’a aucun lien avec la question.

Face à l’incertitude, l’ancrage est la tendance à s’accrocher à une information non pertinente mais qui permet d’élaborer une réponse. L’ancrage mental est un biais cognitif très puissant. Il s’appuie sur la façon dont les mémoires sont fabriquées dans notre cerveau pour persister. À chaque fois que l’on se souvient d’une mémoire, la mémoire à proprement parler se renforce (la liaison neuronale devient plus forte).

Après nos deux expériences, je vous propose d’illustrer le propos à travers deux situations usuelles :

  1. Tout d’abord, en matière d’investissement financier : si vous êtes un client qui doit prendre une décision, ce biais peut être généré par n’importe quelle influence, chiffrée ou non. Ainsi, à l’occasion d’un échange avec votre banquier, le contexte et la teneur des propos tenus, tout comme les documents présentés peuvent, en quelque sorte, conditionner l’orientation
    de vos décisions.
  2. Enfin, concluons sur un sujet plus léger : les SOLDES ! Une des pratiques marketings indissociables des périodes de soldes consiste à mentionner le prix initial d’un produit à partir duquel est accordée une importante remise.

Dans ce cas, en grande partie, la perception de valeur est liée à l’ancrage.

Ainsi, ce biais d’ancrage se produisant dans de nombreuses situations de la vie quotidienne, vous serez peut-être mieux à même de réduire son influence inconsciente sans toutefois le réduire à néant car, ne le négligeons pas, il peut aussi nous faciliter certaines prises de décisions…

 

1 Biais cognitifs : ce qui fait que nous prenons des décisions d’une manière qui peut sembler illogique.
2 J.Montier est un spécialiste de la finance comportementale avec un biais extrêmement pratique puisqu’à la fois universitaire et également salarié dans différentes grandes banques. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la finance comportementale.
3 Tversky, A. & Kahneman, D. (1974). Judgment under uncertainty: Heuristics and biases.Science, 185, 1124-1131.

 

Les publications Finance comportementale

L’excès d’optimisme (#1)

L’illusion du contrôle (#2)

L’illusion de la connaissance (#3)

Le biais de confirmation (#4)

L’aversion aux pertes (#5)

Les heuristiques de représentativité (#6)

L’ancrage (#7)

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