Sun. Dec 22nd, 2024

Par Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès et Saranath Rimlinger, chargé d’études économiques – Asteres

En proie à une hyperinflation persistante depuis déjà plusieurs décennies, le Zimbabwe vient d’introduire une nouvelle monnaie nationale adossée à l’or : le Zimbabwe Gold (ZiG).

Cette décision du gouverneur de la banque centrale du Zimbabwe, John Mushayavanhu, marque un retour à l’étalon-or considéré par de nombreux économistes comme un système monétaire obsolète. L’objectif étant de restaurer la confiance dans une monnaie nationale, cette dernière a été largement abandonnée par la population locale au profit du dollar américain depuis l’épisode hyperinflationniste de 2008. Les difficultés persistaient encore au mois de mars dernier avec un taux d’inflation atteignant 55%. Les avantages de cette réforme monétaire non conventionnelle restent incertains en raison de son coût élevé, de son manque de crédibilité et de la perte totale de confiance de la population locale dans les institutions monétaires du pays.

1) DU GRENIER A BLÉ DE L’AFRIQUE À LA FAMINE GENERALISÉE

Le Zimbabwe se situe juste au-dessus du seuil des pays à faible revenu et demeure aussi
pauvre qu’en 1960. D’après les chiffres du la Banque mondial et de l’OCDE, le PIB par
habitant du Zimbabwe est d’environ de 1000 $ (dollars constants 2015) en 2021, soit environ
6 fois inférieur que la richesse par habitant de ses voisins du Botswana, en plein décollage
économique, et de l’Afrique du Sud. Ce pays enclavé et aride d’Afrique australe ne s’est jamais
relevé du règne sans partage de son ancien président Robert Mugabe (1987-2017) et reste plus
pauvre qu’au moment de son indépendance en 1980. Sous sa présidence corrompue et
despotique, le pays a subi une grave crise macroéconomique persistante à cause d’une politique
monétaire irresponsable à partir des années 2000.

D’une crise budgétaire à une crise économique. Les choix politiques de Robert Mugabe se
sont révélés extrêmement coûteux pour les finances publiques et ont fortement pesé sur le
dynamisme du secteur privé et le pouvoir d’achat des citoyens zimbabwéens. Dans les années
1990, les dépenses publiques ont explosé en raison de l’implication du Zimbabwe dans la
deuxième Guerre du Congo (1998-2003) ainsi que par la décision de dédommager
généreusement les vétérans de la guerre d’indépendance. Cela a gravement grevé le budget de
l’État, faisant grimper la part des dépenses militaires à plus de 10 % du PIB en 2001. De plus,
la réforme agraire s’est traduite par l’expropriation violente et arbitraire de près de 4 500
exploitations commerciales possédées par des agriculteurs blancs, a entraîné un effondrement
de la productivité agricole (divisée par deux entre 2000 et 2007). Alors que le pays a été
surnommé le « grenier à blé de l’Afrique » et était contributeur net au Programme alimentaire
mondial (PAM) de l’ONU, la production agricole s’est effondrée. L’économie formelle du
Zimbabwe, fortement dépendante du secteur agricole pour le bon fonctionnement de son
secteur manufacturier et des exportations de tabac pour maintenir la stabilité de son taux de
change fixe, a été sévèrement affectée. Pendant que les autres pays d’Afrique subsaharienne
enregistraient une croissance économique significative, le Zimbabwe a subi une récession
économique moyenne de – 5,75 % par an entre 2003 et 2007. La situation macroéconomique
est devenue critique et tous les indicateurs de développement humain se sont inversés, le
Zimbabwe s’enfonçant dans la malnutrition et la famine sous le régime autocratique de Robert
Mugabe.

2) ÉTALON-OR AU ZIMBABWE : DE L’HYPERINFLATION AU RETOUR D’UNE MONNAIE SOUVERAINE STABLE ?

Le Zimbabwe a été plongé dans une spirale inflationniste à la suite de la monétisation de
son déficit public important. Confronté à un déséquilibre budgétaire critique, marqué par
une hausse des dépenses militaires et une baisse des recettes fiscales due à l’effondrement du
secteur agricole – phénomène connu sous le nom d’« effet ciseaux » – et incapable de se
financer sur les marchés financiers en raison de la fuite des investisseurs, le Zimbabwe a choisi
la planche à billets dans les années 2000. L’offre de monnaie augmentant plus rapidement que
celle des biens et services, la création monétaire sans contrainte a rapidement transformé une
inflation chronique en une hyperinflation dévastatrice, avec des taux mensuels dépassant les
50 % et provoquant une chute brutale du pouvoir d’achat au Zimbabwe. En juillet 2008,
l’inflation annuelle a atteint un niveau vertigineux de 231 millions de pour cent, plongeant la
situation monétaire dans un chaos incontrôlable. Le dollar zimbabwéen, incapable d’assurer
ses fonctions traditionnelles de monnaie1, a progressivement perdu la confiance du public, qui
s’est tourné vers le dollar américain et le rand sud-africain, perçus comme des refuges plus
sûrs. En 2009, le Zimbabwe a été contraint d’abandonner sa monnaie, ravagé par

l’hyperinflation, au profit de l’utilisation de devises étrangères, principalement le dollar
américain, qui représente désormais 80 % des transactions locales2.
L’étalon-or comme tentative de remède. Incapable d’enrayer l’hyperinflation durable avec
sa propre monnaie nationale, la banque centrale du Zimbabwe a pris une mesure radicale pour
y remédier : le rétablissement de l’étalon-or. Annoncé le 8 avril 2024, le Zimbabwe Gold (ZiG)
est une nouvelle monnaie adossée aux cours du métal jaune et rare. Cette initiative vise à
maintenir la valeur du ZiG en limitant strictement la création monétaire au niveau des réserves
d’or détenues par la banque centrale du Zimbabwe, dans le but de combattre la hausse des prix
et éviter l’érosion du pouvoir d’achat de la population locale.

Malgré ses ambitions, il existe de nombreux doutes quant à la faisabilité et l’efficacité de
l’étalon-or pour rétablir l’équilibre monétaire au Zimbabwe :

  • Manque de crédibilité. La crédibilité de l’étalon-or repose sur la garantie de convertibilité
    entre la devise et le stock d’or. Avec seulement deux tonnes d’or en réserves, la banque
    centrale du Zimbabwe est en difficulté pour maintenir cet engagement et donc de stabiliser les
    anticipations de hausse de prix.
  • Manque de flexibilité. En fixant la masse monétaire par rapport à un stock d’un métal
    précieux et indépendamment des flux des échanges économiques, le Zimbabwe risque de
    s’engager dans une voie difficile où l’activité économique et la croissance seront entravés.
  • Baisse des exportations. L’étalon-or, en limitant l’émission de devises nationales, conduit à
    une hausse du taux de change vis-à-vis des autres monnaies étrangères, ce qui renchérit les
    exportations nationales et réduit le coût des importations venant du reste du monde. À terme,
    c’est la compétitivité-prix des exportations du secteur agricole et manufacturier du Zimbabwe
    qui est menacée.

Triangle d’incompatibilité de Mundell3 : ce trilemme illustre la difficulté pour une
économie de jongler entre un taux de change fixe, la libre circulation des capitaux et
l’indépendance de sa politique monétaire. Dans le cas du Zimbabwe, l’étalon-or sacrifie
l’autonomie de sa politique monétaire au profit de la libre circulation des capitaux et de la
stabilité du taux de change. Cependant, à cause des entraves importantes sur la mobilité des
capitaux4 et son déficit de réserves en or, le Zimbabwe se retrouve dans l’incapacité d’assurer
à la fois la convertibilité du ZiG en or à un taux de change fixe et une circulation de capitaux
parfaitement fluide.

Étalon-or : point historique

L’étalon-or a été auparavant le pilier du système monétaire international.
Entre 1870 et 1914, l’étalon-or a contribué au développement économique de l’Europe et des États-Unis,
en assurant la stabilité de taux d’intérêt réels élevés et en encourageant l’épargne grâce à une inflation faible.
Cependant, sa suspension pendant la Première Guerre mondiale suivie de son
rétablissement pendant l’entre-deux-guerres, a engendré des conséquences controversées.

Critiqué pour sa rigidité en matière de masse monétaire, l’étalon-or a été accusé d’avoir
amplifié la déflation pendant la Grande Dépression de 1929. L’économiste éminent John
Maynard Keynes avait qualifié l’étalon-or de “relique barbare”. Aujourd’hui, cette vision est
largement partagée, avec 93 % des économistes convaincus qu’un retour à ce système ne
garantirait ni la stabilité des prix ni des résultats positifs en termes d’emploi (Source :
https://www.kentclarkcenter.org/surveys/gold-standard/).

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